Выбрать главу

Il me semble entrevoir une petite lueur, à force de phosphorer. Supposons qu'il se soit produit des divisions dans les rangs de Vosgien. Dans un parti, il existe toujours des tendances diverses, des Girondins et des Montagnards ! Peut-être Vosgien avait-il décidé une action qui a causé une scission parmi ses partisans. Il a provoqué une rébellion chez les modérée ou chez les ultras. Ces factieux ont tramé un complot au sein du complot et ont fait disparaître le chef afin de l'empêcher d'exécuter son programme. Tout cela est subtil, mes filles ! C'est un sacré écheveau à démêler. Pour y parvenir, il faudrait au moins pouvoir saisir une extrémité du peloton et tirer dessus. Seulement, en fait de peloton, j'en ai un bath autour des membres. L'échine commence à me faire drôlement souffrir. Combien de temps va-t-on me laisser moisir dans ce lavoir qui renifle le savon ? J'ai hâte de voir radiner un interlocuteur moins hermétique que le gorille ; quelqu'un de posé à qui je démontrerais la noblesse de mes intentions.

J'en suis là (et j'en suis las) de mes réflexions, lorsqu'un étrange trio fait son apparition dans la buanderie. Outre mon tortionnaire de tout à l'heure, je vois déboucher une femme d'une cinquantaine d'années, anguleuse, à lunettes, à regard pointu et à mise d'institutrice libre. Ses cheveux noirs et lisses sont séparés par une raie médiane, elle a le teint pâle des gens qui considèrent le soleil comme un ennemi personnel, et on devine que rien d'aimable n'est jamais sorti de ses lèvres minces. Le troisième personnage est âgé d'une trentaine d'années. Lui aussi porte des lunettes. Il est bronzé et ne serait pas vilain garçon s'il avait l'air moins préoccupé. Il a l'aspect d'un agrégé de philosophie qui passe à côté de la vie à force de se demander si elle existe. Quand ce copain-là tente de faire reluire une pépée, il la rate parce qu'il descend en marche avant l'arrêt complet du véhicule, histoire de contrôler si l'incidence de son moi second sur son débordement sensoriel saura l'amener à une confrontation probante de sa projection immatérielle avec son scoubidou à moustache.

La dame et le garçon s'avancent jusqu'à mon sarcophage et s'accoudent à la margelle du lavoir.

— Vous êtes le commissaire San-Antonio ? fait le gars à lunettes.

— Sans qu'il y paraisse, oui, déclaré-je. Je suppose que vous êtes le lieutenant de Vosgien, et que la ravissante personne qui vous accompagne est sa secrétaire.

— En effet, vous êtes bien renseigné.

— C'est Carole qui m'a parlé de vous dans l'avion.

Il hoche la tête.

— Vous l'avez suivie ?

— Absolument pas, il s'agit d'une rencontre tout ce qu'il y a de fortuit.

— A d'autres ! grince la momie à bésicles.

— Ecoutez, mes bons amis, fais-je, on ne va pas continuer à gambader dans le coup fourré, ça fatigue et ça ne mène à rien.

Et alors, très calmement, avec un maximum de brièveté et un minimum de mots, je leur raconte exactement ce qui a motivé ma venue au Brésil. Je leur parle de la mission refusée, de l'intervention du sieur Machinchouette et de ma décision de retrouver Vosgien pour son compte à lui !

Les trois personnages m'écoutent attentivement. Seul, le gorille se permet de ricaner pour bien montrer son incrédulité. La secrétaire et le lieutenant restent impassibles.

Lorsque j'ai terminé, la vioque murmure :

— Cette fable est destinée aux enfants et aux imbéciles, monsieur le commissaire !

— Madame, je peux le prouver…

— Ah ! oui ? fait le lieutenant. Ça m'intéresse.

Le vilain pas beau lui touche le bras.

— Oh ! dites, m'sieur Valéry, vous ne trouvez pas que ce salaud de flic nous a suffisamment chambrés comme ça ? Si vous permettez je lui colle une dragée, je le refous dans sa tire et je vais l'abandonner dans un coin désert. Comme les nuits ne sont pas sûres dans le secteur avec toutes ces favelles, les bourdilles du patelin concluront qu'il s'est fait détrousser par un malandro.

— Laissez, Albert, intime la vieille.

— Oh ! oui, laisse, renchéris-je, sans te vexer, tu ne te montres pas accueillant pour tes compatriotes, Bébert !

Une beigne fracassante me fait éternuer la dernière syllabe de son nom.

Valéry s'assoit sur le bord du lavoir.

— Vous disiez que vous pouviez le prouver ?

— Puisque vous m'avez pris mon portefeuille, fouillez-le, sous mon permis de conduire, vous trouverez l'adresse d'un de vos partisans de Rio. C'est lui que je dois contacter et à qui je peux demander, paraît-il, aide et assistance. J'ai l'impression que le moment est venu de le faire, non ?

Sans sourciller, Valéry sort mon larfouillet de sa vague et l'explore. Il déniche à l'endroit par moi indiqué, la carte portant les coordonnées du bonhomme en question. A mi-voix, il lit :

— Hilaro Freitas, 144, avenida Presidente-Vargas, Rio.

Il examine le carton un instant, puis le passe à sa compagne.

— Ça vous dit quelque chose, mademoiselle Staube ?

— Absolument rien, assure Pépette, en remuant son nez en bec de rapace pour faire glisser ses lunettes.

J'ai tout à coup la désagréable impression que la peau de mon ventre se colle à mon épine dorsale, comme l'étoffe d'un drapeau mouillé à sa hampe. Dans quel piège à comte me suis-je fourvoyé ? Pourquoi le sieur Machinchouette m'a-t-il cloqué une adresse bidon ? Dois-je conclure qu'il ne faisait pas partie de la conjuration et qu'il travaillait pour ce fameux troisième groupe que je subodore ? Je suis bien aise de le savoir au trou ; si je me tire de ce guêpier, de retour à Paris, j'irai lui parler de Rio, à ce loustic.

— Vous voyez bien que j'ai raison, m'sieur Valéry, et que ce sale poulet nous chambre à tout va. Vous me laissez m'occuper de lui, dites ?

J'ai idée que la détente de son ami Tu-Tues lui démange l'index. L'inaction et l'exil finissent par déphaser un bonhomme. C'est un primaire, Albert. Il a besoin de s'affirmer un peu, de temps en temps, par des actes irréparable.

— Auparavant, déclare Mlle Staube, il faut qu'il nous dise ce qu'est devenu le patron.

Allons bon ! V'là autre chose ! Mais qu'est-ce qu'ils s'imaginent, ces mannequins ?

— Et comment qu'il va nous le dire ! affirme Bébert. Hein, mon pote, que tu vas nous le dire ?

— Mande pardon, m'sieurs-dame, soupiré-je, je vous explique depuis un moment que je me trouve à Rio de Janeiro précisément pour retrouver Vosgien !

Le gorille regarde le garçon à lunettes. Ce dernier louche sur la secrétaire. C'est un conseil de guerre silencieux. Je crois bien que, mine de rien, je viens de passer en jugement à la muette, les gars. On va me causer du Brésil d'ici pas longtemps.

Effectivement, Albert se penche sur le lavoir et tourne un robinet de cuivre. Une sorte de gros plouf retentit et un cumulus électrique se met à ronronner dans le fond de la buanderie. Un jet d'eau froide me cingle la tête.

Albert passe la main dessous.

— Espère un peu, me dit-il, faut le temps au ballon de se dégourdir ; d'ici quèques instants, ça va pisser chaud !

Une rogne épouvantable m'empare[13].

вернуться

13

Laissez, je préfère le conjuguer de cette façon.