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Bérurier ne pige pas, du fait que je parle anglais comme ma poche ; il fait joujou avec les ustensiles chirurgicaux rassemblés dans la salle. Entre autres, un bistouri électrique capte son intérêt. Il se met à en jouer, comme il étudierait le maniement d’un rasoir à pile. Le déclenche, le circonvolute, tout ça ; bref se fend la poire avec.

— Elle va causer ? il demande.

— Vous comprenez le français ? fais-je à la fille.

— Naturellement.

— Alors répondez directement à mon valeureux compagnon.

Elle se tait, plongeant son regard de tigresse bengalienne jusqu’au fond de mes prunelles françaises pour voir si j’y suis.

Comme le silence se prolonge, Bérurier s’annonce (apostolique, évidemment (chacouille) avec son bistouri-gadget.

— Une supposition que tu veules pas parler, dit-il, eh ben t’as plus de nez, ma poule. J’ te file un p’tit coup d’tronçonneuse dans le tarin, vlouf, et t’es obligée, ensuite, de faire tenir tes lunettes de soleil av’c du sparadrap.

— Pensez-vous aux conséquences d’un tel acte ? elle rebiffe.

Ça fait poiler le Gravos.

— Turellement qu’ j’y pense pisque j’ te dis comment qu’ tu faudras faire pour mett’ des besicles !

— Vous n’oseriez pas.

Là, il explose. Peu psychologue, cette personne. On ne met pas Bérurier au défi, qui que l’on soit : femme, moine, vieillard ou mouche du coche.

Lui, écoute, alors là, il me la coupe, si je puis parler ainsi en pareille circonstance. Car il saisit l’oreille droite de miss X, et lui flanque un p’tit coup de sécateur. A vrai dire, il ne lui ôte qu’un morceau du lobe, 3 centimètres carrés au plus.

Sa Majesté brandit le vilain trophée sous le regard chaviré de la donzelle.

— Faudra plus compter porter des boucles d’oreilles, lui dit-il, à moins qu’ t’arrives à t’ faire greffer ce petit machin. Tiens, r’garde, môme, j’ le dépose su’ c’t’ étagère. Et maint’nant, ma loute, on te dépife ou tu nous racontes c’ qu’on est v’nu savoir ?

Blême, tremblante de désespoir et de rage et du reste, et d’encore plus que cela, elle consent.

Sa devise ? Celle du camembert ; qui ne dit rien, qu’on sent !

Pour la stimuler, le Démoniaque fait vrombir le bistouri. Le connaissant comme je le pratique, je suis certain qu’il va l’emporter.

* * *

Oui, elle parle, miss.

Je l’entreprends bien posément, avec méthode, sans emballement.

— Qui êtes-vous, vous et votre bonhomme, et que cache cet institut de T’es salaud t’es rapide (comme dit Béru) ?

Réponse : ils sont anglais, elle née en Inde, d’un père vice-sous-gouverneur-adjoint. Son mec se nomme Steve Mac King. Il était médecin militaire à Bombay, dans les derniers temps de l’occupation britannouille. Là-bas, il a fait la connaissance d’un toubib hindou, le docteur Mal Abâr, qui l’a initié à certaines pratiques chirurgicales stupéfiantes.

Je te vais pas dire illico ce dont il s’agite avant de s’en servir, because je te réserve un chié coup de théâtre final que tu m’en diras des nouvelles ! Non ! Va pas regarder tout de suite, grand connard ! Refrène ta monture ! Passionné par ces techniques abasourdissantes, Mac King, après la chute de l’Empire, s’est ramené en Europe, ayant épousé Maud-la-Rouquine. Peu après, il a démissionné de l’armée et s’est consacré à la chirurgie faciale. Sa renommée a été immédiate en Britannerie ; mais il avait des visées plus audacieuses, c’est pourquoi, très vite, il en a eu classe de déplisser la peau des vieilles douairières londoniennes ou de leur rebricoler le blair, et il est venu s’installer en France afin de se mettre à l’abri de la curiosité de ses confrères. Et alors là, sous le couvert de l’institut de thalassothérapie, Mac King a entrepris une œuvre époustouflante (je te dis de ne pas lire plus loin, bon Dieu ! C’est terrible, cette impatience de môme, merde ! Moi, quand je te vois piaffer de la sorte, carboniser mon édifice par trop de précipitation, j’ai envie de tout larguer, t’abandonner aux vrais littérateurs ! Alors là, tu comprendrais ta douleur, mon pote. Oh ! dis donc : le lion de la métro, ses bâillements, ce serait rien en comparaison des tiens. Sans compter que tu paierais plus cher. Car ils me valent le double, en prix de vente, pour pas le centième en qualité. Puisque t’as déjà essayé tu dois savoir que je te mens pas) œuvre qui lui a apporté la fortune avec un F et un compte en banque majuscules ! Seulement, lui fallait du trèpe. Des rabatteurs. Il n’a pas le temps de s’occuper de tout. Son turbin l’accapare complet, le brave docteur.

Des rabatteurs, il en a dans mon dentier (je veux dire : dans le monde entier[42]). René Creux en faisait partie et « s’expliquait » dans ce coin de la France (sa fréquentation du casino lui permettait de lever des proies plus faciles, car certaines gens, lorsqu’ils sont complètement ratissés, sont mieux conditionnés pour accepter une pareille aventure). Dans la section Midi, encore plus riche à exploiter, il disposait de sa petite équipe de filles : Isa, Dorothée, d’autres encore… Tout allait pour le mieux, dans le meilleur des mondes (tiens ! un alexandrin, merci, M. Jourdain !) (Et voilà que sa remarque provoque chez San-Antonio un deuxième alexandrin, ce qui nous montre tout ce que ce remarquable auteur peut bailler à Corneille). Mais il a fallu que cet idiot de Creux (qui décidément manquait de relief) se confie un jour à la mère Duralaix (sed lex). La vieille salope au passé tourmenté, sorte de fausse Mata Hari, navigatrice en eau trouble échouée sur la somptueuse plage baulienne, voulut tirer parti de cette information. Yes, but comment ? Nous allons le voir dans pas longtemps, et j’en passe !

Il me faut maintenant te dire, ô mon lecteur peu crédule et gland à n’en plus pouvoir, te dire, cher compagnon de mésaventure, te dire à toi que j’aime pourtant de bon et mal gré, te dire que les rabatteurs du Dr Steve Mac King ignoraient tout de son siège. Ils étaient contactés régulièrement par la rouquine qui, en somme, s’occupait du ramassage des « clients ». Ignoraient en grande partie la destinée des gens qu’ils rabattaient. C’est la garcerie de Mère Duralaix qui, astucieuse comme mille mouches, a tout découvert et dès lors, s’est mise à faire chanter Mac King. Elle se faisait remettre des petits diams, à raison d’un par mois. Mais, m’annonce la rouquemoute, seuls les premiers sont vrais. Sans doute la vioque avait-elle dû prendre ses précautions avant de déclencher son chantage. Toujours est-il qu’elle tenait bel et bien le couteau par le manche et avait barre sur le toubib (or not to be, puisqu’il est anglais, le pauvre). Attends, ne bouge pas, ne m’interromps pas, je funambulise. Avec ta cervelle de carton-pâte, je me doute que tu t’époumones la matière grise à me filer le dur. Mais quoi, fais un effort, mon grand. Invente ce que je te tais, dédouble ce que je te dis, fous-y du tien, quoi, merde ! On est deux, non ? Y a pas de raison que je me cogne le turf seulâbre.

Elle avait donc trouvé — du moins le croyait-elle — le bon filon, Mémère. Mais soudain elle a pris la chiasse. Et sais-tu why ? Biscotte l’attentat de la plage. Faut te dire que chaque jour à la même heure, elle allait prendre son thé au bar extérieur du Prieuré Palace, la daronne. Elle sortait du casino pour aller déguster son Ceylan-citron en grignotant une pâtisserie. Ce jour-là, la chance lui souriant, elle n’y est point allée. Alors elle a eu peur. Quand, à l’Esturgeon, on lui a signalé ma présence, le traczir l’a poussée à se placer sous ma protection, car, quoi qu’elle en eût dit à ses amis Prandurond, elle feignait seulement de croire à la version de son copain Creux, concernant un attentat destiné au prince Charles… Mais quelqu’un a pris les devants. Quelqu’un qui se trouvait à l’Esturgeon et qui a assisté à notre brève converse. Qui ? La rouquine l’ignore. Ou du moins le prétend.

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42

J’aime bien la faire, celle-là. Parfois, je me la fais par surprise, quand je suis seul. Ce que je peux me marrer !

San-A.