Выбрать главу

— Nom de Zeus ? m’écrié-je en grec.

— C’est à propos de quoi donc ? s’intéresse le Majestueux.

Je lui désigne la plus petite des photos. On y voit la fille noire en compagnie d’une très vieille Noire. Un homme, également noir est au milieu, qui tient les deux femmes par le cou.

— Ce type !… balbutié-je.

— Eh ben ?

— C’est Stefano Correira, ou plus exactement Apucara, l’ennemi public, celui qui nous a attaqués, que j’ai lessivé cette noye, et dont le cadavre a disparu !

— Oh ! dis, mais ça se corse, comme disait Napoléon à Tino Rossi !

— En effet, Gros. J’ai l’impression que le serpent commence tout doucement à se mordre la queue.

Quelques minutes plus tard, les deux femmes sortent de la chambre. Elles sont habillées comme pour aller se promener et paraissent au mieux.

— Pardon, madame, dis-je à la vieille libraire, pouvez-vous me dire qui est cette ravissante personne ?

Elle jette un coup d’œil à la photo, hoche la tête et murmure à l’intention de m’man :

— Isabel Apucara, la petite dont je vous parlais…

— La femme de l’ennemi public ! m’écrié-je.

— Sa sœur, rectifie notre hôtesse.

— Vous permettez ? murmure Félicie à sa conscrite.

Je pige qu’elle sollicite la permission de me mettre au parfum. Un battement de cil, la lui accorde, alors m’man déballe son histoire toute fraîche :

— Antoine, vois-tu, nous venons de bavarder, Mme Buisson (la libraire s’appelle Mme Buisson) et moi, et je l’ai persuadée que, dans l’intérêt de tout le monde, il vaut mieux qu’elle dise ce qu’elle sait.

Félicie se racle discrètement la gorge en se masquant la bouche de sa main en cornet. Nous sommes suspendus à ses lèvres, la Frite et moi. C’est tout de même peu banal que la vérité nous vienne de m’man, non ? M’man et ses confitures, ses blanquettes de veau, son jardin, sa femme de ménage malheureuse… M’man qui débrouille l’écheveau, comme elle donnerait la recette du lapin à la moutarde. Et à quatre heures du matin, à Rio, sous un orage majuscule !

— Mme Buisson, continue-t-elle, a, depuis des années, comme vendeuse et secrétaire cette jeune Isabel qui est, paraît-il, une demoiselle très bien, très cultivée, dont le drame est justement d’avoir un frère voyou. M. Vosgien bavardait surtout avec Isabel quand il venait ici. Ils avaient de longues conversations et, quand il repartait, M. Vosgien paraissait tout ragaillardi.

— De quoi parlaient-ils ?

M’man fronce un peu le nez.

— Mme Buisson est discrète et ça ne regarde personne, Antoine !

Bing ! V’là Félicie qui me remet en place.

— Alors ?

— Quelques jours avant la disparition de M. Vosgien, Isabel a demandé à Mme Buisson la permission d’aider celui-ci à disparaître discrètement. Il s’agissait, un jour qu’il viendrait au magasin, de le faire passer dans les appartements jusqu’à ce qu’il pût sortir de la librairie sans être vu.

— Son secrétaire était au courant ?

— Non ; précisément, c’était à son insu que M. Vosgien tenait à disparaître, Antoine.

— Pour faire quoi ? Pour aller où ?

— Cela, Mme Buisson l’ignore absolument.

— Je vous en donne ma parole ! confirme la dame Buisson.

Elles sont drôles, ces deux chères dames !

— Et qu’en a dit Isabel ?

— Elle a disparu, elle aussi, avec Martial Vosgien, en me laissant juste un mot pour me dire de ne pas m’inquiéter à son sujet. Ce soir, en entendant du bruit, j’ai cru que c’était elle qui rentrait.

— Personne n’est venu la demander ?

— Si, son frère ! Il est arrivé ce matin… enfin, hier matin, se reprend-elle, réalisant qu’il va bientôt faire jour. Comme il est recherché, il s’était affublé d’un chapeau de paille, de grosses lunettes et avait rasé sa moustache.

— Qu’a-t-il dit ?

— Il voulait savoir où était sa sœur. Il m’a menacée, je n’ai rien dit et, à mon tour, l’ai menacé d’appeler la police s’il ne fichait pas le camp ! Mais il ne s’est pas troublé et m’a répondu que si la police apprenait des choses à propos de Vosgien, je risquais d’avoir des ennuis.

— Et ensuite ?

— Je crois l’avoir persuadé que je ne savais rien au sujet d’Isabel, il a fini par s’en aller.

— Car vous ne savez rien à propos d’Isabel, madame Buisson ?

Elle pose sur moi un regard candide à travers ses verres bombés comme le front du chef-flic de tout à l’heure.

— Non, et précisément, je regrette infiniment de l’avoir laissée s’engager dans cette affaire.

— Vous ne voyez pas où l’on peut obtenir de ses nouvelles ?

M’man, qui en sait long comme l’achèvement du Redoutable sur la question, intervient :

— J’ai expliqué à Mme Buisson qu’il fallait absolument retrouver cette petite ; alors elle pense qu’en allant interroger Rosita, la meilleure amie d’Isabel on risque peut-être d’avoir un indice…

— Où demeure-t-elle, cette Rosita, madame Buisson ?

— Dans la favelle au bord du lac.

— Vous pouvez me préciser son adresse, je vais aller lui parler.

— Tout seul, vous ne feriez pas dix mètres à l’intérieur d’une favelle, mon pauvre garçon !

— C’est pourquoi, complète ma chère femme de brave mère, cette bonne Mme Buisson se propose de venir avec nous, car, grâce à Isabel, elle a été admise dans ce milieu dangereux.

Nous tubons à un bahut et partons à travers l’orage. Tous les quatre : m’man, Mme Buisson, Béru et moi. Vous mordez l’équipage ? Deux gus cradingues comme des peignes en compagnie de deux vieilles dames emmitouflées dans des casaques de veuve ; ça paye, non ?

CHAPITRE IX

Un bidonville tragique, cerné de palissades inquiétantes.

Ce qui surprend, dès qu’on s’engage dans un des boyaux d’accès, c’est son étroitesse, la manière dont les minables constructions de planches et de fer-blanc sont entassées, pressées comme les bêtes d’un troupeau frileux. Il est difficile d’avancer dans les rues-terriers desservant la honteuse cité. On marche dans la fange. Une monstrueuse odeur, en comparaison de laquelle celle de nos poubelles est parfum d’Arabie, nous prend, non seulement au nez, mais aussi à la gorge. Elle colle à nous, malfaisante et vorace. On est happé par cette infecte senteur épidémique et on a l’impression qu’on ne s’en débarrassera plus jamais.

Des sacs de toile servent de porte. Des cartons, de carreaux aux fenêtres. Par les rideaux soulevés, on découvre une population sombre et haineuse à l’intérieur de ces casemates. Des femmes obèses, des gosses à peu près nus, blottis autour d’un lumignon tandis qu’un poste à transistors vocifère des sambas.

Mme Buisson marche en tête. Parfois, des silhouettes inquiétantes s’interposent, mais elle les renvoie à l’ombre puante de quelques mots énergiques.

Au fur et à mesure que nous avançons dans ce cauchemar, nous nous apercevons qu’il est organisé, qu’il a ses commerces, ses bars, ses chapelles. Il s’agit bel et bien d’une agglomération.