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Elle en prend un, le lance en l’air, le rattrape en riant. M’est avis que cette donzelle est un peu lézardée du plaftard. Elle saisit un deuxième coussin. La voilà qui jongle en gloussant. Sur le coup, les blondinets sont un peu déroutés, mais ça finit par les amuser, ces simagrées. Surtout que la bonne femme jongle maintenant avec un troisième, puis un quatrième coussin. Ça doit être une artiste ayant participé à la représentation. À un certain moment, la maladroite rate un de ses coussins qui choit au pied du tabouret du haut duquel le mitrailleur d’élite continue de nous tenir en respect.

Avec des petites mines confuses, notre jongleuse va le ramasser. Elle se baisse, et alors c’est le clou de la représentation, mes fils. Tout se déroule si vite que nous n’avons pas le temps de réaliser.

En se baissant pour ramasser le coussin, la bohémienne fait un bond la tête la première.

Elle file un coup de boule dans le ventre du Russe qui fait une cabriole en arrière et s’abat sur le plancher. Sa tête a porté contre une table basse et, à la position de son cou, je me dis qu’il doit avoir une demi-douzaine de vertèbres cervicales de cassées.

La bohémienne, au cours de cette plongée acrobatique, a perdu son turban, ses cheveux et l’une de ses boucles d’oreille.

La trogne magnifique du gars Béru nous est alors restituée. Sans perdre une seconde, le Gros saute sur les pétards.

— Fais gaffe, Béru ! je lui crie.

Car le deuxième Russe plonge sur lui, un couteau à la main. Tout en criant je me suis allongé sur le parquet. Un pied de l’assaillant me heurte le crâne. Je me dis qu’il a dû me le défoncer. J’entends confusément un remue-ménage près de moi. Puis un tic-tac. Silence. Je regarde : le deuxième blondinet est en train de se tortiller sur le sol en se pétrissant sa brioche dans laquelle ce petit écureuil de Béru a planqué trois ou quatre glands d’acier pour l’hiver.

— Eh bien, mes enfants, dis-je, c’est ce qu’on appelle un coup de théâtre.

Je regarde Béru.

— Si Mme Sahara Bernhardt voulait bien nous résumer le premier acte de son mélodrame, ça nous éviterait de mourir de curiosité.

Le Gros se dépiaute en rigolant comme un petit fou.

— J’ai marché sur tes brisants, Gars, me fait-il avec orgueil.

— C’est-à-dire ?

— Moi z’aussi je me suis payé une nana de l’émir.

Nous nous exclamons à qui mieux mieux.

— Que me bailles-tu là, bonhomme ?

— J’ai pas voulu partir d’ici sans être allé faire une petite virée au sérail. Seulement, pour limiter la casse, je m’ai déguisé en bergère. C’était simple, mais fallait y penser. J’ai secoué une perruque dans la malle d’une danseuse et avec des rideaux j’ai confectionné le joli petit ensemble que vous avez vu.

— Tu es le Christian Dior de la Poulaille, complimenté-je. Et alors, raconte !

— Je m’étais repéré une gentille petite négresse bien sous tous les rapports. À la frissonnante, que je l’ai eue ! Mon regard ensorceleur numbère oane, quoi. Quand je m’ai pointé au sérail, ces dames ont cru que je faisais partie de la troupe et elles m’ont offert des bonbons. Moi, en loucedé, j’ai sélectionné ma petite Miss Café-au-lait dans un coin. Elle cause pas français, mais comme elle a du doigté, j’ai pas eu de mal à lui faire comprendre que l’habit ne fait pas le moine ! Elle m’a piloté dans sa carrée personnelle et alors, mes enfants, j’ai eu droit à une séance estravagante. Figurez-vous qu’elle m’a…

— Oh ! ça suffit, Gros, épargne le descriptif, tu vas nous faire censurer. On a mieux à fiche pour le moment.

Je regarde où en sont les deux blonds. L’un est mort, l’autre est décédé. Nous les arrangeons sous des coussins pour les soustraire provisoirement à la vue d’un visiteur.

La grande hécatombe de printemps continue, quoi ! Nous avons une façon de jouer au Petit Poucet en jalonnant notre parcours, qui n’est pas piqué des vers de chez Borniole. Si on s’attarde encore au Kelsaltan, la population de ce valeureux patelin sera en rapide régression.

— Ils vous ont parlé de nous ? je demande à S 04 H2 ?

— Pas un mot. Ils sont entrés dans votre chambre après avoir visité les pièces voisines. Ils fouillaient. Et c’est en fouillant qu’ils m’ont découvert.

— Ont-ils eu l’air surpris en vous trouvant là ?

— À coup sûr.

— Par conséquent, conclus-je, ils n’étaient pas encore descendus dans les prisons. Ce qui revient à dire que, le garde qui s’y trouve ligoté n’étant pas en mesure de nous démasquer, nous pouvons encore sortir du palais.

Je claque des doigts à Béru.

— Puisque tu as des talents d’habilleuse, camoufle un peu notre ami qui fait trop occidental.

— Fastoche, se réjouit le Gravos. En deux coups d’écuyer à Pau, ça va être réglé.

Teinture d’iode, chiftards de couleurs et en effet, nous voyons naître une kelsaltipe sous les doigts magiques du boudiné.

Pinaud mate l’heure.

— Le zinc ne sera là que dans quatre heures, dit-il, où allons-nous nous planquer ?

— Nous verrons.

Là-dessus, la porte s’entrouvre et le doux visage de Lola apparaît.

— Ça y est ? fait-elle.

Je vais vous avouer une chose, mes Jolies Princesses, mais dans le feu de l’action je l’avais oubliée, celle-là.

— Écoute, mon lapin rose, je lui gazouille, nous allons sortir du palais parce qu’il y a urgence. Toi, tu viendras nous rejoindre dans trois heures à l’est de la ville, derrière la grande dune au sommet de laquelle se dresse le mausolée du Vieux Kroumir.

Elle blêmit.

— Mais comprends une chose : les femmes ne peuvent quitter le palais.

Sirk s’emporte en voyant ma mine dubitative.

— Dites donc, commissaire, on va tout de même pas jouer les boy-scouts et risquer de se faire crever pour une gonzesse, non ?

— Salaud ! fait Lola en lui crachant au visage. Tu es donc le démon pour toujours briser ma vie !

Je m’interpose, d’abord parce que c’est pas le moment d’organiser un nouveau combat de catch, ensuite parce que ce que dit la pauvrette fait un peu vieux mélo et que ça n’est pas digne d’une prose de la qualité de celle que je vous livre.

— Qu’est-ce qu’elle a à me chambrer avec sa vie brisée, cette pécore ? gronde Hamar.

— Laisse, je t’expliquerai tout plus tard, coupé-je violemment.

Je réfléchis. Il y aurait bien la solution qui consisterait à la travestir en homme, mais nous n’avons pas le temps de chercher des fringues. Chaque seconde qui s’écoule prépare la catastrophe.

Dans les pires instants, mon sixième sens intervient, pour prêter main-forte aux cinq autres. J’aperçois dans un angle de la pièce un coffre mauresque, en cuivre. Il me semble assez grand pour y loger Lola.

— Colle-toi là-dedans, petite. On va plonger.

CHAPITRE XIV

Le cortège s’organise comme suit : Sirk et Béru coltinent la malle, Pinaud et Gérard[15] les précèdent, moi je ferme la marche.

Nous prenons la sortie qui sert, dans le sens contraire, d’entrée des fournisseurs. C’est plus prudent, car l’entrée principale (qui sert éventuellement de sortie d’apparat) est très fréquentée. Certains émirs rentrent déjà chez eux pour des raisons diverses. L’un parce qu’il a oublié de fermer le gaz en partant, un autre parce qu’il veut suivre l’homme du Quinzième Siècle à la Télé (on est en retard au Kelsaltan) et le troisième parce qu’il a un élevage de chats persans et que ces bêtes-là, c’est comme les chiens de Pathé-Marconi, ça ne connaît que la voix de son maître.

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15

Comme je n’ai pas de secret pour vous, je vais vous révéler une chose. Le vrai prénom de l’agent S 04 H2, ce n’est pas Gérard, mais Alcide. Il s’appelle Alcide Sulfuric. Gérard n’est que le prénom d’emprunt d’un cousin de sa concierge. Mais chut ! Je suis en train de trahir des secrets d’État.