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Je m’y catapulte et je referme la lourde, incomplètement cependant car je me ménage un mince créneau afin de mater les réactions de l’adversaire.

Un moment assez longuet s’écoule. Puis un rai lumineux souligne le bas de la porte de Zobedenib. Enfin l’huis s’entrouvre et la silhouette chétive du roi de la pioncette en commun se projette sur le Dalami du couloir. Elle se baisse, ramasse la feuille. Un temps mort accordé par l’arbitre pour permettre au Petit Marcel de ligoter le poulet du poulet. Enfin il apparaît dans le large couloir qu’il sonde de ses yeux auxquels on ne résiste pas. Ne voyant personne, il va jusqu’aux cages d’ascenseurs, constate que ceux-ci ne fonctionnent pas et se rabat vers l’escalier. Je le vois radiner avec une certaine angoisse. Ce visionnaire va-t-il apercevoir le brave petit San-Antonio au travers du panneau de bois ?

Non !

Son regard incisif ne lui permet pas encore de traverser la matière !

Il ne peut voir qu’à travers les serrures lorsqu’elles n’ont pas leur clé, et à travers les trous du gruyère.

Il porte un coquinet pyjamoque en soie bleu nuit à parements blancs qui lui donne l’air d’un dompteur.

Il se penche par-dessus la rampe de fer, tend l’oreille, ne perçoit que la faible rumeur du building et retourne à ses pénates.

Maintenant une question se pose, plus épineuse qu’une branche de houx : que va faire l’Égyptien ?

Attendons ! La patience est un levier puissant grâce auquel l’homme franchit les obstacles les plus rébarbatifs et les périodes les plus scatologiques de sa pauvre durée.

Mon réduit sent l’eau de Javel et le décapant. Plus des odeurs plus fourbes et plus durailles à identifier. Ça me flanque l’envie d’éternuer. Rien n’est plus désagréable qu’un éternuement avorté. Vous remarquerez que lorsqu’on éprouve le besoin d’un atchoum, il suffit d’y penser pour qu’il n’aboutisse pas. Par contre, lorsque vous ne voulez pas le libérer, c’est là qu’il déboule, contre votre volonté.

J’y vais de mon voyage, en amortissant la détonation dans mon mouchoir.

À peine ai-je explosé que la porte de Petit Marcel s’ouvre à nouveau. Cette fois il n’est plus loqué en dompteur, mais porte un bath costar de ville en tweed moucheté.

Je retiens ma respiration tandis que son pas glissant (à semelles crêpe) le conduit vers l’ascenseur.

Descente du monsieur dans un grand frisson d’électricité domestiquée.

Je risque de le perdre, comme disait une rosière de ma connaissance dont les parents hébergeaient douze tirailleurs sénégalais en manœuvre.

Prendre l’autre ascenseur, il n’y faut point songer, cela lui donnerait l’éveil.

Un seul espoir : l’escalier, ou plutôt sa rampe.

Je ne sais pas si je vous l’ai déjà dit auparavant (ce sont les Chinois qui disent surtout au paravent) mais j’ai été, dans ma prime adolescence, champion de France de la descente sur rampe d’escalier. J’ai même été champion d’Europe sur un étage, ma distance préférée à cause de mes démarrages foudroyants. Mon record n’a été battu que l’an dernier et encore par un amoureux surpris par le mari de sa belle.

J’espère que je ne me suis pas rouillé. Je me rue hors de ma planque et je me jette à califourchon sur la rampe de fer.

Je franchis la distance quatorzième-troisième en quatre secondes deux dixièmes (et encore sont-ce des dixièmes de la Loterie nationale). Je poursuis ma vertigineuse descente. La rampe de fer me brûle les doigts et l’entrejambe. Je vais avoir le valseur porté à l’incandescence. D’un coup de reins je modifie mon centre de gravité histoire d’être cuit à point sur toute ma surface portante (et bien portante, croyez-moi, mesdames). J’appréhende néanmoins les conséquences de mon exploit. Vous le voyez, mes belles, carbonisé du sous-sol, votre valeureux camarade de sommier ?

Avoir les précieuses ridicules, ç’a toujours été mon cauchemar.

D’un coup de périscope je m’affranchis sur ma position.

Me voici à la hauteur du cinquième. J’entends, en bas, le glissement bien huilé de la porte de l’ascenseur qui s’ouvre et se referme.

— Allez, San-A., du cran !

C’est un exploit de se rendre plus lourd qu’on ne l’est. Reconnaissons au passage que c’en est un autre encore plus difficile que celui qui consiste à s’alléger. Demandez à Gabriello ce qu’il en pense.

Je dois avoir la peau des mains entamées. Celle du gyroscope aussi, probable.

Un dernier effort. Mon altimètre indique que l’atterrissage est proche.

En effet, il se produit avec une certaine violence, because la rampe ne se termine pas par une boule, mais par une délicate volute retournée qui me catapulte les quatre fers en l’air. C’est pas un atterrissage mais un alunissage.

Alunissons à l’unisson, les gars.

Je me relève. Mon verre de montre n’est pas brisé, pourtant j’ai l’impression que je viens de traverser les steppes sibériennes à cheval. Je fonce hors de l’immeuble. Le gardien roupille comme un bienheureux qui aurait pris du somnifère. La porte vitrée du tambour bat encore (la charge puisque c’est une porte-tambour).

Je me détranche sur le seuil. Mouvement gauche-droite façon girouette.

Petit Marcel remonte la rue Chanez à petites — mais rapides — enjambées.

Je le file à distance. Je m’imagine qu’il va grimper dans sa charrette sans doute remisée dans les abords, ou bien qu’il va fréter un bahut ; mais pas du tout. Monsieur vire à droite et se dirige vers une rue discrète. Le matin aux doigts d’or commence à déchirer les voiles de la nuit, comme l’eût si bien écrit Victor Hugo, qui tenait le rayon des voiles nocturnes à la grande kermesse du romantisme.

Dans l’aube discrète palpite l’enseigne verte d’un hôtel.

Petit Marcel s’engage sous le porche de l’établissement. J’attends un chouïa, puis je m’avance à mon tour. Au fronton de l’usine à dorme, une plaque de marbre noir héberge des caractères dorés : « Hôtel Saint-Martin ».

À travers les vitres embuées, je distingue un maigre hall classique, au fond duquel brille une veilleuse.

Je bigle en VistaVision la façade de l’hôtel. Toutes les fenêtres sont éteintes, mais au second étage, juste comme je fais cette remarque, un rectangle lumineux bondit dans l’ombre.

Petit Marcel est allé rendre une visite matinale à un pote. Que doit faire votre San-A. dans un pareil cas ?

N’ayant pas sous la main le Manuel du parfait petit San-Antonio sur le sentier de la guerre, j’improvise. À savoir que, d’une dextre décidée, je pousse la porte.

Dans un fauteuil d’osier, un type à cheveux blancs et à œil noir est assis, les quilles roulées dans une couvrante.

Il me regarde pénétrer avec autant d’enthousiasme que si on venait lui annoncer qu’il faut lui faire l’ablation du foie et de la rate.

Pour éviter des bavardages inutiles, je lui cloque ma carte en l’orientant côté lumière pour qu’il puisse la lire commodément.

— Je suis presbyte, dit-il.

— Et moi j’ai eu un collègue américain qui était presbytérien, dis-je en reculant le morcif de bristol.

Il lit, hoche la tête.

Ce dabe a passé sa vie dans les hôtels, et pas comme client.

Il connaît la musique. Pas besoin de lui faire un graphique avec commentaire enregistré au magnéto.

— Le type qui vient d’entrer a demandé M. Landowski, fait-il. Chambre 203, comme Peugeot. Dois-je vous annoncer ?

Et de l’humour avec ça, le fossile. À ces heures induses, je lui tire mon bitos.