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L'air très « in », mézigue, avec une autorité, un mordant que je regrette de pas jacter devant une glace, ce qui me permettrait de m'admirer.

— Ouais, ouais, hier, il me répond, subjugué.

— Il ressemble à quoi, maintenant ?

Il se marre.

— Lustucru !

— Au poil. Maintenant, si j'ai un conseil à te donner, dis pas à ton patron que tu me l'as appris, ça pourrait te mettre en panne de santé, mon grand.

Le rugissement continu du bec à souder cesse. Ouf pour mes portugaises ! Le taulier, ou le tôlier, relève son casque vitré. Il a une bouille antipathique pour un gros. Des yeux de goret et une expression tortionnaire, moi je trouve. Il t'arroserait la gueule de son lance-flammes sans que ça fasse un pli.

— Qu'est-ce qu'il veut ? demande-t-il à son grand glandeur au lieu de s'adresser directo à moi, ce qui, conviens, est plutôt mal élevé.

L'autre ouvre déjà sa clape pour une connerie, mais je le prends de vitesse :

— Je lui demandais où se trouvait l'Agence Citroën la plus proche : on est en bisbille avec notre carburateur. Comme vous êtes carrossier, vous devez savoir ça, non ?

— Faut aller à Mantes-la-Jolie.

— Je sais pas si ma CX sera d'accord, je ronchonne. Enfin, je vais me débrouiller.

Et je file après un clin d'œil complice à l'albinos. Le soudeur ressoude, à l'inverse du bicarbonate qui, lui, dessoude.

Ils sont serviables, chez Lustucru. Eux autres, tu les connais ? Les œufs fêlés de Germaine, ils les lui carrent dans l'oigne ; mais à part ça, outre leurs pâtes aux z'œufs frais, ils font des pieds et dés mains pour t'être utiles.

En moins de jouge, ils me fournissent la liste complète de leur parc automobile ainsi que la position approximative de tous leurs camions au cours de cette journée. Fort de ces renseignements, je déclenche le plan Pattemouille, sur l'ordre exprès, ferme et définitif de M. le président de la Raie biblique.

Dans l'heure qui suit, six mille policiers, trois mille huit cent trente-deux gendarmes, huit cents contractuelles, mille six cent onze gardes champêtres, douze mille C.R.S., deux compagnies d'artillerie de marine, six bataillons de chasseurs alpins, cinquante pour cent des S.R., treize cent quarante douaniers et deux mille cinquante postiers bénévoles se mettent en quête d'un fourgon Lustucru. Dix-huit lignes téléphoniques sont bloquées pour recueillir leurs appels. Une équipe de vingt secrétaires diplômées collationne les numéros. Mon but, tu l'auras pressenti, je gage : découvrir sur le territoire un fourgon Lustucru dont l'immatriculation ne figurera pas sur la liste que nous a remise cette illustre maison qui préfère couper les nouilles au sécateur, plutôt que de couper les couilles au sénateur.

Et la tante commence, comme on disait chez Mme Arthur. Une ambiance effrénée, kif celle d'S.V.P. les soirs de grande émission publique quand la tévé fait semblant de laisser la parole aux cons.

Pendant ce déploiement, je prends un peu de repos dans un burlingue voisin. J'ai posé mes lattes et les nougats en éventail sur le sous-main en cuir artificiel véritable, et me laisse dodeliner.

Tu crois que je roupille ? Tiens, smoke ! Trop phosphorant du bulbe, ton Tonio, l'ami ! J'essaie de récapituler. De piger. Ce nouveau P.-D.G. du K.K. Boû Din qui se déplace dans un fourgon banalisé, qui stationne des heures, voire des jours, sur un parking ou dans une rue sans quitter sa prison camouflée, ça veut dire quoi ? Que fiche-t-il, le nouvel élu, dans son cube de luxe ?

J'ai beau tenter de défricher le mystère, le point d'interrogation continue de se dresser dans mon cerveau, luisant comme de l'acajou. J'évasive de plus en plus de la pensarde.

— Monsieur le commissaire !

Mes petons choient du bureau et je banque masculer en avant. La secrétaire qui vient d'entrer, avec son beau sourire et son cul cordial, me vape d'un regard tout bleu.

— Moui qu'donc ? coassé-je.

— On a trouvé ce que vous cherchiez.

Elle me présente une feuille de bloc.

— Cette immatriculation n'appartient pas à Lustucru. Le fourgon qu'elle concerne est stationné à Deauville, près du Grand Hôtel Carabosse depuis midi.

Le cœur me fait battre la joie, à moins que ce ne soit le contraire.

— Approchez-vous davantage, mon enfant ! conseillé-je à l'annonceuse de bonne nouvelle.

Elle fait le pas supplémentaire qui la met à portée de main. Je coule ma dextre sous sa jupe et remonte langoureusement son entrejambe. Je dois tirer sur sa vacherie de collants pour pouvoir escalader celui-ci et poursuivre ma marche triomphale jusqu'à son arc de triomphe. Je dépose un gratouillis mutin sur son poilu inconnu.

— Vous l'avez bien mérité, mon petit cœur, assuré-je. N'oubliez pas de me téléphoner demain matin, chez moi. J'ai deux places pour l'Hôtel de La Papouille Bleue, ce serait dommage de les laisser perdre. Maintenant, prévenez le pilote de l'hélico qu'on va décoller dans un quart d'heure.

C'est la môme Thérésa qui me drive jusqu'à l'héliport. Sa tire possédant tous les gadgets, elle comporte également, pour les urgences, un gyrophare et une sirène déblayeuse de glandeurs.

Ces petits perfectionnements (sur option seulement), joints au coup de volant de mon amazone, permettent de réaliser une jolie prouesse. Moins d'une demi-plombe après la découverte du fourgon « de trop », nous sommes dans les airs, Thérésa et moi, à bord d'une Alouette Anouilh à circonvolution biflexe.

Le ciel est de plus en plus bleu. Mon âme également.

— Vous l'apercevez, là-bas, sous le lampadaire ? me demande le commissaire Judemoule.

Je fais mieux que l'apercevoir. Grâce à mes lunettes d'approche, je le vois comme je vois une tête de nœud lorsque je te contemple. Cher père Lustucru, toujours sur la brèche. Il ne tente pas les curés fernandéliens, lui. Oh ! que non ! C'est pas un corrupteur, Dieu n'a rien à lui reprocher. Il peut rire à l'aise, le cher homme ; sa conscience est aussi fraîche que ses œufs. Et cette vieille peau de Germaine qui tentait de lui en refiler un douteux ! Mais t'as vu le comment qu'il a l'œil, m'siéur Lustucru ? Et calmos, sans se fâcher : « Pas de ça, Lisette (Germaine). Chez nous autres, les Lustucru's friends, on marne dans le surchoix, le plus que parfait ! On travaille pas pour les curetons. On engraisse la vraie véritable élite, nous autres ! »

— Vous le surveillez depuis que vous l'avez repéré ?

— Si fait, mon cher.

Son cher hoche sa sublime tête de penseur décompensé.

— Avec toutes les précautions requises pour ne pas être repérés de lui ?

Judemoule se vexe. Les provinciaux, un gars de Pantruche s'amène, illico ils se changent en hérissons.

— Ecoutez, collègue, faites le tour de l'esplanade, et si vous repérez nos « anges gardiens », je vous paie des filets de sole normands.

— Inutile de me faire remarquer en arpentant l'esplanade, mon bon, vos gars se trouvent dans la fourgonnette des P.T.T. rangée sur le bord de mer.

Judemoule démarre un ictère si j'en crois son teint jaunassu.

— Vous, vous êtes du métier, plaide-t-il.

— C'est vrai, admets-je ; seulement le mec qui séjourne là-dedans est du sien ! Où est passé le chauffeur du fourgon ?

— Il est descendu à l'Hôtel de la Capote britannique, à deux rues d'ici.

— Preuve que mon M. Mystère compte séjourner.

— Probable.

Thérésa sifflote entre ses dents, à l'arrière de la Pigeot de mon confrère.

— Vous passez à l'attaque ou on se fait cuire un bœuf mode ? me demande-t-elle brusquement.

Je reprends à mon compte son sifflotement interrompu. C'est l'indicatif d'une émission dont j'ai oublié le titre.