— Mais vous êtes donc bouchés à la reine, les gars ! Si la police française avait kidnappé ou liquidé Vosgien, est-ce qu'elle dépêcherait des poulets ici pour le retrouver ?
— C’est vous qui prétendez ça. En réalité, le patron n'a pas parlé et vous vous introduisez ici pour dénicher les renseignements qui vous manquent à propos de ce que vous savez ! affirme Valéry.
— Les renseignements qui nous manquent à propos de ce que nous savons ! Alors, là, je donne ma langue au chat (et croyez-moi, mesdames, ça ne sera pas la première fois !).
Je pige de moins en moins, sauf toutefois une chose : c'est que ces gens sont persuadés que je leur veux du mal et que, forts de cette certitude, ils vont m'en faire beaucoup ! Déjà la flotte coule tiède. Dans trente secondes je vais leur chanter le grand air de « Chaud les marrons ».
— Un instant ! lancé-je en m'efforçant à la dignité, ce qui n'est pas pratique lorsqu'on est ligoté en arc de cercle et qu'un gros robinet de cuivre vous crache de l'eau quasi bouillante sur la frimousse. Un instant ! Voyons, nous sommes entre gens intelligents. Nous sommes français. Et être français à l'étranger c'est l'être deux fois ! déclamé-je en songeant combien le Vieux bicherait s'il m'entendait.
Je poursuis, un brin pathétique :
— Vous êtes trois, avec des armes et un chien savant. Moi, je suis seul et ligoté. Vous me torturez et vous projetez de m'abattre pour apprendre quelque chose que j'ignore et pour me punir d'un enlèvement que je n'ai pas commis ! Soyez objectifs, sacrebleu ! Si le gouvernement français tenait à avoir les renseignements auxquels vous faites allusion, il aurait envoyé une escouade de poulets pour retourner cette baraque et vous passer les doigts de pied à la moulinette !
— Oh ! je vous en prie, arrêtez ces simagrées ! grince la, girouette à lunettes. Qui d'autre que la police française pouvait faire disparaître Martial Vosgien ?
— C'est justement ce que je voudrais découvrir ! bramé-je.
Et je crie vraiment de bon cœur vu que, maintenant, la flotte est pas loin de 100 degrés. J'ai beau me pencher en avant pour soustraire ma tête au jet brûlant, l'eau me coule dans le dos, traverse mes fringues et m'ébouillante.
— Arrêtez !
— Pas avant que vous parliez !
— Mais je ne sais rien ! JE NE SAIS RIEN ! RIIIIEN !
— Puisqu'il vous dit qu'il sait rien, stoppez le robico, les mecs ! tonne une voix familière.
Et, là-dessus, Béru fait son entrée, armé d'une magnifique pétoire que son silencieux déguise en lampe à souder.
Albert a un geste prompt pour dégainer, mais Béru, impavide, lui défouraille une giclée de prunes dans les nougats et l'autre regarde ses panards percés, d'un œil incrédule et morose.
— Arrêtez illico le robinet, mémé ! Tance Bérurier à Mlle Staube, autrement sinon je vous praline le chignon !
Epouvantée, la vieille fille ferme l'admission d'eau. Le cumulus cesse de ronronner et moi d'être déguisé en truite au bleu.
Béru soulage Bébert des deux feux passés dans sa ceinture.
— Ça te facilitera le déplacement quand t'iras à l'hosto te faire mercurochromer les pinceaux, Mec, déclare-t-il en enfouillant la quincaille.
Il porte le beau costar pied-de-poule essayé naguère dans notre bureau sous l'œil critique du Vieux. Le vêtement est déjà plein de taches et ses poches plaquées ont l'air de deux sacs.
— Pendant que j'y pense, ajoute le Disert, plus la peine de siffler votre Médor, il a voulu me refaire le coup de ce matin, alors j'y ai pété la tronche. Pleurez pas trop c'te bête, un jour ou l'autre vous eussiez eu des ennuis, vu qu'y a rien de plus traître qu'un chien-loup.
Tout en devisant, Sa Majesté tranche mes liens à l'aide de son couteau suisse à dix-huit lames du type officier supérieur.
— Dites donc, môssieur le commissaire, ricane-t-il, je crois que mon arrivée a été au porteur, non ?
— Exact, Alexandre, conviens-je. Comme quoi on a souvent besoin d'un plus gros que soit.
— En arrivant à Rio, ce matin, m'explique-t-il, j'étais venu patouiller un brin dans le secteur, mais c'te carne de chien a voulu déguster mon mollet princier. Je m'ai calté en me promettant de revenir à la noye pourvu du matériel hot dog[14]. A peine j'eusse sauté la barrière et assaisonné Toutou, que j'entends une beuglante. Immédiatelet j'ai repéré tes infections. La voix de son maître. c'est sacré.
Je m'ébroue et saute du bac en ciment. Un coup d'œil au trio me satisfait. La dadame est terrorisée. Bébert sanguinole des palmes en poussant des gémissements et le dénommé Valéry, très pâle, essuie ses lunettes avec sa cravate pour se donner une, contenance.
— Si nous allions discuter de tout cela à la maison ? lâché-je en récupérant mon feu dans la poche du Gros. Je trouve que pour laver notre linge sale, nous ne sommes pas à l'aise dans cette buanderie.
Personne ne se marre de ma boutade : les Vosgien’s partners parce qu'ils n'ont pas le cœur à rire, et Béru parce qu'il ne l'a pas comprise.
— Je peux plus marcher ! râle Bébert.
— Eh ben, reste ici, dédaigne Bérurier. T'as de l'eau chaude pour te nettoyer les blessures.
Il abandonne le garde du corps et referme la porte à clé.
CHAPITRE III
Nous pénétrons dans un grand salon aux meubles de rotin. Un poste de télé fonctionne. Une belle spiquerine souriante raconte à toute allure, et en portugais, que le yéyé brésilien qu'on va auditionner maintenant appartenait à la chorale de la basilique Saint-Zano-Bianco avant de se làncer dans le tour de champ'.
Lovée sur un canapé, Carole regarde l'écran en caressant Uku. Le roquet vocalise. Ce qui nous vaut l'attention de la jeune fille. En m'apercevant, son visage radieuse.
— Oh ! ça s'est arrangé, à ce que je vois, s'exclame mam'zelle Chochote.
— Complètement, mon chou, la rassuré-je.
— Il s'agissait d'un malentendu ?
— Pur et simple.
Elle ne prend pas garde à Béru, toujours nanti de son composteur, et enchaîne :
— Quand Mlle Staube a su que j'attendais un garçon rencontré dans l'avion, elle a fait toute une histoire. Vous voyez bien que je ne m'étais pas engagée étourdiment, mademoiselle !
La vioque a un mince sourire. J'ai idée que si une vipère rigolait ça donnerait à peu près ça.
— Et eux qui prétendaient, il y a un moment encore, que vous étiez un flic et que…
Elle se tait, biscotte Béru est entré dans le champ avec son artillerie de campagne.
— N'ayez pas peur, ma petite Carole, lui dis-je. C'est un homme à moi. Pour l'instant, nous ne voyageons pas pour la même maison, mais dans les cas graves notre amitié refait surface.
En termes concis (au point que je songe à me faire circoncire une fois pour toutes), je lui résume les chapitres précédents.
— Et maintenant, mes bons amis, déclaré-je, on va jouer cartes sur table. Le moment est venu de me croire.
C'est tout particulièrement au lieutenant et à l'acerbe secrétaire que je m'adresse. Ils poussent des mines plutôt déplaisantes, ses chers camarades.
— Je vous fais observer que nous avons la situation bien en main, poursuis-je, et qu'il nous serait possible de parer haut ; mais maintenant encore, je vous répète que le gouvernement français n'est pour rien dans la disparition de Vosgien. Inutile de prendre ces mines entendues, c'est la vraie vérité du bon Dieu comme on l'écrit dans les romans américains. L'inspecteur Bérurier, ici présent, recherche le père de Carole pour le compte de la police française, moi pour le compte de Vosgien qui, s'il vit encore, me paraît en fâcheuse posture. Il est donc indispensable que vous et moi coopérions loyalement. Seulement, comme je ne travaille pas avec Bérurier, mais, dans un certain sens, contre lui, je vais vous interroger hors de sa présence.