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Je le stoppe d'un geste, car la tendre voix ensommeillée de ma brave femme de mère balbutie des «  Allô ! j'écoute » apeurés.

— C'est moi, m'man, la rassuré-je. Pardonne-moi de te réveiller en sursaut, mais ça urge.

— Tu n'es donc pas dans ta chambre ! reproche la pauvre chère vieille.

— Non, il y a eu du nouveau, je te raconterai.

— Mais où es-tu ?

— Ecoute, m'man, je te jure que j'ai pas le temps de t'expliquer. Dès que j'aurai raccroché, tu demanderas la communication avec la France et tu appelleras mon directeur ; tu connais son numéro privé ?

— Par cœur, Antoine.

— Bon. Tu lui diras que nous nous trouvons à Rio, où j'ai découvert qu'un attentat était prévu contre notre président après-demain, pendant qu'il inaugurera la nouvelle centrale atomique de Barbu-le-Vicomte.

Exclamations angoissées de Félicie.

— Seigneur Jésus ! Est-ce possible ?

— Tu te rappelleras bien tout, m'man ?

— Tu penses que oui, mon grand ! Après-demain, un attentat contre le président à la centrale de Barbu-le-Vicomte. Mais dis-moi, Antoine, tu es en danger en ce moment puisque tu ne l'appelles pas toi-même ?

— Je n'ai pas le temps d'attendre la communication, m'man. En tout cas, rassure-toi, c'est avec la police d'ici que j'ai quelques démêlés. Si ça ne s'arrangeait pas tout de suite, rentre en France. Les billets de retour sont dans le tiroir de ma table de nuit.

La « police d'ici » commence à réagir bruyamment. Elle vocifère comme tout un marché au poisson.

— T'inquiète pas, va ! lancé-je à Félicie. C'est un simple contretemps. Fais ce que je dis. Si le Vieux te pose des questions à propos de notre venue au Brésil, dis-lui que tu n'es au courant de rien. Je t'embrasse !

Je raccroche et nous fonçons au moment où les premiers coups d'épaule commencent d'ébranler la porte du bureau.

* * *

Les rues sont peu encombrées ; pourtant la vie continue. On sent un frémissement dans l'air toujours orageux. Les prémices du carnaval empêchent les gens de pioncer. Çà et là, sur les trottoirs, de vieilles femmes de couleur, accroupies dans des oripeaux, vendent de louches denrées alimentaires à la lumière d'une bougie chancelante : des grappes de maïs grillé, des saucisses noires de mouches, des fruits gâtés. C'est pitoyable, mais je n'ai pas le temps de m'apitoyer !

Galoper n'empêche pas de raisonner. Je me dis que mes poches sont vides et que je n'ai pas un fifrelin sur moi. A quoi rime cette galopade, dans la nuit brésilienne ? Où aller ? Le coup de fil à m'man passé, on aurait dû ouvrir à nos victimes et nous constituer prisonniers. Seulement, elles auraient peut-être mal réagi après la séance que nous leur avions fait subir. On a le sang chaud, dans ce pays, la détente facile. Le gorille était chiche de nous allonger et de se retrancher ensuite derrière le délit de fuite.

On cavale de la sorte pendant cinq minutes jusqu'à ce qu'époumonés, nous nous adossions à la grille d'un magasin.

Un filet de bave dégouline des babines du Molosse.

— Et maintenant, docteur ; quel est le traitement à suivre ? halète mon bon Béru.

Malgré notre situation critique, je me sens réconforté de l'avoir auprès de moi.

— T'as de la fraîche sur toi ? lui demandé-je.

— Penses-tu, ces tantes m'ont ratissé de con t'en fomble ! Note qu'avec toute cette artillerie de campagne on pourrait demander poliment son larfouillet à un passant, mais c'est pas dans mes principes.

Il renifle une stalactite argentée et soupire :

— Nature riche[24], il est pas question de s'annoncer à la cabane Copa ?

— Au Copacabana Palace ? Oh ! non, pas question du tout. Tu penses que c'est là-bas qu’ils vont aller en premier.

— Du temps que tu y étais, t'aurais pu dire à maâme ta mère de nous faire apporter un peu d'artiche par Fernande.

— Pour que ta gosse d'amour, qu'ils connaissent maintenant, se fasse filer ? Dis-toi bien qu'ils y sont déjà, au Copacabana. J'espère qu'ils n'embêteront pas trop maman et qu'elle pourra tuber au Vieux !

Nous en sommes là de nos digressions lorsqu’une Jeep bourrée de matuches débouche du carrefour et fonce silencieusement dans notre direction.

— Mince ! Les archers ! gronde Bérurier, ah ! dis donc, ils perdent pas de temps pour ramoner le quartier !

Je sens que les occupants de la Jeep nous ont repérés. La manière dont l'auto a braqué sec vers nous en est la preuve.

— Taillons-nous ! dis-je.

Je me mets à galoper dans le sens opposé à la Jeep. Une balle siffle au-dessus de ma tête. Ça rameute la rue. Des cris se bousculent aux fenêtres et les rares passants décident de vérifier si la position de la tortue n'est pas enviable dans certaines circonstances.

J'avise une galerie marchande, je m'y jette littéralement. Là, au moins, la Jeep ne pourra pas passer ! La galopade du Gros constitue l'écho à la mienne. Ça défouraille encore, des vitres se déguisent en flaques.

Par chance, une galerie plus petite prend dans la galerie principale. Les coups de feu cessent dès que nous nous y sommes engagés.

— T'es pas blessé, Gros ?

Il fait non de la hure, n'ayant plus la force d'articuler une broque.

Je continue de courir, de trotter plutôt, car je commence à morfler un point de côté très méchant. On m'enfoncerait un tisonnier rougi entre les cerceaux que ça me ferait le même effet.

Je songe que nos poursuivants vont cerner le pâté de maisons… Je débouche sur une ruelle éclairée encore avec des becs de gaz. Quelques pédés tapineurs me font « mfft mfft » du bout des lèvres. Je leur détale sous le nez pour un nouveau sprint. Je prends une ruelle à droite, plus sombre encore. Une autre à gauche… La galopade de Béru se fait moins présente. M'est avis qu'il commence à traîner des cannes, Béru. On va pas marathoner de la sorte toute la nuit. Faut trouver autre chose… Je ralentis, il s'annonce, lourdement, pareil à un gros percheron exténué.

La rue où nous nous trouvons paraît absolument déserte. Je constate alors qu'elle borde des entrepôts. Nous sommes près du quai. D'immenses poubelles métalliques sont alignées le long du trottoir. Ça chlingue le poisson vilain dans le secteur. Ces entrepôts doivent être des poissonneries en gros.

— Oh ! merde ! agonise Béru en stoppant, je déclare forfait, Mec, et je rends mon dossard.

On perçoit une rumeur assez lointaine. Notre démarrage fulgurant et nos zigzags dans les venelles nous ont permis de distancer provisoirement l'adversaire qui a pour lui le nombre et la connaissance de la ville. Je culbute deux poubelles pour que leur répugnant contenu se répande sur le trottoir où il débordait déjà.

— Planquons-nous dans les poubelles, Gros, et ne bronchons plus.

— Je vais jamais tenir ! lamente-t-il.

— Tasse-toi ! C'est pas le moment de penser à ton confort !

L'odeur qu'exhalent ces récipients est infecte, mais, dans ces cas-là, le sens olfactif devient un sens mineur. Je regarde le Gros se lover dans sa poubelle ! Enfin tel qu'en lui-même, Béru ! Il regagne son gîte originel. Il retrouve sa housse, son écrin !

— Tasse-toi encore ! le sommet de ta bouille dépasse !

Il fait un effort, devient absent, alors je plonge entièrement dans mon tas de sanie et j'attends.

Ne pas broncher ! Oublier l'odeur !… J'évoque le quai aux Fleurs, au printemps, avec les pots de jacinthes alignés, les jonquilles et les narcisses, tout ça odorant à qui mieux mieux…

Je pense à des coins alpestres, purs et bleus. Je respire des parfums de femme…

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24

Pour naturlich, probable.