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Je tourne le coin de l’avenue et je pénètre dans un établissement tout ce qu’il y a de sélect.

— Double whisky ! Dis-je en m’accoudant au bar.

CHAPITRE V

« Une vieille connaissance »

Le Cyro’s est fermé. Une grille à croisillons en interdit l’accès. Pourtant, j’entends chanter à l’intérieur. Un zig brame à plein chapeau. Et ce zig, je vous parie la main de ma sœur contre le masseur de Marlène que c’est un Noir. Il n’y a qu’un Noir pour chanter les blues de cette manière-là.

Je passe mon poing au travers de la grille et je cogne dans la porte.

Ça ne produit tout d’abord aucun effet, mais la persévérance est toujours récompensée. A force de tabasser, la chanson s’arrête et la lourde s’entrouvre. Je vois apparaître le visage rigolo d’un négrillon. Il est en veste blanche boutonnée sur l’épaule, il porte un pantalon bleu et il est coiffé d’une casquette à petite visière.

— Excuse me, lui dis-je. Open, police !

Il ouvre la bouche et ses dents se mettent à étinceler comme un collier de perles. Je sais que cette comparaison est d’une pauvreté navrante, mais les plus grands auteurs se laissent aller à la facilité.

— Open !

Je le gueule tellement fort que des passants se retournent.

Et je rajoute :

— Police !

Parce que c’est le mot qui a le plus de chance d’impressionner un honnête homme.

Le négus a fini par réaliser. Il ouvre la grille et je pénètre dans l’estanco.

Le coin est vaste, désert comme une cathédrale après les vêpres et en grand nettoyage. C’est le négus qui se tape la séance d’aspirateur avant de remettre les sièges en place.

C’est certainement lui qui a découvert le cadavre de la souris dans la cabine. Mais, comme il ne jacte pas une broque de français, je renonce aux questions.

Je sors mon dico de ma fouille et je construis des phrases comme on joue au puzzle.

En quelques minutes de cet exercice qu’il suit avec attention, je parviens à lui faire comprendre que j’ai besoin de voir le gérant de la taule, et de le voir rapidement !

Il sourit aimablement alors et m’entraîne solennellement vers le fond de la salle.

Nous pénétrons dans un couloir bas de plafond. Au bout, il y a l’éternelle porte Private. Ce sont ces portes-là qu’un flic aime le mieux franchir.

Le Noir frappe. Un grognement lui répond. Ce grognement doit vouloir dire « entrez », car, sans hésiter, il ouvre.

J’aperçois un grand type brun et maigre derrière un bureau. Tout le monde vit derrière un burlingue, dans cette contrée.

Comme sale gueule, il faut aller loin pour trouver pire ! Il est bistre, il a le regard fuyant, les pommettes saillantes et un air faux-cul vaporisé sur toute la physionomie !

Il bondit et repousse un tiroir.

— Hello ! Fais-je. Je parie le dentier de votre vieille aïeule contre une douzaine de roses rouges que vous parlez français.

Il me toise d’un air inquiet.

— Oui, admet-il. Perqué ?

— Parce que vous êtes italien aussi et que vous avez vécu à Pigalle avant de venir aux U.S.A.

Je continue :

— Vous vous appelez Seruti. J’ai bien connu M. votre frère ! J’étais là lorsque les flics l’ont seringué à la Villette, dans la cahute où il s’était planqué avec Mario-Grosse-Tête !

Il en est baba, le frère !..

— Yé m’appelle Seruti, admet-il, drôlement soufflé.

— J’ai une mémoire visuelle extraordinaire, affirmé-je avec modestie. J’ai vu ta gueule aux dossiers, à Paris. Alors, comme ça, tu t’es rangé ?

— Oui, dit-il, jé faite ma situationne à Chicago.

Je m’assieds en face de lui.

— Le monde est petit, dis-je.

Il est mal à l’aise. Il me regarde en se demandant qui je suis.

— Police ? Questionne-t-il prudemment.

Je lui présente ma carte.

— Commissaire San-Antonio.

Il se dresse.

— Non, chez nous, t’es à jour. A moins que tu aies une ardoise secrète ?

Il fait un grand signe de dénégation.

— Bon, te fais pas péter une articulation, il n’est pas question de boulot.

Il me dédie alors son plus chaleureux sourire.

— Bene, j’aimé mieux ça. On prend oun drink ?

— D’accord.

Il me regarde en riant et répète ma phrase initiale :

— Lé monde est pétite !

Puis, réalisant que ça n’était pas seulement pour pouvoir parler de Pantruche que je suis venu :

— Vous avez bésoin dé moi ?

— Qui sait, fais-je en trempant mon pique-bise dans le verre de rye qu’il vient de me verser.

Du coup, son bel optimisme s’évapore instantanément.

— C’est dans ta taule, icigo, qu’une môme a été scrafée ?

— Oui, mais…

— Il y en a d’autres, je sais. Une épidémie…

— Oui.

— Seulement, la tienne, elle est cannée d’une façon poilante. Dans une cabine… Etranglée, la pauvre chérie. A proximité d’un tas de gens qui n’ont rien vu, rien entendu.

— Yé n’y souis pour rien.

— Ben, voyons ! Simplement, tu pourrais me dire à quel endroit elle est morte, la pauvrette.

— Mais…

— Ah ! Non. Te mets pas à bêler, ça fait couenne !

— Yé vous assoure, commissaire, yé né connais dé l’affaire qué cé qué les journaux en ont dit…

— Passe la main ! Tu es le boss de cette boîte, oui ou non ?

— Oui, mais…

Je lui allonge un parpin qui lui arrive illico à la pointe du menton. Il a un geste rapide vers sa seringue, mais j’ai sorti la mienne avant.

— Laisse l’artillerie à ta gauche, chéri… Et pardonne un mouvement d’humeur. L’humeur, c’est mon défaut mignon.

Il met ses pognes à plat sur la table.

— Bon, bien sage… Je sais que la fille n’a pas été étranglée dans la cabine. Elle l’a été ailleurs, mais, par la suite, on a transporté sa carcasse dans le taxiphone. Ne proteste pas, je te dis que je sais cela. J’en déduis que la fille a été tuée dans ce coquet établissement, mais dans un autre endroit où tu n’aurais pas aimé qu’on la trouve. Alors, après la fermeture, toi et tes pieds nickelés, vous l’avez mise là-bas. Une cabine, c’est une chouette idée ; c’est le petit coin d’ombre accessible pour tout le monde.

Il se lève.

— Commissaire, dit-il, jé né sais pas dé quoi vous parlez. J’ai déjà répondou à la police, jé n’ai plou rien à dire. Rien !

Cette fois, il est sûr de lui. Il a fait son petit numéro mental, il a réalisé qu’ici je suis un double zéro, un résidu de lavasse.

La police de Chicago n’a pas l’air de bien impressionner les truands en place.

— Bon ! Dis-je. Nous parlerons de ça un de ces quatre. Mais crois bien que j’en sais long, plus long encore que tu ne le supposes. Cette nuit, j’ai passé une heure charmante en compagnie d’une souris de la taule voisine. Elle a eu une conversation très édifiante.

Je me lève.

— Bye-bye, Seruti.

Et je m’en vais en refilant un dollar au Noir qui manie l’aspirateur.

Je viens de foutre un paveton dans la mare. M’est avis, les gars, que l’eau ne va pas tarder à se troubler.

Vous trouvez peut-être que j’agis d’une façon un peu incohérente ; seulement, ma seule arme, ici, c’est le pifomètre.

Faut bien que je m’en serve. Non ?

Une fois dans la rue, je perçois un bruit pareil au grondement du métro. Je comprends que c’est mon estomac vide qui fait ce raffut.