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— Qu’est-ce que vous avez donc manigancé encore avec le dénommé Apucara ?

Sa surprise m’est perceptible. Sans le secours d’un compteur Geiger.

— Po… pour… pourquoi ? parvient-il à expectorer.

— Je vous pose la question ! reprends-je sèchement.

— Eh bien, ce malfaiteur dangereux… très dangereux…

— Je sais.

— … Voulait savoir où était parti Martial…

— Je sais toujours.

— Je…

Il s’arrête. Le réputé San-Antonio (des prouesses parisiennes) prend le relais :

— Et vous l’avez adressé à ce bon Hilario Freitas que vous juriez ne pas connaître !

— Eh bien, c’est-à-dire…

— Vous saviez qui était Hilario Freitas ?

— Heu… oui.

— Pourquoi alors lui avoir expédié Apucara dans les pattes ?

— Je connaissais les activités de Freitas et comme je croyais que c’étaient les barbouses qui avaient liquidé le patron, il me semblait naturel de…

Ça me prend à toute flèche. Je raccroche sans même lui recommander d’aller se faire dilater l’orifice chez les Grecs. Je me tourne vers Béru et j’aboie :

— Bon Dieu de merde, Gros, on a été interrompus dans la cellule au moment où t’allais me dire ce que tu manigançais chez Hilario Freitas et, depuis, on n’a pas eu l’occasion de reprendre l’entretien !

— Ben, c’est pas marle, mec. J’allais le parfumer au sujet de l’attentat.

— Comment ça ?

— Ben, c’était le chef des agents français au Brésil !

— Hein ?

— Nature ! Le Vieux m’avait filé ses coordinations comme quoi en cas de tabac quelconque fallait que je m’adressasse à cécolle. Voilà que j’arrive chez lui, la porte était ouverte. J’entre et je le trouve naze. Pour le coup je carillonne les voisins, et…

Je saute sur place. Je trépigne. Je désordonne. Je gesticule ! Je rage. J’enrage. J’orage. Et je rigole idem malgré tout, parce qu’un grand, un beau, un immense canular, même si l’on en est victime, ça demeure une sorte d’œuvre d’art, mes fils, n’oubliez jamais ça.

Machinchouette, le voyage payé, tout le bigntz : une combine du Vieux pour me faire partir. Une machiavélerie de ce salaud de Tondu. Le micro dans le bouquet ! Le poste de guet chez la vioque, de l’autre côté de la rue : du cinéma à grand spectacle ! Le Dabe voulait coûte que coûte que je retrouve Vosgien. Alors, il a employé les grands moyens ! Et Machinchouette me filait l’adresse d’Hilario pour que je coure porter à ce dernier les marrons que je retirerais du feu ! Sacré Machinchouette, va ! Où est-il allé pêcher cet excellent comédien, le dirlo ? L’idée de la raclée que j’ai servie au gars me plonge dans des transes de plus en plus hilarantes. J’y ai salement ébréché le clavier, à ce dégourdoche ! Il glaviotait ses dominos dans la suie de la mère Tapedur ! Oh ! ce que c’est drôle ! Oh ! comme j’aurais voulu assister à l’entrevue avec le Vioque, ensuite ! Être mouche et skatinguer sur le crâne au Surglacé pendant la séance ! Cette explication, madame !

— Mais t’arrêtes, oui, autrement sinon j’appelle un toubib ! s’égosille le Mastar.

Je me calme.

— Pourquoi tu ris de la sorte, San-A., fait l’Alarmé. J’ai idée que tu yoyotes des cellules depuis qu’on a z’été à cette grand-messe dansée ! Ils jetteraient pas des harengs-saurs, des fois, pendant leur fiesta bougnoule.

— Penses-tu, c’est l’atmosphère du carnaval qui me porte à la rate !

— Alors, tu devrais en écraser, conseille-t-il, moi je trotte retrouver Fernande. L’insomnie, ça me porte toujours au bulbe, gars, et je vais lui servir une platée de délices et orgues pour deux personnes avant d’en écraser.

Sur cette engageante promesse il sort, tandis que Félicie fait une entrée furtive et que j’appelle l’ambassade de France.

* * *

— Alors, tu crois que ça va s’arranger ? s’inquiète m’man après que j’eus raccroché.

— Je l’espère, l’attaché d’ambassade que j’ai eu me connaît de réputation et il a tout intérêt à coopérer, s’il ne veut pas que ça cacate, puisque Freitas était un agent français.

« On est en plein accord commercial avec le Brésil, et…

Le bruit d’une émeute me clôt le bec. Un moment je crois que c’est le carnaval qui passe, mais à la seconde audition, je me rends compte que ça se déroule dans l’hôtel.

Un pressentiment me poignant, je bombe vers la chambre du Gros.

Une fois de plus, la porte pend sur ses gonds et y a ramdam à l’intérieur.

Je m’y hasarde. Fernande est à poil dans la pièce en compagnie du flic qui vint nous appréhender (vous savez : le jugulé). Celui-ci est nu également et il a du mal à amortir les beignes qu’un gladiateur courroucé lui balance à tout va.

— Enviandé ! Poulet de mes choses ! Voleur de femme ! Violeur de jeune fille ! Détourneur de mineure, s’étrangle Béru. Dans ma propre chambre ! Une jeune fille de bonne famille, que son père, garde-champêtre, qui plus est, m’avait confiée !

M’est avis que notre quiétude palaceuse aura été de courte durée.

Le flic proteste. Mais les gnons pleuvent trop dru, trop fort, trop rapidos sur son nez déjà en compote.

Fernande pleure. Les loufiats radinent. Un fin gourmé de la direction itou. Il en a marre de la clientèle bérurière. Il en a assez de faire remplacer la porte du 269 toutes les huit heures ! Il peut plus supporter un tel esclandre ! Il va prévenir la police ! Faire amener le pavillon français ! Prendre des mesures, quoi ! Coucher Béru et sa donzelle sur la liste noire, les rendre tricards de palace à jamais.

Tout ce que Béru entend des menaces, c’est le mot police.

— La police ! se décordevocalise-t-il, la police, dis, chien-panzé, la v’là ! C’est elle justement qui me double ! Avec une petite jeune fille tout ce qu’il y a d’innocente que je ni apprêtais précise aimant d’aller épouser à Montez-Vite-Et-Haut en Nu-Rugueux, avant de rentrer chez moi !

— Qu’est-ce que j’entends ? hurle une voix bien connue de mes trompes.

Alors là, mes enfants, c’est du Feydeau ! Quelqu’un paraît, bousculant tout. Quelqu’un d’énorme et de violacé. Quelqu’un qui porte un chapeau de paille agrémenté d’un massif de glaïeuls ! Une robe noire imprimée où s’écrasent des pivoines. Quelqu’un qui a des perchoirs à perroquets en guise de boucles d’oreilles et une sorte de réveille-matin en sautoir. Quelqu’un qui moulinette avec un mignon parapluie dont le manche représente un bûcheron et une bûcheronne en train de préparer le Petit Poucet.

— Berthe ! lance Béru, toute colère anéantie, comme il crierait merde ! en se pinçant le doigt dans la porte.

Puis, se souvenant qu’il a joué des pièces au patronage de Saint-Locdu-le-Vieux, jadis, il enchaîne :

— Je rêve ?

— Non, tu rêves pas ! Goret ! Goujat purulent ! Cocufieur ! Misérable ! Bigame ! Trigame peut-être ! Pis, et puis et Colégramme, s’enroue la rouée.

Elle agonise littéralement.

— Ainsi c’était donc vrai ! Toi au Brésil, avec une traînée qui sent encore le fumier ! Une dévergondée que la rage du cul rend aveugle et qui est capable de tout pour séparer un ménage uni !

Elle pleure, ouvre son sac et, tout en y cueillant un mouchoir, y prend aussi une lettre.

— Cette gueuse qui m’écrit pour me narguer, comme quoi mon homme l’emmenait au Brésil et qu’il allait divorcer en sa faveur !