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C’est te dire si la converse roule bon train, belle allure, vitesse de croisière : cinquante nœuds, faut le faire ! Merci, pépé, merci, maman ! Ils sont chous, tous les deux. Et nous tourtereaux délicats, frêles comme des fiancés du début du siècle qui n’avaient pas le droit de se faire mimi, non plus que de se toucher le chibre ni la moulette.

Tout en jactant, le Vieux dévore Dominique du regard. Lui sourit, même en mastiquant, ce qui n’est pas poli quand tu as de la salade de ris de veau dans la margoulette. Mais les élans du cœur passent par les dentiers les mieux prothésés.

Se met à la complimenter comme quoi elle est entrée dans la police. Chère jeune vaillante et jolie magistrale, promise à une carrière fulgurante, il n’en doute pas. Être née Pran de La Gite et aller paperasser parmi les effluves de panards, voilà qui est d’une forte nature.

Lorsqu’il en a terminé avec ce couplet, je décide de placer ma botte secrète.

— Puis-je vous demander ce que vous avez décidé à propos de Charles, monsieur le directeur ?

Il me fustige d’un œil dérangé en pleine pâmade.

— Hein ? Pardon ? Quoi ? Qu’est-ce ? Vous dites ? Charles ? Quel Charles ? Laughton, de Gaulle, Chaplin, Martel ?

— Je parlais du prince Charles d’Angleterre, Patron.

Il parvient à sortir son train d’atterrissage et à se poser impec sur le gazon de la réalité.

— Oh, oui ! Le prince Charles, naturellement. Figurez-vous que ces crétins de l’I.S. ne m’ont pas cru et que les Services de Sécurité de Nantes m’ont répondu avec suffisance qu’ils avaient pris leurs dispositions. Or, j’ai eu une communication de Belfast, mon petit, m’informant qu’un vilain coup fourré se préparait. Pas d’autres précisions, mais sachant ce que nous savons, hein ? Alors j’ai décidé de vous envoyer à La Baule pendant le séjour du Charlot en question.

Mister Dugenou fait des ronds de jambes avec la langue.

— Et notre adorable collègue se joindra à nous, à titre expérimental, n’est-il pas vrai, ravissante amie ?

Ce qui me fait tiquer dans tout ça, c’est le « se joindra à nous ». Pourquoi NOUS ?

J’articule négligemment ma question.

Il arbore alors sa somptueuse frime tricolore, celle des 14 Juillet, 11 Novembre, nuit du 4 août et de Valpurgis.

— Mon cher San-Antonio, l’enjeu est trop grave ! Imaginez qu’on nous tue ce grand conarque en territoire français ! Hein, dites ? Considérez un peu le problème de haut. Vous voyez les remous ? Ce bouleversement dans les relations entre nos deux vieux pays ? Je me dois de surveiller la chose sur place. Ainsi, cette mignonne recrue pourra bénéficier de nos deux expériences à la fois !

Il éponge un peu de bave qui lui venait aux commissaires des lèvres.

Vieux peigne, va ! Il se fait déjà reluire par la pensée. Un vrai bouc, l’Achille ! Le tout beau faune démoniaqué !

— Ça va être merveilleux pour toi, ma chérie, dit la maman du commissaire Bemier. Tu en as de la chance de débuter en telle compagnie !

Elle ajoute (et là, je dois admettre que ses deux jolis pieds emprisonnent le vilain mien) :

— Ce que j’aimerais être à ta place !

Alors, mézigue, oublieux de toute hiérarchie, de balancer, façon d’Artagnan au pont d’Arcole :

— Rien ne s’oppose à ce que vous vous joigniez à nous, n’est-ce pas, monsieur le directeur ?

L’interpellé déglutit, reglutit, désestomaque et finit par bredouiller en me plantant un regard de 240 volts dans les vasistas :

— Mais naturellement…

Si bien qu’on va se payer, pour la première fois de notre brillante carrière, une enquête unique en son gendre, une enquête mondaine ; style : venez donc dîner demain, comtesse, notre fille nous fera un peu d’enquête au dessert, accompagnée à quatre mains et deux bites par ces messieurs de la Poule.

DÉBILITRE V

M. Baby, le moniteur de la plage a organisé un bath concours de châteaux de sable. Toute une jeunesse s’active sur le thème des Châteaux de la Loire. Enfants de quatre à douze ans, blonds très souvent, dorés de la cave au grenier, surveillés à plus ou moins de distance par de jolies mamans en luxueux déshabillés ou par des mademoiselles discrètes. Fils et filles de gens suraisés, dont on entend claironner parfois les noms dans le haut-parleur de l’hôtel, car les nantis n’ont pas les quiètes vacances des peigne-zizis, et jamais ne se relâche tout à fait l’étau de leurs affaires. Il est de plus en plus difficile d’être riche de nos jours. La fortune implique un certain héroïsme, une totale abnégation. L’homme d’affaires est au service de son pognon vingt-quatre heures sur vingt-quatre et trois cent soixante-cinq jours par an, sauf quand il vit une année bissextile. Télex et téléphone sont les deux béquilles qui l’aident à traverser sans trop d’encombre la durée des vacances. Tandis que Lulu Dupont se dore la couenne, et pioche dans le buffet-self-service d’un clube Trigano, Hervé La Riboisière attend sur une plage sélecte un appel de son bureau en lisant des baveux financiers. Le premier se cogne un Ricard, le second boit du champagne, mais il est obligé de gober des pilules pour son système cardio-vasculaire. Moi, rien ne me fait plus hausser les épaules que les invectives gauchistes à l’endroit des nantis. Quel mal plus grand peuvent-ils donc souhaiter à ces malheureux, prisonniers de leurs biens, et qui ploient sous la charge ? Ce sont les portefaix du fric. Traqués de toute part par les conditions économiques, le fisc, les syndicats, leur « rang à tenir ».

Sur le mur soutenant la promenade, voici quelques années, pile devant le restaurant de la plage, des vengeurs ont écrit au goudron cet avertissement « Patrons, profitez-en, vous vivez vos derniers beaux jours. » L’inscription est demeurée lisible, va voir… Elle n’a jamais empêché les pédégés en rupture de conseil d’administration de déguster leur langouste ; au contraire, elle leur stimule l’appétit, et ils y trouvent en secret l’espoir d’un avenir meilleur qui leur permettra de faire relâche, enfin. Bientôt la quille ! Vivement le goulag, qu’on se marre pour de bon !

Mais mon propos sort de ses rails, comme souvent avec moi, dérailleur type, qui file en aiguille aussi bien qu’à l’anglaise sous le moindre — et même sans — prétexte. Vagabond de la déconne. Diogène qui tiendrait un miroir au lieu d’une lanterne.

M. Baby, le moniteur de la plage, est un colosse exquis, solide, rieur, gentil avec autorité. Il sait assumer des mômes, les intéresser. Sa voix puissante domine le brouhaha. Il va et vient entre les concurrents, donnant un avis, un conseil, voire quand nécessaire, un avertissement.

Il fait un temps mi-figue, mi-raisin : tiède et gris clair, avec des traînées bleues au ciel et presque pas de vent.

M. Baby s’arrête devant un château de Blois dont la partie Renaissance est admirablement reconstituée. Il hoche la tête en connaisseur ; beau travail. Ce sera le premier prix à n’en pas douter. Les deux maîtres d’œuvre de cette merveille sont des jumeaux : les enfants d’un gros fabricant de parfums, Fred et Eric ; des mômes de dix ans, appliqués et déjà artistes. La nature d’un homme, tu la détectes très vite, au berceau. Sa frime aussi, bien souvent. Combien de vieillards de cinq ans ai-je déjà contemplés ! Et combien d’angelots de cinq ans à travers des rides de vieillard ! Il existe une permanence de l’individu. L’homme ne s’abandonne jamais, de sa naissance à son trépas, il reste en étroite liaison avec lui-même.