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Ce disant, il sort un des revolvers de sa fouille.

— Oh ! dis, Buffalo Bill, tu ne vas pas défourailler dans la serrure ? m’affolé-je. Avec tous les boy-scouts qui draguent !

Il hausse les épaules.

— Tu me prendrais pour une patate certaines fois, que j’en serais pas surpris, dit-il.

Il extrait un chargeur de l’arme, lui fait cracher ses prunes dans le creux de sa pogne, puis écrase l’armature métallique dudit chargeur sous son talon. Ensuite, ses gros doigts sauvages malaxent ce crachat de ferraille, l’organisent, le tortillent, l’effilent, l’affûtent (enchanté), en font un outil biscornu, mais un outil pourtant, que mon Béru utilise pour violenter la serrure du magasin. Il n’arrive cependant pas à forcer la lourde. Il jure, il sacre pire qu’à Reims, il s’accroupit, il s’accroche ! Œuvre, mon Béru, insiste, prodigue-toi, homme sublime.

De larges gouttes tièdes commencent à vaser. Elles s’écrasent sur le trottoir comme des fientes de pigeon. M’est avis que ça va hallebarder avant longtemps. Tant mieux ! La flotte calmera les ardeurs policières et peut-être deviendra-t-elle notre alliée.

— Je la sens qui mollasse, avertit le Gros.

Je fais le vingt-deux. Heureusement, les poulagas cernant le quartier nous permettent de forcer peinardement la porte du magasin en canalisant les noctambules.

— Et v’là le boulot ! s’exclame Sa Majesté en poussant la porte.

Nous pénétrons furtivement dans la librairie. Une bonne odeur de livres domine les remugles écœurants de poisson collés à nos fringues.

Je relourde silencieusement, puis je me dirige vers le fond de la boutique ou s’ouvre une porte matelassée qui n’est pas fermée à clé heureusement. Je la pousse et me trouve dans une espèce de no man’s land commercial où s’élèvent les rayons des « réassorts » et où s’empilent des caisses vides. Au fond de ce réduit, une nouvelle porte, fermée par un verrou, celle-là. Je la désigne au Mastar.

— On est bourrus, mec, y a un verrou de l’autre côté !

Béru appuie sa main aux doigts écartés contre le panneau et exerce une lente mais puissante pesée.

— Tout juste un petit verrou de bonniche, mon pote, diagnostique-t-il. Tu vas te cramponner au loquet pendant que je vais forcer de l’épaule, de manière à retenir la lourde quand j’y aurai fait cracher son arête. On va y aller en souplesse et ça fera pas plus de chahut qu’un pet de mouche, je te promets !

Je suis docilement ses astucieuses directives. Et voilà le cher homme arc-bouté, les veines du cou plus saillantes que les côtes d’un pantalon de charpentier. On entend gémir la targette sur l’autre rive. Malgré son effort, Béru trouve le moyen de m’adresser un clin d’œil prévictorieux. Enfin, le craquement devient de plus en plus geignard et je sens que la lourde va céder. Si, effectivement, je ne la retenais pas, Zozo serait parti dans les azimuts, entraîné par sa pesée.

Maintenant, nous voici dans un petit hall garni de bois mouluré qui sent le fané, l’encaustique et la cage à oiseaux. En fait, par la lumière de l’impasse, j’avise des perruches (tout étonnées de notre visite), dans un château de Chambord en fil de fer, avec galerie des Glaces (on a mélangé les styles), jardin d’hiver et Luna-Park incorporés. Au fond du hall un escalier. Nous nous y dirigeons. Les marches de bois, recouvertes d’une moquette tellement élimée qu’elle est quasiment éliminée, craquent comme une goélette sodomisée par un récif (de la Bretonne). Aussi, à peine avons-nous atteint le palier qu’un rai de lumière filtre sous une porte. Une voix de femme, tremblotante, morte d’anxiété, balbutie :

— C’est vous, Isabel ?

Bérurier, qui a plus de réflexes qu’une prise électrique et autant d’esprit d’initiative qu’un cosmonaute dont la communication avec le sol est interrompue, bondit en avant, deux pétards pointés, et ouvre la porte de la chambre d’un coup de pied bien ajusté sur la poignée.

Nous découvrons une pièce balzacienne, pleine de tentures, de tapis, de coussins, de vieux meubles, de vases d’albâtre, de lampes en opaline et de tableautins bucoliques.

Dans un lit capitonné de tissu mauve, une dame âgée, aux cheveux de neige, une liseuse de laine sur les épaules, tâtonne sur sa table de chevet à la recherche de ses lunettes.

— C’est vous, Isabel ? redemande-t-elle, bien que le Gravos se trouve au pied de son lit.

La pauvre personne déniche enfin des bésicles aux verres plus épais que ceux d’une lunette astronomique, en chausse son nez et pousse un glapissement d’horreur en découvrant deux types armés, pas rasés et puant le poisson dans sa chambre.

Un bref instant, je crains qu’elle ne s’évanouisse, mais non, elle domine son effroi pour balbutier :

— Ne me faites pas de mal, je vous donnerai tout. L’argent est dans un coffre mural, derrière ce tableau qui représente une jeune fille sur une balançoire.

Je souris à la personne.

— N’ayez aucune inquiétude, madame, nous n’en voulons ni à votre vie ni à vos biens.

— Vous… vous êtes français, bégaie-t-elle, vaguement soulagée.

— Complètement, et de père en fils, madame. Vous aussi, à ce que j’entends ?

— Oui. De Rouen…

— Vive Corneille ! m’exclamé-je, ce qui achève de la réconforter. Il y a longtemps que vous habitez Rio ?

— Vingt-deux ans. Mon époux faisait partie du corps consulaire. Il est mort ici et j’ai décidé de demeurer dans ce pays où j’avais été heureuse en sa compagnie.

Pas plus duraille, mes drôles ! V’là qu’en deux phrases et de belles intonations j’ai rassuré mémère et l’ai amené à nous raconter sa vie.

Pour ponctuer l’honnêteté de nos sentiments, nous enfouillons nos revolvers.

— Je suis confus de faire irruption chez vous à cette heure et en cet appareil, phrasé-je, confus surtout de pénétrer d’autorité dans votre chambre, madame, mais la nécessité commande. Je m’appelle San-Antonio, et voici mon adjoint, l’inspecteur Bérurier.

Elle nous vote un petit sourire.

— Nous sommes venue au Brésil à la demande du gouvernement français pour y mener une enquête officieuse sur Martial Vosgien, et il se trouve que nous avons des démêlés avec nos confrères d’ici.

Elle a sourcillé lorsque j’ai parlé de Vosgien, très nettement.

— Madame, poursuivis-je, toujours d’un ton d’extrême cérémonie, je voudrais, avant de vous poser certaines questions, vous dire que nous n’avons aucune mauvaise intention concernant Vosgien. Simplement, nous tenons à savoir où il est et ce qu’il fait. Sa disparition a provoqué certains épisodes dramatiques, et il est bon que tout rentre dans l’ordre.

Silence. La brave dame rajuste ses lunettes. (Décidément, tout le monde en porte dans cette affaire, faudra que je passe un contrat de publicité avec Lissac.)

J’attends également. Béru, pour se donner une contenance se broie les phalanges, ce qui produit un bruit d’arbre mort abattu par le vent.

La libraire regarde Béru, puis me regarde. Je lui souris presque tendrement. Sa chambre renifle la province française. C’est un coin de chez nous. Tout a été apporté de là-bas. Ça lui suffit, à mémère, ces quinze mètres carrés de patrie pour terminer ses jours. Sa librairie, ses souvenirs, ses perruches, elle en demande pas plus…

— Eh bien ? finit-elle par murmurer, incommodée par ce silence trop prolongé.

— C’est moi, madame, qui me permets de vous dire « Eh bien ? ».

— Qu’attendez-vous donc ?

— Que vous me parliez de Vosgien !