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Le rapport de l’examen tomodensitométrique cérébral mentionnait la présence d’une hémorragie sous-arachnoïdienne limitée dans la région sylvienne droite, sans œdème cérébral ni déviation du système ventriculaire.

La résonance magnétique avait détecté des lésions axonales diffuses dans le mésencéphale et une lésion stratégique touchant les deux pédoncules cérébraux.

Enfin, les analyses sanguines avaient indiqué que l’homme était dans un état de santé satisfaisant. Seuls des signes de diabète avaient été dépistés. Le tensiomètre avait établi qu’il souffrait d’un peu d’hypertension et les stigmates d’une ancienne blessure avaient été relevés sur son épaule gauche.

Assez curieusement, il ne présentait aucune avitaminose, comme c’était souvent le cas chez les SDF.

Avant que l’équipe de nuit ne s’en aille pour laisser place au personnel de jour, le médecin-chef s’empara du rapport médical de X Midi, appela les infirmières et se rendit avec elles au chevet de l’homme.

Il consulta le document et s’adressa à l’infirmière de nuit.

— Avez-vous observé une réaction au cours des dernières heures ?

Elle répondit par la négative.

— Non, aucune réaction. Pas de sueur, pas d’agitation non plus.

Le médecin se pencha et examina les pupilles de l’homme.

— Il est stable, je vais l’extuber.

L’opération prit moins d’une minute. Lorsque le tube fut retiré et le masque à oxygène mis en place, il s’adressa à la seconde infirmière.

— Prenez contact avec la neuro et demandez-leur de préparer une chambre. Nous allons le garder ici ce matin et s’il n’y a pas de complications, nous le monterons en fin de matinée.

— Bien, Monsieur.

— Surveillez-le pendant la prochaine heure. Refaites un Glasgow avant de le transférer. En attendant, continuez la Fraxiparine et le Perfusalgan.

Elle approuva d’un mouvement de tête.

La seconde femme jeta un coup d’œil au patient et baissa le ton.

— Il faut que je vous parle, Monsieur.

Le médecin suivit la direction de son regard et prit l’air surpris.

— Vous le connaissez ?

La veille, deux policiers étaient venus prélever les empreintes de l’inconnu. Ils avaient également pris quelques photos dans l’espoir de pouvoir l’identifier. Jusque-là, aucune famille ne s’était manifestée pour signaler la disparition de quelqu’un répondant à son signalement.

L’infirmière esquissa un maigre sourire.

— Non, ce n’est pas ça.

Il la prit à part.

— Je vous écoute.

— Avant d’entrer ici, j’ai travaillé à César De Paepe pendant trois ans. Pendant l’hiver, ils organisaient un service de soins pour les SDF. Le soir, les sans-abri pouvaient recevoir des soins gratuitement. J’ai été plusieurs fois affectée à ce service.

— J’en ai entendu parler.

— Les hommes que j’ai soignés là-bas présentaient des caractéristiques similaires. Quel que soit leur âge ou leur état de santé général, ils avaient les dents gâtées et les ongles des pieds en très mauvais état. Ils développaient une sorte de seconde peau sur tout le corps. Il fallait les laver quatre ou cinq fois pour avoir un début de résultat. En plus, ils présentaient des symptômes liés aux carences vitaminiques. Un autre indicateur nous permettait de repérer les SDF de longue durée.

Elle s’arrêta, chercha ses mots.

Le médecin intervint.

— L’hygiène intime ?

Elle acquiesça.

— Oui, les SDF perdent les réflexes élémentaires d’hygiène intime.

— Qu’est-ce que vous en concluez ?

— Malgré les apparences, je suis sûre que cet homme n’est pas un sans-abri.

6

Le sourire de ma mère

Hiroshima.

Ma mère disait que ma naissance avait mis fin à la guerre. Elle disait cela en souriant. J’étais assis dans la cuisine. Je la regardais. Je ne savais pas ce que ces mots voulaient dire. Sans doute étais-je heureux.

Elle préparait le repas, se séchait les mains sur son tablier et me souriait de plus belle.

Je suis né le 6 août 1945.

Plus tard, j’ai appris que ce jour-là, Little Boy avait tué près de cent mille personnes. Cent mille innocents, assassinés, massacrés, brûlés vifs en l’espace de quelques minutes pendant que je sortais du ventre de ma mère. Je n’ai jamais compris que quiconque ait pu se réjouir d’une telle ignominie. Je ne suis jamais parvenu à entrevoir les perspectives optimistes qui étaient liées à cet événement, mais seulement le tribut expiatoire qui en résultait.

De mon enfance, je ne conserve que des impressions diffuses et quelques souvenirs aux contours incertains. De temps à autre des images, des odeurs ou des sensations surgissent du trou noir qui a comblé ma vie.

L’espace d’un instant, elles émergent, gesticulent. Je les perçois avec une acuité saisissante. Je pourrais en décrire chaque détail.

Ensuite, elles s’éloignent. Certaines reviennent pour me harceler, m’ensorceler ou m’émouvoir. D’autres agissent tel un flash, elles m’éblouissent et disparaissent à tout jamais. Des pans entiers de ma vie se sont ainsi estompés dans les miasmes du temps.

Il faisait chaud. Peut-être était-ce la chaleur qui émanait de ma mère qui me laisse cette impression ? La radio diffusait de la musique classique. Les choses semblaient simples, la réalité était accessible.

Nous habitions dans un petit appartement situé au-dessus d’un garage, dans l’avenue de la Couronne, non loin de la caserne de la gendarmerie.

J’étais assis dans la cuisine, je dessinais des mondes nouveaux à l’aide de mes crayons de couleur. Avec mes camions Dinky Toys, mon Meccano et le jeu de cartes que j’avais gagné à la tombola, ils formaient l’ensemble de mes jouets, mon univers.

Le passage de la cavalerie constituait la principale attraction de la journée. Dès que j’entendais le bruit des fers sur les pavés, je me ruais à la fenêtre. Tout le monde en faisait autant. Les voisins apparaissaient aux balcons et aux fenêtres.

Nous regardions les escadrons. Les chevaux marchaient au pas, à deux, trois, ou cinq de front. Les voitures se rangeaient pour les laisser passer.

Les gens avaient le temps.

Les jours de pluie, les cavaliers étaient couverts d’un long manteau qui se déployait sur la croupe du cheval. Parfois, ils défilaient dans leur tenue d’apparat. Ils avaient une sacrée allure avec leur étendard et leur bonnet à poils noir.

Personne ne semblait importuné par les monceaux d’excréments que les chevaux abandonnaient derrière eux.

Lorsqu’ils partaient encadrer une manifestation au centre-ville, les gendarmes s’équipaient d’un casque et d’une longue matraque.

En fin de matinée, je guettais l’arrivée de la carriole verte de l’Union économique. Ma mère et moi descendions pour acheter le pain du jour. Je m’approchais du cheval, mais n’osais le caresser. Il portait des œillères. Je me penchais et tentais en vain de capter son regard. Il me faisait peur.

Vers midi, nous entendions la cloche du marchand de soupe. Je courais à la fenêtre et regardais les gens s’affairer à l’arrière de la camionnette, une casserole à la main. Dès qu’ils avaient disparu, je retournais dans la cuisine.