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Le choc avait été si violent que tout l’équipage, qui se trouvait sur le pont, fut lancé contre le tillac. J’en eus, du coup, la tête renfoncée dans les épaules, et il fallut plusieurs mois avant qu’elle reprît sa position naturelle. Nous nous trouvions tous dans un état de stupéfaction et de trouble difficile à décrire, lorsque l’apparition d’une énorme baleine qui sommeillait sur la surface de l’océan vint nous donner l’explication de cet événement. Le monstre avait trouvé mauvais que notre vaisseau l’eût heurté, et s’était mis à donner de grands coups de queue sur nos bordages; dans sa colère, il avait saisi dans sa bouche la maîtresse ancre qui se trouvait, suivant l’usage, suspendue à l’arrière, et l’avait emportée en entraînant notre vaisseau sur un parcours de près de soixante mille, à raison de dix milles à l’heure.

Dieu sait où nous serions allés, si par bonheur le câble de notre ancre ne se fût rompu, de sorte que la baleine perdit notre vaisseau, et que nous, nous perdîmes notre ancre. Lorsque, plusieurs mois après, nous revînmes en Europe, nous retrouvâmes la même baleine presque à la même place: elle flottait morte, sur l’eau, et mesurait près d’un demi-mille de long. Nous ne pouvions prendre à bord qu’une petite partie de cette formidable bête: nous mîmes donc nos canots à la mer, et nous détachâmes à grand-peine la tête de la baleine: nous eûmes la satisfaction d’y retrouver non seulement notre ancre, mais encore quarante toises de câble qui s’étaient logées dans une dent creuse, placée à la gauche de sa mâchoire inférieure.

Ce fut l’unique événement intéressant qui marqua notre retour. Mais non! j’en oubliais un qui faillit nous être fatal à tous. Lorsque, à notre premier voyage, nous fûmes entraînés par la baleine, notre vaisseau prit une voie d’eau si large que toutes nos pompes n’eussent pu nous empêcher de couler bas en une demi-heure. Heureusement j’avais été le premier à m’apercevoir de l’accident: le trou mesurait au moins un pied de diamètre. J’essayai de le boucher par tous les moyens connus, mais en vain: enfin je parvins à sauver ce beau vaisseau et son nombreux équipage par la plus heureuse imagination du monde. Sans prendre le temps de retirer mes culottes, je m’assis intrépidement dans le trou; l’ouverture eût-elle été beaucoup plus vaste, j’eusse encore réussi à la boucher; vous ne vous en étonnerez pas, messieurs, quand je vous aurai dit que je descends, en lignes paternelle et maternelle, de familles hollandaises, ou au moins westphaliennes. À la vérité, ma position sur ce trou était assez humide, mais j’en fus bientôt tiré par les soins du charpentier.

CHAPITRE VIII Troisième aventure de mer.

Un jour, je fus en grand danger de périr dans la Méditerranée. Je me baignais par une belle après-midi d’été non loin de Marseille, lorsque je vis un grand poisson s’avancer vers moi, à toute vitesse, la gueule ouverte. Impossible de me sauver, je n’en avais ni le temps ni les moyens. Sans hésiter, je me fis aussi petit que possible; je me pelotonnai en ramenant mes jambes et mes bras contre mon corps: dans cet état, je me glissai entre les mâchoires du monstre jusque dans son gosier. Arrivé là, je me trouvai plongé dans une obscurité complète, et dans une chaleur qui ne m’était pas désagréable. Ma présence dans son gosier le gênait singulièrement, et il n’aurait sans doute pas demandé mieux que de se débarrasser de moi: pour lui être plus insupportable encore, je me mis à marcher, à sauter, à danser, à me démener et à faire mille tours dans ma prison. La gigue écossaise, entre autres, paraissait lui être particulièrement désagréable: il poussait des cris lamentables, se dressait parfois tout debout en sortant de l’eau à mi-corps. Il fut surpris dans cet exercice par un bateau italien qui accourut, le harponna, et eut raison de lui au bout de quelques minutes. Dès qu’on l’eut amené à bord, j’entendis l’équipage qui se concertait sur les moyens de le dépecer de façon à en tirer le plus d’huile possible. Comme je comprenais l’italien, je fus pris d’une grande frayeur, craignant d’être découpé en compagnie de l’animal. Pour me mettre à l’abri de leurs couteaux, j’allai me placer au centre de l’estomac, où douze hommes eussent pu tenir aisément; je supposais qu’ils attaqueraient l’ouvrage par les extrémités. Mais je fus bientôt rassuré, car ils commencèrent par ouvrir le ventre. Dès que je vis poindre un filet de jour, je me mis à crier à plein gosier combien il m’était agréable de voir ces messieurs et d’être tiré par eux dans une position où je n’eusse pas tardé à être étouffé.

Je ne pourrais vous décrire la stupéfaction qui se peignit sur tous les visages lorsqu’ils entendirent une voix humaine sortir des entrailles du poisson; leur étonnement ne fit que s’accroître quand ils en virent émerger un homme complètement nu. Bref, messieurs, je leur racontai l’aventure telle que je vous l’ai rapportée; ils en rirent à en mourir.

Après avoir pris quelque rafraîchissement, je me jetai à l’eau pour me laver et je nageai vers la plage, où je retrouvai mes habits à la place où je les avais laissés. Si je ne me trompe dans mon calcul, j’étais resté emprisonné environ trois quarts d’heure dans le corps de ce monstre.

CHAPITRE IX Quatrième aventure de mer.

Lorsque j’étais encore au service de la Turquie, je m’amusais souvent à me promener sur mon yacht de plaisance dans la mer de Marmara, d’où l’on jouit d’un coup d’œil admirable sur Constantinople et sur le sérail du Grand Seigneur. Un matin, que je contemplais la beauté et la sérénité du ciel, j’aperçus dans l’air un objet rond, gros à peu près comme une boule de billard, et au-dessous duquel paraissait pendre quelque chose. Je saisis aussitôt la meilleure et la plus longue de mes carabines, sans lesquelles je ne sors ni ne voyage jamais; je la chargeai à balles, et je tirai sur l’objet rond, mais je ne l’atteignis pas. Je mis alors double charge: je ne fus pas plus heureux. Enfin, au troisième coup, je lui envoyai quatre ou cinq balles qui lui firent un trou dans le côté et l’amenèrent.

Représentez-vous mon étonnement quand je vis tomber, à deux toises à peine de mon bateau, un petit chariot doré, suspendu à un énorme ballon, plus grand que la plus grosse coupole. Dans le chariot se trouvait un homme avec une moitié de mouton rôti. Revenu de ma première surprise, je formai avec mes gens un cercle autour de ce singulier groupe.

L’homme, qui me sembla un Français et qui l’était en effet, portai à la poche de son gilet un couple de belles montres avec des breloques, sur lesquelles étaient peints des portraits de grands seigneurs et de grandes dames. À chacune de ses boutonnières était fixée une médaille d’or d’au moins cent ducats, et à chacun de ses doigts brillait une bague précieuse garnie de diamants. Les sacs d’or dont regorgeaient ses poches faisaient traîner jusqu’à terre les basques de son habit.

«Mon Dieu! pensai-je, cet homme doit avoir rendu des services extraordinaires à l’humanité pour que, par la ladrerie qui court, les grands personnages l’aient accablé de tant de cadeaux.»