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Le Mastar enquille sa grosse tronche par l'orifice après m'avoir intimé de la boucler. Il sonde les échos caverneux, puis réapparaît, congestionné et hoche sa hure.

— S'il vivrait encore on entendrait ses geigneries, assure-t-il, car ça fait caisse de résonance.

— Il l'a tué! me déclare Heidi en souriant.

— Ça n'a pas l'air de trop te contrarier? noté-je.

— On ne pouvait pas me rendre un plus grand service: ce salaud me terrorisait depuis des années.

— Il fallait le quitter!

— Vous croyez que les sales types comme lui acceptent qu'on les bisse!

Elle se coule dans les bras du Gros. Lui roule une galoche farceuse, ce qui dénote une nature courageuse. Les amoureux doivent être seuls au monde. Je repasse au living. Jérémie, debout, mains aux poches, le blanc des yeux jaune, le reste féroce, déclare:

— Ça merde de plus en plus ton histoire, Sana. T'es chié quand tu t'y mets. Combien de cadavres jusqu'à présent?

— On fera le bilan en fin d'année, dis-je; j'ai pas pris ma machine à calculer.

Il est l'heure de rappeler le gymnase. D'un index déterminé, je recompose le numéro. Contre toute attente, comme on dit puis dans les ouvrages, personne ne répond.

Là, je l'ai saumâtre. Ça signifie quoi donc, selon toi, ce silence? Que les mecs de la Kärntnerstraße ont mis les voiles? Qu'ils renoncent à négocier avec ma pomme? Ou bien qu'ils sont à mes trousses?

Le tendre couple Heidi-Béru nous rejoint, enlacé. Faut-il qu'elle soit sensible à la membrane, la môme, pour chiquer les Juliette avec ce sac à merde de Roméo! Ça boxonne dur dans cet apparte, mon fils! Je suis certain qu'elle envisage maintenant de s'emplâtrer le gars Jérémie. Une black chopine compléterait bien son tableau de chasse, à Ninette. Elle porte juste la main droite de Bérurier en guise de slip. Une dextre à laquelle manque provisoirement le médius!

— Que vouliez-vous savoir de Conrad? elle me demande. Je pourrais peut-être vous renseigner?

Chère enfant! Délicieuse chérubine soucieuse de coopérer franchement. Elle a carrément changé de camp et entend payer son écot.

Je lui explique que j'eusse aimé savoir chez quel arnaqueur de première grandeur Conrad s'est rendu pour lui parler de moi. Et comment il s'est fait que le mystérieux personnage eût été si bien en cheville avec le trio d'espionnes bulgares (de Lyon).

Heidi me sourit.

— Il y a, à Vienne, un homme très protégé, qui peut à peu près tout. Il gravite dans les sphères politiques et journalistiques. Le Milieu est à sa dévotion. Les chefs d'entreprises lui versent des prébendes. Les artistes se pressent à sa table. C'est lui que Conrad a contacté après votre départ. Il lui a raconté ses mésaventures avec vous et le marché que vous aviez conclu tous les deux. L'homme dont je vous parle lui a demandé d'attendre ses instructions. Dans l'intervalle, Conrad m'a suggéré d'aller à votre hôtel pour vous séduire et essayer de vous prendre la seconde partie de la liasse.

— Mission dont vous vous êtes parfaitement acquittée, ma jolie.

Elle rougit et hausse les épaules.

— Donne-moi les coordonnées de ce potentat de la pègre, Heidi.

— Il se nomme Karl Paulus, il est avocat et habite Weihburggasse.

— Tu as son téléphone?

— Il est dans l'annuaire.

M. Blanc sort de sa semi-léthargie pour m'apostropher:

— Alors on joue la carte Paulus?

— Qu'en penses-tu?

— Nous sommes bien obligés de faire quelque chose; d'autant qu'avec le cadavre dans le vide-ordures, on ne peut pas s'éterniser chez cette pute… Oh! merde, t'es chié avec ta manie de débaucher les braves balayeurs noirs pour en faire des poulets! Si je ne t'avais pas rencontré, je serais en train de dormir au côté de ma chère Ramadé.

— Penses-tu, soupiré-je, vous ne pioncez jamais, ta tribu et toi, dans votre appartement-gourbi. A trois heures du matin, tes chiares se font cuire du mouton à même le sol de la cuisine!

Il a la nostalgie qui l'empare, M. Blanc. A fleur de cœur.

— C'est vrai, rêvasse-t-il, il y a les gosses, si joyeux qui grouillent autour de nous; que vont-ils devenir si je me fais abîmer dans ta saleté d'affaire?

— Des orphelins de père, réponds-je. C'en est plein, tu sais. Moi, je le suis bien…

Il ne répond pas et feuillette l'annuaire du bigophone qui se trouvait sur une tablette, près de l'appareil.

— Tiens, me fait-il, le numéro de votre ami Paulus. Son gros doigt café au lait souligne le nom de l'avocat.

— Tu t'imagines que je vais lui demander rendez-vous de but en blanc? objecté-je.

— Pas toi: la pétasse!

Voilà, ça se présente comme ça.

Deux poings, ouvrez les cuisses.

Une maison ancienne, peinte de couleur vert. Nu, avec l'entourage des portes et des fenêtres en blanc. Délicate demeure qui dénote, de son propriétaire, l'amour d'un certain art de vivre. Elle est coincée entre deux autres maisons moins belles, dont l'une est en réfection, si j'en crois les échafaudages qui la ceignent. Elle comporte un étage, plus un second mansardé dans le noble toit. Une plaque de cuivre gravée de caractères gothiques flanque le délicat perron d'une sizaine de marches. Une grosse lanterne de fer forgé pend à une potence ouvragée. On mate tout ce topo depuis la charrette d'Heidi, stationnée à quelques encablures.

Le rez-de-chaussée de la demeure est obscur, mais de la lumière brille à deux fenêtres du premier ainsi qu'à l'une du second étage.

D'après ce qu'en sait la môme Heidi, maître Karl Paulus vit avec sa femme, une matrone de deux cents kilos et sa maîtresse, une vamp platinée comme dans les films américains d'avant-guerre. En toutes circonstances, il présente cette dernière comme étant sa collaboratrice, bien qu'il fasse chambre commune avec elle. Sa bobonne, elle, roupille au rez-de-chaussée car elle est à demi impotente. Ils ont deux domestiques: un couple, pas de la première fraîcheur. La femme est cuisinière, l'homme valet-maître d'hôtel. De plus, un type qu'il déclare être son chauffeur (et qui l'est d'ailleurs) lui tient lieu de garde du corps. Cet individu dort également à la maison.

— Bon, ronchonne M. Blanc, tu vois ça comment?

«Ça», c'est-à-dire le coup monstrueusement culotté que j'ai concocté. Au lieu de répondre directement, je demande:

— Selon toi, frisé, y a quelle distance du toit de la maison en réparation à celui de Paulus?

— Les quatre mètres prévus par les exigences de l'urbanisme, je suppose?

— Et c'est combien, ton record de saut aux jeux scolaires du Sénégal?

Là, il réagit:

— Tu as la prétention de me faire passer d'un toit à l'autre?

— Pas de te faire passer, mais de te regarder sauter, grand nègre de la jungle. Il y a une terrasse à l'arrière de la crèche à Paulus. Un tétraplégique réussirait ce bond en se marrant!

Jérémie se tourne vers Béru, à défaut de témoin plus valable.

— Il est chié, ce mec! Il me prend pour un léopard!

— Plutôt pour un chien pansé, retourne l'Enflure.

Je passe outre les protestations de Jérémie:

— Une fois sur la terrasse, tu débondes la porte-fenêtre qui donne dessus avec l'objet que voici et auquel je tiens. Ça te prouve la confiance que j'ai en tes performances physiques. Tu te coules dans la baraque et tu attends que je t'appelle. Voici un feu avec encore quatre prunes en magasin, sois économe. Tu devrais ôter tes pompes pour exécuter ce rodéo afin de ne pas faire de bruit.

Il est dominé par mon autorité tranquille, Jérémie.

— Et le gros lard, pendant ce temps? demande-t-il.