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Le lendemain même de ce jour, je dus partir pour affaire de service, et je fus retenu quinze jours hors de chez moi. Aussitôt de retour, je demandai ma Diane. Personne ne s’en était inquiété; mes gens croyaient qu’elle m’avait suivi; il fallait donc désespérer de la revoir jamais. À la fin une idée lumineuse me traversa l’esprit:

«Elle est peut-être restée, me dis-je, en arrêt devant la compagnie de perdreaux!»

Je m’élance aussitôt, plein d’espoir et de joie, et qu’est-ce que je trouve! ma chienne immobile à la place même où je l’avais laissée quinze jours auparavant. «Pille!» lui criai-je; en même temps elle rompit l’arrêt, fit lever les perdreaux, et j’en abattis vingt-cinq d’un seul coup. Mais la pauvre bête eut à peine la force de revenir auprès de moi, tant elle était exténuée et affamée. Je fus obligé, pour la ramener à la maison, de la prendre avec moi sur mon chevaclass="underline" vous pensez du reste avec quelle joie je me pliai à cette incommodité. Quelques jours de repos et de bons soins la rendirent aussi fraîche et aussi vive qu’auparavant, et ce ne fut que plusieurs semaines plus tard que je me trouvai à même de résoudre une énigme qui, sans ma chienne, me fût sans doute restée éternellement incompréhensible.

Je m’acharnais depuis deux jours à la poursuite d’un lièvre. Ma chienne le ramenait toujours et je ne parvenais jamais à le tirer. Je ne crois pas à la sorcellerie, j’ai vu trop de choses extraordinaires pour cela, mais j’avoue que je perdais mon latin avec ce maudit lièvre. Enfin je l’atteignis si près que je le touchais du bout de mon fusiclass="underline" il culbuta, et que pensez-vous, messieurs, que je trouvai? Mon lièvre avait quatre pattes au ventre et quatre autres sur le dos. Lorsque les deux paires de dessous étaient fatiguées, il se retournait comme un nageur habile qui fait alternativement la coupe et la planche, et il repartait de plus belle avec ses deux paires fraîches.

Je n’ai jamais revu depuis de lièvre semblable à celui-là, et je ne l’aurais assurément pas pris avec une autre chienne que Diane. Elle surpassait tellement tous ceux de sa race, que je ne craindrais pas d’être taxé d’exagération en la disant unique, si un lévrier que je possédais ne lui avait disputé cet honneur. Cette petite bête était moins remarquable par sa mine que par son incroyable rapidité. Si ces messieurs l’avaient vue, ils l’auraient certainement admirée, et n’auraient point trouvé étonnant que je l’aimasse si fort, et que je prisse tant de plaisir à chasser avec elle. Ce lévrier courut si vite et si longtemps à mon service, qu’il s’usa les pattes jusqu’au-dessus du jarret, et que sur ses vieux jours je pus l’employer avantageusement en qualité de terrier.

Alors que cette intéressante bête était encore lévrier ou, pour parler plus exactement, levrette, elle fit lever un lièvre qui me parut extrêmement gros. Ma chienne était pleine à ce moment, et cela me peinait de voir les efforts qu’elle faisait pour courir aussi vite que d’habitude.

Tout à coup j’entendis des jappements, comme si c’eût été une meute entière qui les poussât, mais faibles et incertains, si bien que je ne savais d’où cela partait: lorsque je me fus approché, je vis la chose la plus surprenante du monde.

Le lièvre, ou plutôt la hase, car c’était une femelle, avait mis bas en courant; ma chienne en avait fait autant, et il était né précisément autant de petits lièvres que de petits chiens. Par instinct les premiers avaient fui, et, par instinct aussi, les seconds les avaient non seulement poursuivis, mais pris, de sorte que je me trouvai terminer avec six chiens et six lièvres une chasse que j’avais commencée avec un seul lièvre et un seul chien.

Au souvenir de cette admirable chienne, je ne puis m’empêcher de rattacher celui d’un excellent cheval lituanien, une bête sans prix! Je l’eus par suite d’un hasard qui me donna l’occasion de montrer glorieusement mon adresse de cavalier. Je me trouvais dans un des biens du comte Przobowski, en Lituanie, et j’étais resté dans le salon à prendre le thé avec les dames, tandis que les hommes étaient allés dans la cour examiner un jeune cheval de sang arrivé récemment du haras. Tout à coup nous entendîmes un cri de détresse.

Je descendis en toute hâte l’escalier, et je trouvai le cheval si furieux, que personne n’osait ni le montrer, ni même l’approcher; les cavaliers les plus résolus restaient immobiles et fort embarrassés: l’effroi se peignait sur tous les visages lorsque d’un seul bond je m’élançai sur la croupe du cheval; je le surpris et le matai tout d’abord par cette hardiesse; mes talents hippiques achevèrent de le dompter et de le rendre doux et obéissant. Afin de rassurer les dames, je fis sauter ma bête dans le salon en passant par la fenêtre; je fis plusieurs tours au pas, au trot et au galop, et, pour terminer, je vins me placer sur la table même, où j’exécutai les plus élégantes évolutions de la haute école, ce qui réjouit fort la société. Ma petite bête se laissa si bien mener, qu’elle ne cassa pas un verre, pas une tasse. Cet événement me mit si fort en faveur auprès des dames et du comte, qu’il me pria avec sa courtoisie habituelle de vouloir bien accepter ce jeune cheval, qui me conduirait à la victoire dans la prochaine campagne contre les Turcs, qui allait s’ouvrir sous les ordres du comte Munich.

CHAPITRE IV Aventures du baron de Münchhausen dans la guerre contre les Turcs.

Certes, il eût été difficile de me faire un cadeau plus agréable que celui-là, dont je me promettais beaucoup de bien pour la prochaine campagne et qui devait me servir à faire mes preuves. Un cheval aussi docile, aussi courageux, aussi ardent – un agneau et un bicéphale tout à la fois -, devait me rappeler les devoirs du soldat, et en même temps les faits héroïques accomplis par le jeune Alexandre dans ses fameuses guerres.

Le but principal de notre campagne était de rétablir l’honneur des armes russes qui avait quelque peu été atteint sur le Pruth, du temps du tsar Pierre: nous y parvînmes après de rudes mais de glorieux combats, et grâce aux talents du grand général que j’ai nommé plus haut. La modestie interdit aux subalternes de s’attribuer de beaux faits d’armes; la gloire doit en revenir communément aux chefs, si nuls qu’ils soient, aux rois et au reines qui n’ont jamais senti brûler de poudre qu’à l’exercice, et n’ont jamais vu manœuvrer d’armée qu’à la parade.

Ainsi, je ne revendique pas la moindre part de la gloire que notre armée recueillit dans maint engagement. Nous fîmes tous notre devoir, mot qui, dans la bouche du citoyen, du soldat, de l’honnête homme, a une signification beaucoup plus large que ne se l’imaginent messieurs les buveurs de bière. Comme je commandais alors un corps de hussards, j’eus à exécuter différentes expéditions où l’on s’en remettait entièrement à mon expérience et à mon courage: pour être juste, cependant, je dois dire ici qu’une grande part de mes succès revient à ces braves compagnons que je conduisais à la victoire.