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Les Albanais, je sais pas si on te l'a raconté, c'est pas des ultra-marrants. Faudra que je leur fasse expédier une bonbonne de fluide glacial, une douzaine de vessies pétomanes et un service complet de verres baveurs pour essayer de les dérider. M'est avis qu'ils doivent aller se planquer dans les gogues pour se marrer un petit coup à la sauvette. Et encore, y a sûrement un œilleton de contrôle dans leurs cagoinsses, je présume. Ah ! ils sont loin du roi Zob, pardon : Zog, les mecs ! D'Edmond About (de forces) le Roi des montagnes, une chiée histoire.

M'en souviens plus très bien. Fallait que je prenne l'escabeau pour décrocher ce book, tout en haut de bibli. About, tu penses ! Ab. Il commençait la série. Depuis, y a eu Aaron… About, c'était le torticolingue assuré. Zola, le tour de reins. Des gaziers impecs : Flaubert, Gauthier… Tu les avais à la hauteur d'œil. C'est ça, en littérature, les véritables privilégiés. Moi, j'aurais fait grand écrivain, au lieu d'écrivain populaire, j'étais sûr de morfondre en bas de rayons : San-A., tu parles. Le « S », à la cave, juste avant Voltaire. Heureusement, on me séjourne dans les chiottes. Si bien que, dans quelque maisonnée, toute la family me manipule au moins une fois par jour, et plus quand il y a chiasse en la demeure. De la sorte, je suis perdurable (de lièvre). Parfois, quand le distributeur de faf à train fait relâche et qu'un déféqueur se trouve en rade, on m'ampute la page de garde, celle du faux titre, et la dernière, si ça ne suffit pas, celle où figure le blaze à Bussière, notre imprimeur. Les autres, ils n'osent pas. Ce serait sacrilège. Alors, ils se sèchent à l'air ; en s'éventant l'oignon de la main. La vie a ses pauvretés… Elle n'a presque que cela, d'ailleurs. On s'accommode. On se dit que bon, pour le temps qui nous reste, ça ira bien. Et, de fait, ça va bien. On fait avec, on se résigne. Quand t'es pas de la jaquette flottante, un trou du cul ne tire pas à conséquence…

Et je te reviens à l'Albanoche qui me reçoit… Cette frite, mes aïeux ! Noire, aiguë, avec des poils sur les pommettes et un regard de faucon affecté de strabisme. La bouche en coup de poignard. Fringué bodygraphe.

Je lui décline mes titres. Lui explique qu'on recherche leur Mercedes noire, laquelle a heurté une vieille dame, laquelle est morte, laquelle mort doit être sanctionnée comme il convient, nonobstant l'immunité diplomatique…

Le regard du gars s'assombrit et se pince de plus en plus. Un moment, je me demande s'il va pas me faire fusiller séance tenante par ses secrétaires qui doivent toutes avoir une Raskolnikov dans leur placard.

Il laisse tomber les commissures de ses lèvres pour causer.

— Notre consulat ne possède aucune Mercedes noire.

Je lui allonge le numéro relevé par Pinaud.

— Et aucune plaque minéralogique portant ces chiffres ? insisté-je.

Il lit, sourcille, ce qui barre le sommet de son visage d'un large trait noir. Puis il sort de la pièce sans s'excuser.

J'attends en regardant la photo officielle d'un gus pas marrant dans un cadre doré orné d'un drapeau albanais. Ses yeux sont si acérés qu'ils doivent « m'observer pour de bon ». J'essaie de le désarmer d'un beau sourire franc et massif, mais il garde son visage de bois.

Au bout d'un moment, celui qui s'occupe de mon problème revient, l'air plus que pas content.

— Effectivement, ce numéro correspond à une de nos voitures, annonce-t-il, mais il s'agit d'une Volvo gris métallisé de modeste cylindrée.

— Me serait-il permis de la voir ?

Il va pour refuser ; j'ajoute précipitamment :

— Ainsi je pourrais attester qu'il ne s'agit pas du véhicule incriminé, et la chose serait classée.

Cette seconde partie de mon discours le convainc.

— Suivez-moi !

Trois tires dans le garage, surveillées par un mec chafouin à l'air enchifrené (il a peut-être le rhume des chafouins). Une DS blanche, une Golf GTI, la Volvo métallisée portant le numéro que Pinuche a relevé sur la Mercedes.

Mon escorteur dit un truc en albanais moderne au gardien du sérail. Ce dernier va fouiller la boîte à gants de la Volvo et en extirpe la carte grise de la chignole, munie d'un volet protecteur transparent. Sans un mot, il me la tend. J'en prends connaissance et, de fait, le numéro fatidique a bien été attribué à la Volvo.

— Satisfait ? me demande l'escogriffe au vrai regard de faucon.

— Convaincu, lui dis-je en rendant le document.

— La personne qui a relevé le numéro se sera probablement trompée ?

— Je ne pense pas.

— Vous envisagez une autre hypothèse ?

— Oui.

— Laquelle ?

— Quelqu'un a reproduit cette plaque pour équiper une voiture dont il ne se sert que dans des cas particuliers.

— Cela me paraît bien téméraire.

— Quelqu'un de téméraire, dis-je d'un ton léger.

Le condor brun caresse les poils de ses pommettes.

— J'espère que vos services parviendront à mettre la main sur cette Mercedes fantôme…

— Je l'espère plus que vous. Bon, eh bien, il me reste à vous remercier pour votre accueil chaleureux.

Il semble ne pas relever l'ironie de mon propos et me raccompagne jusqu'à la sortie du consulat.

Je me retiens de lui tendre la main, sachant bien qu'il n'aurait pas la moindre envie de me la serrer. Ses yeux pincés se plantent sur ma bouille comme une pince de homard.

Alors je balance la sauce :

— Vous recevez beaucoup de Japonais ici ?

Cette question-grappin pour tenter d'arracher une réaction au bonhomme.

Je l'obtiens. Il a un léger tressaillement musculaire. Son grand zygomatique dérape. Son regard poinçonneur me quitte un bref instant. Touché !

Puis il se récupère. Le tout n'a pas duré deux secondes.

— Pas à ma connaissance ; pourquoi ?

— Pour rien, merci.

Je m'éloigne. Thérésa que j'ai récupérée m'attend dans sa voiture bordelière, à deux streets de là. Installé à son côté, je renverse ma belle tronche d'intellectuel surchauffé sur l'appui-tête. Fatigué, fatigué, fatigué ! En rade de pionce. Le jour où je prendrai des vacances, j'irai dans une auberge au fond des bois, j'avalerai un somnifère, histoire d'en rajouter, et je dirai qu'on me laisse dormir pendant trois jours d'affilée.

— Qu'est-ce que ça donne ? demande ma consœur.

— Intéressant. Plus j'avance, plus je me rends compte que le K.K. Boû Din est une organisation gigantesque qui a noyauté tous azimuts. Il a raison, Yamaha Késouton Ku, nous ne sommes pas de taille.

— Tu cherches quoi ?

— Je suis une pauvre tête de nœud qui s'obstine à vouloir récupérer une tête d'ogive parce que le président de la République l'exige.

— Celle que Karol le Pieux venait d'obtenir quand on l'a tué ?

— Affirmatif.

— Mais on l'a buté pour la lui prendre, non ? C'est donc sans espoir ; elle a été fourguée depuis belle lurette !

— Le président pense que non.

— Il se base sur quoi, ce grand homme ?

— Tous les services de renseignements occidentaux ont été progressivement contactés et aucun d'eux n'a eu vent d'une quelconque transaction à ce sujet. L'état-major des S.R. français incline à penser que l'ogive de merde est en rideau quelque part et que ceux qui la détiennent prennent leur temps pour traiter. Il se demande même si Karol ne l'aurait pas planquée avant de crever et il ne serait pas surpris qu'elle n'eût point été retrouvée…

— Bon, alors tu en es où et que décides-tu ?