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Berlin Requiem

Xavier-Marie Bonnot

Du même auteur

Le Sang des nègres, Galaade, 2015.

La Dame de pierre, Belfond, 2015 – prix du Meilleur roman francophone au festival de Cognac 2016.

La Vallée des ombres, Belfond, 2016 – prix Sables noirs du festival du Lavandou 2017 ; prix Moustiers 2017.

Le Dernier Violon de Menuhin, Belfond, 2017.

L’Enfant et le Dictateur (coécrit avec Marion Le Roy Dagen), Belfond, 2018.

Le Tombeau d’Apollinaire, Belfond, 2019 – prix 2019 du Roman historique des Rendez-vous de l’histoire.

Nefertari Dream, Belfond, 2020.

Série Michel De Palma

Les Âmes sans nom, Belfond, 2008.

Le Pays oublié du temps, Actes Sud, coll. « Actes noirs », 2011 ; coll. « Babel noir » n° 77, 2013 – prix Plume de cristal 2011.

Premier Homme, Actes Sud, coll. « Actes noirs », 2013 – prix Lion Noir 2014.

La Première Empreinte, Belfond, 2019 – prix RomPol 2002 ; prix des Marseillais.

La Bête du marais, Belfond, 2019.

La Voix du loup, Belfond, 2020.

Les vagues reviennent toujours au rivage, Belfond, 2021.

Nouvelles

Les Sorciers, L’Écailler du Sud, 2003 – prix des médiathèques de Provence.

La Perle noire, L’Écailler du Sud, 2004.

Pour Céline,

après tous ces récits entre l’infini des pages,

ces enfants qu’on invente, ces hommes et ces femmes qu’on tire de la glaise des mots, et leurs ombres

qui les suivent, après toutes ces phrases difficiles,

tendres, dures et parfois généreuses, au-delà de tous

ces ciels, noirs ou bleus, que nous avons écrits ou rêvés,

on finira bien par toucher les étoiles avec un de nos livres. À moins qu’elles ne descendent jusqu’à nous.

Le voyage continue. Avec ma fidélité.

Avant-propos

Les protagonistes et les actions de ce roman ne sont pas toutes et tous nés de mon imagination. Seuls les personnages de Christa et Rodolphe Meister relèvent de la pure fiction. Les autres appartiennent à l’histoire la plus sombre de l’humanité, celle du Troisième Reich.

Entre 1933 et 1945, la musique a joué un rôle central dans la propagande nazie. Le disque demeurait rare, les concerts ne désemplissaient pas, mais c’est la radio qui tenait un rôle primordial en tant qu’instrument de propagande capable de toucher toutes et tous jusque dans les coins les plus reculés du Reich et les territoires conquis. Sur les ondes, les Allemands écoutaient ce que Goebbels, ministre de la Propagande, considérait comme les perles de la culture germanique : Beethoven, Mozart, Bach, Wagner, Bruckner, Strauss… Un orchestre fut érigé en véritable monument national : le Philharmonique de Berlin – à juste titre l’un des meilleurs ensembles du monde. L’Allemagne possédait les plus grands génies de l’histoire de la musique, elle avait à sa disposition les meilleurs musiciens pour les interpréter, la propagande nazie s’est servie des uns comme des autres.

Un chef d’orchestre, parmi tous ceux que le pays comptait, fut considéré comme un véritable mythe vivant : Wilhelm Furtwängler. Son succès était immense et comparable à la notoriété des stars de la pop d’aujourd’hui. Furtwängler était présent dans le cœur de toutes les Allemandes et de tous les Allemands. Dès la prise de pouvoir de Hitler, en 1933, une question brûla la conscience de ce personnage considérable : fallait-il continuer à faire de la musique sous un régime d’une telle férocité ? Au fond, était-il possible de séparer la musique et l’art, de la politique ? Furtwängler estimait qu’art et politique n’avaient rien à faire ensemble et que continuer à faire de la musique sous le régime hitlérien était un acte de résistance.

Quelques chefs, notamment Herbert von Karajan, se sont compromis bien plus que Furtwängler, d’autres ont agi par opportunisme. Certains, beaucoup plus rares, soit par conviction, soit parce qu’ils étaient juifs ou directement menacés par les nazis, ont quitté l’Allemagne.

La question que nous pose l’attitude de Furtwängler, sans cesse sur le fil de sa conscience, entre compromission et résistance face au Troisième Reich, demeure d’une actualité brûlante : l’art peut-il se placer au-dessus de la morale ? Cette question n’a de cesse de labourer l’actualité parce que, sur le fond, cette problématique ne concerne pas uniquement la sphère politique mais la société tout entière.

Toute ressemblance avec des situations ou des personnages ayant existé n’est donc pas fortuite.

« Das Leben ohne Musik ist einfach ein Irrtum, eine Strapaze, ein Exil{1}»

Friedrich Nietzsche,
Lettre au compositeur Peter Gast

Prologue

Paris, le 6 mai 1954

Rodolphe Meister vient d’avoir vingt-neuf ans, pas même la moitié d’une vie d’homme, et, déjà, la lumière brûle ses yeux bleus, si pâles, si purs.

La lumière, Rodolphe pourrait en parler pendant des heures, mais pas autant que l’ombre qui la précède.

Devant le miroir du salon, il enfile son veston, ajuste son nœud de cravate et fait une grimace en redressant le menton. Il n’aime pas son corps élancé, presque maigre, ses moustaches broussailleuses, ses cheveux blonds et bouclés. Une allure de poète. Faut faire avec.

Son regard glisse le long des objets qui l’entourent. Le peuple du passé, le dérisoire de quelques souvenirs. Il s’arrête sur le piano, un quart-de-queue aux éclats de vieux vernis. Un petit buste est posé dessus, immobile. Un grotesque façonné dans de la pâte à modeler, avec deux yeux en accent circonflexe, une bouche charnue, le nez un peu de travers et un crâne chauve. Le seul objet de son enfance. Son talisman magique. Une figurine qu’il a façonnée, il venait d’avoir sept ans.

Ce fétiche, il vient du Berlin des nuits de cendres, la première patrie de Rodolphe. Même la guerre, avec ses déportations, ses massacres, ses bombes et ses tanks qui écrabouillent tout, ne lui a pas ravi ce petit être. Rodolphe le saisit délicatement dans ses longs doigts et le fixe quelques secondes avant de le remettre à sa place.

— À tout à l’heure, Père. Tu seras fier de moi.

Père, c’est le nom qu’il donne à la figurine. De père, il n’en a jamais eu. Aucun visage, aucun nom. Rien. Le grand nulle part des origines. Sa mère sait, bien sûr. Mais elle se tait, depuis toujours.

D’ordinaire, Christa Meister vient embrasser son fils, avant son départ. D’ordinaire, elle inspecte sa tenue d’un air sévère et sourit avec une pointe de nostalgie. Aujourd’hui, un sommeil lourd la retient loin du monde.

Rodolphe sort sans faire de bruit, à la façon d’un fugitif. Une fuite qui ne cessera sans doute jamais, parce qu’elle anime la chair dont il s’est pétri, année après année. Une fois dans la rue de Vaugirard, il décide de faire quelques pas. Un besoin, pour se défouler et laisser les ombres derrière lui.