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Un premier coup de marteau. Le sang gicle de la main trouée du Gros.

— Ah ! les carnes !

Il est très bien, le camarade Béru. Stoïque. Un peu pâlichon sous sa couche de bronzine, peut-être, mais d’une fermeté édifiante.

Un second coup ! Le clou s’est enfoncé de deux centimètres. Le raisin pisse comme l’eau d’une tuyauterie crevée. Penché sur le Mastar, Obolan se repaît. Il arrose sa colère avec le jus de veines des victimes. Tous les tyrans font commak. Ils pensent pouvoir étancher leur soif, mais ils n’y parviennent jamais car le sang désaltère moins que le Cinzano[20].

Mon petit lutin rapporteur m’envoie un télégramme en urgent. Il me dit : « Vise donc un peu la môme Lola qui, elle, a les mains libres et qui profite de ce que l’attention de l’horrible Obolan est accaparée pour exécuter dans ta direction un mouvement tournant. Si tu n’es pas la dernières des crêpes, mon pote San-A., complète le mouvement et présente-toi à elle de dos pour lui permettre de te délier.

Un drôle de futé, mon petit lutin, hein ?

Je suis ses instructions à la lettre. D’un regard, j’invite ma Lola à délacer mes liens. Ça se passe aux frais du Gravos. Big pomme subit un martyre qui n’a d’équivalent que celui de Saint Sébastien. Il serre le dentier, Bibendum. Il veut pas gémir. Il se laissera découper en rondelles s’il le faut, sans donner à ses tortionnaires la satisfaction de l’entendre crier.

Je suis maintenant dans le dos de l’émir. La main tâtonnante de Lola, si experte pour dévaliser les poches de Kangourou, arrive sur mes poignets ligotés. Elle a un doigté pharamineux, cette beauté. Un Chopin gynécologue, pour vous la préciser professionnellement.

Soudain, je sens que j’ai recouvré ma liberté de mouvements.

Un léger glissement. Ce sont mes liens qui viennent de choir. Je faufile ma main droite dans les plis de ma gandoura. Ah ! la bonne crosse gaufrée du pétard à répétition. Je dégaine, sans que personne ne se soit aperçu de rien. Je vise les deux crucifixeurs et je crache une demi-douzaine de pépins. Ils s’abattent sur le Gros. Lors, j’appuie le canon brûlant sur la nuque d’Obolan.

— À nous deux, Pauvre Crêpe, grincé-je. Si tu ne fais pas exactement tout ce que je vais te dire, je te farcis tellement la cervelle que ta tête sera plus lourde que ta saloperie de conscience.

En voyant que je me sers de leur monarque comme bouclier, les gardes n’osent broncher.

— Tu vas leur dire d’arracher ce clou de la main de mon ami. Et qu’ils ne lui fassent pas mal !

Obolan, dont je vois les membres faire « à gla-gla », transmet mon ordre. Un garde nanti de tenailles arrache délicatement le clou. Béru se redresse.

— Dites, Miss Lola, fait-il à la charmante, vous auriez-t-y pas un petit bout de quéque chose pour que je me fasse un pansement ?

Elle déchire un pan de son voile.

— Merci, dit le Gros.

Il se fait un bandage express et rafle deux mitraillettes aux gardes terrorisés.

— Maintenant, me dit-il, on va pouvoir s’expliquer avec ces fripouilles.

Il saisit un coutelas très effilé, tellement effilé que, de profil, la lame est invisible à l’œil nu. Puis il s’approche de l’émir, cueille entre le pouce et l’index une pointe de sa belle moustache calamistrée et tranche un côté de cet ornement pileux.

Un seul.

— Maintenant regardez, bandes d’esclaves ! lance-t-il aux soldats pétrifiés, votre émir de mes choses, quand il lui reste rien qu’une baffle, il a l’air aussi crêpe que le dernier clodo du patelin.

— Ne fais pas de démagogie, Gros, le calmé-je. On va se tirer d’ici avec Sa Majesté et Lola.

— Bon Dieu ! Et Sirk ! s’exclame le Gros, tu crois qu’ils l’ont déjà dévalsé ?

— Cher émir, dis-je. Donnez l’ordre à vos comiques troupiers d’aller chercher notre compagnon et dites que si l’opération est en cours elle soit suspendue.

Un vrai mouton, Obolan, quand il a le canon d’un casse-tête dans le cou. Il ordonne tout ce qu’on veut. Il verrait un enfant de chœur qu’il l’ordonnerait prêtre dans la foulée.

— Pourvu qu’on arrive à temps, fait Béru. Ou du moins qu’on ne lui ait ôté que la moitié de ses philippines. Un, c’est mieux que rien. Ça personnalise un type.

Pendant que le messager va récupérer notre pote, nous remontons l’escadrin.

Quant à l’émir, il s’efforce de se composer un maintien digne pour affronter ses gens. Mais c’est une vraie gageure. Quand on marche au bout d’un pistolet avec seulement une moitié de moustache, il est dur d’imposer le respect.

— Dis donc, l’émir, je gouaille, j’ai idée que ton standing, si on le cotait en Bourse, il foutrait pas les Royal-Dutch par terre, hein ?

Une fois que nous avons refait surface, on nous amène Sirk Hamar. Il est soutenu par deux gardes, il se traîne. Il est vert, avec des yeux plus cernés que ceux d’une collégienne.

— Oh ! m… arabe ! soupire le Gros, tu veux parier qu’ils sont arrivés trop tard ?

Nous interpellons ce pauvre truand.

— Alors, Sirk ?

Il balbutie :

— C’est fait. Ah ! les tantes !

— Complètement ? insiste Béru d’un ton qui s’enroue.

Sirk opine (c’est tout ce qu’il peut faire désormais).

— Pour un barbeau, tu parles d’une punition ! s’émeut le Gros.

La larme perlant à la paupière, il s’approche d’Hamar et lui passe un bras affectueux autour du cou.

— Pauvre bonhomme ! soupire-t-il. Faut pas te laisser abattre. Y a tout de même pas que l’amour, dans la vie. Tiens, t’apprendras à jouer aux échecs, paraît que c’est un bon passe-temps.

CHAPITRE XVI

— Où m’emmenez-vous ? demande Obolan, comme nous l’entraînons dans la cour de son palais.

— Prendre l’air, mon pote, lui rétorque amèrement Béru.

— Je ne sais pas si vous vous rendez compte de la gravité de votre acte, me dit l’émir. C’est la rupture des relations diplomatiques entre nos deux pays ! Peut-être même la guerre !

— Écoute, l’émir, gronde Béru qui ne lui a pas pardonné son début de crucifixion ni l’ablation pratiquée sur Sirk, non seulement tu nous coupes les choses, mais en plus tu nous les brises. Alors ferme-la.

Il fait quelques pas et réalise qu’on va au poste de garde. Après, ce sera la ville, la nuit, la fin peut-être de son règne.

— Lâchez-moi et je vous donnerai une fortune, promet-il. Vous aurez chacun dix sacs d’or, je vous garantis la liberté. Vous pourrez repartir sans crainte…

Je le considère avec ironie.

— Dites donc, monsieur Obolan, c’est pas un langage de chef que vous tenez-là. Auriez-vous peur ?

Il a peur.

— Qu’allez-vous me faire ?

— Vous le verrez. Je ne suis pas comme vous : je ne divulgue pas à l’avance le programme des réjouissances, je préfère en réserver la surprise.

Une drôle d’atmosphère plane sur le palais.

Les domestiques, les soldats, ces dames du sérail, les ministres, le reste des invités regardent, paralysés par la stupeur.

Personne ne tente rien. Ils croient à une révolution. Et les révolutions impressionnent toujours.

— Sirk, dis-je à notre infortuné compagnon qui se traîne au bras du Gros, peux-tu parler ?

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20

Si j’en reçois pas une caisse après cette phrase shakespearienne c’est que C.D.C. est D.C.D. !