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Et elle m'annonce commak :

— Oh ! non, ne soyez pas flirt maintenant, mon petit vieux, j'ai trop faim !

Hein ? Qu'en dites-vous ?

Je n'écouterais que mes impulsions, Mlle Chochote, aussi sec, je la virerais par la portière sans ralentir. Ou bien non, je stopperais ma caisse, je l'en descendrais d'une bourrade et je lui mettrais une bonne volée à l'ombre des bananiers en fleur.

Certes, il m'est arrivé de me faire rebuffer (de l'italien rebuffo) par des sœurs mal lunées ou qui prenaient leur berlingot-dorloté pour le saint sacrement ; mais dans ces cas-là, les rétives agissaient autrement ; elles chiquaient les indignées, style : « Pour qui me prenez-vous ? », ou bien les implorantes, genre : « N'abusez pas de ma faiblesse, j'aime mon mari ! » Mais une pimbêche qui vous crache une phrase comme celle mentionnée plus haut en caractères d'imprimerie (merci à Gutenberg), elle vous porte dare-dare la vanité à l'incandescence, moi je vous le dis. Mes mains se crispent sur le volant. A tête reposée, et en aparté, ce qui n'est pas incompatible mais nécessite toutefois une certaine souplesse cérébrale, je me mets à la traiter de noms qui, je le jure, figurent tous dans le Petit Larousse illustré, mais qui ne sont en aucun cas synonymes de jeune-fille-de-la-bonne-société. Cet épanchement mental, cette hémorragie interne me soulagent quelque peu.

Je remonte le chemin en direction de la grand-route. Nous atteignons le carrefour aux churrascarias et aux postes à essence. Sans un mot, j'arrête la tire devant un petit restau en plein air qui chlingue la fritaille à en faire dégobiller une équipe d'égoutiers. Des Brésiliens dans les tons foncés font la popote sur des barbecues en plein air dont la fumaga fouette agressivement les narines. Des tables de fer bancales, des sièges encore plus bancaux[16] que les tables (je devrais écrire que l'étable), des réclames pour Coca-Cola, des fagots entassés, des plats où s'amoncellent des viandes et des poissons noirs de mouches ; le tout éclairé par une guirlande d'ampoules multicolores et crasseuses, v'là le palace où j'emmène ma conquête. Les clients galimafrent sur le terre-plein prolongeant le carrefour. Ce sont tous des autochtones. En bras de chemise, le poil aussi luisant que les lèvres, ils bouffent à la main des brochettes de viande ou de gambas qu'ils arrosent de sauce pimentée. Je dois reconnaître que je réussis mon petit effet sur Carole.

— Que faites-vous ? me demande miss Seizième d'une petite voix frileuse.

— Il se fait tard et vous avez très faim, dis-je, inutile d'aller plus loin.

Là-dessus je la pousse vers une table où un énorme bonze café au lait becte un plat composé de haricots rouges pilés avec de l'oignon et agrémenté de lardons frits, ce qui est excellent pour la ligne et pour l'haleine. Le gentleman lève sur nous une bouille qui ressemblerait aux fesses du défunt roi Farouk si le postère du regretté monarque (regretté par les radasses de la Côte d'Azur) avait comporté deux yeux.

— Vous permettez, senhor ? je lui fais aimablement.

L'interpellé a un regard pareil à ceux du bouillon gras non encore écumé. Il libère un rot pachydermique qui fait penser à une course de mobylettes dans une cathédrale, crache une peau d'oignon à six millimètres de Carole et opine (d'éléphant).

J'avance un siège à Carole.

— Prenez place, mon petit cœur !

Toujours abasourdie, la gosse pose son délicat valseur sur une chaise qui en a subi d'horribles, et se met à considérer le boulimique avec incrédulité.

Je m'assieds au bout de la table. M'est avis que nous constituons un aimable tableau allégorique, les gars. Miss Deb découvrant l'estomac du peuple !

Un jeune garçon, dont la veste originairement blanche est aussi appétissante que la serpillière d'un ferry-boat par gros temps, vient s'enquérir carte en main, de nos appétits gloutons.

Je lui commande deux brouettes de gambas et deux brochettes de mouton accompagnées de cette farine de manioc mêlée d'œufs durs pilés dont les Brésiliens font leur toile de fond culinaire.

— Et comme boisson ? demande le jeune serveur en se cueillant une crotte de nez qu'il roule sur le mica protecteur du menu.

— Deux noix de coco ! décidé-je.

Carole remonte un peu à la surface. Elle s'arrache progressivement aux algues de la stupeur et me sourit.

— C'est une idée formide que vous avez eue là, dit-elle ; il y a dans tout ça un côté pas vrai absolument inouï.

— N'est-ce pas ?

— J'adore le pittoresque ! assure-t-elle en évitant de justesse une quinte de toux de son vis-à-vis, lequel pulvérise, ce faisant, une estimable portion de haricots rouges.

— Alors, servez-vous ! gouaillé-je.

Mais in petto Je l'admire. La force des snobinards, c'est qu'ils retombent toujours sur leurs pattes.

Le loufiat radine avec deux énormes noix de coco dans leur coque verte. Il est armé d'une machette et sectionne la base du fruit pour lui donner de l'assise. Ensuite, il le décapsule comme un œuf coque (d'où le nom de noix de « coco »), plonge un chalumeau dans l'orifice et présente le tout à Carole. Elle se met à téter sa paille avec délectation.

— Fabuleux ! s'écrie-t-elle, et d'une fraîcheur ! C'est toute l'euphorie végétale qu'on absorbe.

— Exactement ce que je pense, renchéris-je en tirant une ponction de lait de ma noix de coco et en évoquant le château pétrus que je sors de ma cave pour les grandes occasions.

Elle a bien pris son parti de l'aventure, Carole. Elle pense déjà en quels termes elle va raconter ça à ses amies de Passy et d'Auteuil. Elle n'a plus de haut-le-cœur lorsque le Bérurier brésilien se cure les dents avec un bâtonnet effilé et distribue sa provende en crachotis circulaires.

— Vous avez trouvé du nouveau, pour papa ? demande-t-elle.

— Pas grand-chose, fais-je, le mystère reste entier.

— J'aime beaucoup sa propriété, dit Carole. Il devait être rudement bien, ici.

— Un vrai paradis, admets-je. Il y a longtemps qu'il a auprès de lui Staube et Valéry ?

Elle esquisse une moue.

— La Staube, ça fait plus de quinze ans qu'elle est sa secrétaire. Je suppose qu'elle doit être amoureuse de lui et qu'elle cache sa photographie sous son oreiller. Ces femmes-là, sexuellement, ne tournent pas rond.

— Pas marrant ! m'apitoyé-je.

— Et surtout peu hygiénique ! assure Chochote.

— Et Valéry ?

— Lui, c'est le fils d'une grosse galette d'Afrique du Nord. Un idéaliste qui s'est passionné pour la politique de père.

Je me dis que moi, si j'étais fils de grosse galette, j'en ferais peut-être autant. La politique ça m'a toujours paru être une inoccupation de cossard. Je ne la conçois pas à l'état endémique. C'est pas une profession, mais une profession de foi qui doit se manifester quand vous pénétrez dans un isoloir, ou bien lorsque le moment est venu de décrocher son flingue et de descendre dans la rue histoire de se faire tuer pour 40 sous ! Y a que comme ça que je veux bien me faire effacer : pour 40 ronds ou à l'œil et sur un tas de pavés. Le jour qu'il faudra, je suis preneur pour chiquer les héros, à condition que j’en aie vraiment marre, que mon indignation dépasse les bornes et me pousse à me guymoller sur l'hôtel[17] de la patrie.

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16

Le français étant ma langue autant que la vôtre, j'ai le droit d'en disposer à ma guise, compris ?

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17

J'aime pas l'autel de la patrie, on y bouffe trop mal.