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– À mettre sur la chambre ? demanda le maître d’hôtel. Il se frottait les mains et je vis que c’était tout à fait involontaire.

– Oui, merci, fit-elle.

– Nous avons aussi une maison qu’on vient de rénover ici, à Reykjavík, me dit-elle. Elle est dans le quartier de Thingholt. Mon mari l’a achetée il y a deux ans, mais nous ne l’avons jamais utilisée. Il pensait la faire démolir pour en construire une neuve sur le terrain, mais il a étudié les idées de l’architecte d’intérieur et…

Elle haussa les épaules, comme pour montrer que cela n’avait aucune importance que la maison de Thingholt reste debout ou soit démolie.

– Hmm… marmonnai-je avec un délicieux goût de gâteau au chocolat dans la bouche.

Je me mis à réfléchir à mon petit appartement. Mes collègues juristes avaient tout de suite emménagé dans des pavillons. Ils possédaient des voitures spacieuses et coûteuses, allaient en Autriche faire du ski, faisaient des voyages dans ce pays du soleil qu’est l’Italie et allaient faire leurs achats à Londres. Peut-être que moi aussi j’avais envie de faire comme eux, de faire fortune. Peut-être que c’est pour ça que je suis ici. Je n’ai jamais su me débrouiller avec l’argent. Les crédits que j’ai eus sur le dos pour mes études étaient énormes. Mon petit appartement était entièrement à crédit. La voiture que je conduisais ne démarrait même pas quand je voulais.

Il fallait que tout ça change.

– Nous sommes beaucoup à Reykjavík, dit Bettý. Elle ouvrit son étui et en retira une cigarette sans filtre. Elle m’a dit plus tard que ses cigarettes étaient grecques, importées spécialement pour elle. Les fabricants refusaient de mettre un avertissement sur les paquets bien que leur nocivité soit plusieurs fois supérieure à celle des américaines. Elle l’alluma avec un briquet en or. Son rouge à lèvres se déposa sur la cigarette qu’elle avait à la bouche.

– Où habitez-vous autrement ? demandai-je.

– À Akureyri3. Mon mari possède une société maritime. Il est de l’est du pays. Moi, je suis de Reykjavík. Nous habitons ensemble depuis sept ans.

– Et c’est lui qui cherche un conseiller juridique ?

– Oui. Il est en réunion à la líú4. Je l’attends d’une minute à l’autre.

– Et pendant ce temps-là, tu vas à une conférence sur le management de la pêche en mer et l’ue.

Elle éclata de rire.

– Il savait que tu serais à cette conférence et c’est lui qui m’a demandé de te parler. De temps en temps, je suis utile à l’entreprise. Le plus souvent quand il a besoin d’amuser d’autres armateurs et copropriétaires dans toutes ces sociétés par actions ou bien des étrangers avec qui il traite. Des Allemands, pour la plupart.

– Et il t’a demandé de me contacter ?

– Est-ce que tu peux le rencontrer aujourd’hui ? Nous partons dans le Nord demain, et il y a un bal à la líú ce soir. Ici, à l’hôtel. Si ça t’intéresse, je peux… Mais tu n’as peut-être pas le temps… Ou bien tu n’en as pas envie…

– Pourquoi est-ce qu’il a besoin d’un conseiller juridique ?

– À cause des étrangers. Il a besoin de savoir où il met les pieds, avec l’Union européenne. Tu sais tout sur ce truc-là. Et lui, il ne comprend pas les contrats. Ils sont rédigés dans une langue juridique à laquelle personne ne pige rien sauf les initiés. Toi, tu sais comment ça marche. Lui, c’est tout juste s’il comprend l’anglais.

Elle éteignit sa cigarette.

– Il paie bien, dit-elle. La cigarette devait être vraiment forte, car sa voix, qui était déjà enrouée, grave et sexy, en devint plus rauque… Il ne faut pas que tu te fasses de souci pour ça, continua-t-elle. Excuse-moi, est-ce que tu fumes ? J’aurais dû t’en offrir une.

– Non, merci, je ne fume pas.

– Encore du café ?

– C’est pas possible, dis-je. Il faut que j’y aille.

– Est-ce que je te verrai ce soir ?

Toujours cette insistance polie. J’avais envie de lui dire de laisser tomber et de partir car quelque chose chez elle me tapait sur les nerfs. J’avais l’impression de ne rien avoir à faire avec elle, de ne rien avoir à faire avec son mari, ni avec sa grande, son énorme société maritime dans le Nord, de ne rien avoir à faire avec leur richesse, leur maison à Thingholt qu’il leur était égal de faire raser. De ne rien avoir à faire avec ce monde dans lequel les serveurs s’inclinaient et faisaient des courbettes en apportant des plateaux pleins de gâteaux.

– Je sais que mon mari a très envie de te rencontrer, dit-elle.

Encore son insistance.

– C’est que… dis-je en essayant de trouver les mots justes. Tout cela est très tentant, mais je ne sais pas où je vais. Je ne sais pas qui tu es, je ne t’ai jamais vue avant. Je sais qui est ton mari et je connais un peu son entreprise, comme tout le monde en Islande probablement. S’il veut m’engager pour un travail ou une mission, il peut me contacter au bureau tout comme les autres. Merci pour le café.

Je me levai, elle m’imita et me serra la main.

– Alors, tu n’as pas l’intention de venir au bal ce soir ? dit-elle. Elle me regarda de ses yeux bruns, ignorant ma tentative de lui montrer que je n’avais en rien besoin de leur couple ou de leur argent.

– Je ne connais personne.

– Tu me connais, moi, dit-elle, et ses yeux souriaient comme si nous avions déjà un petit secret en commun.

Lors des interrogatoires, j’ai clamé mille fois mon innocence. Mon avocat me l’avait conseillé dès le début.

Je ne sais pas ce qu’il pense de mon affaire. J’ai mis ma vie et mon honneur entre ses mains et il faut que je lui fasse confiance. Je sais qu’il a plaidé lors de quelques grands procès. Il est venu une fois chez nous au cours de droit pénal et il a parlé un peu de ses procès. Il a défendu des trafiquants de drogue, des cambrioleurs, des criminels et des assassins. La police le connaît très bien. Il est un peu le vieil ami des gardiens. Il a la soixantaine, il est svelte, chauve, la moustache tombante, ce qui lui donne un air inutilement triste.

– Qu’est-ce que disent les gens ? lui ai-je demandé un jour. Qu’est-ce que les gens pensent ?

– Ne te fais pas de souci pour ça, dit-il en ouvrant un grand porte-documents.

– Où est-ce que ça en est pour mon recours ?

– La Cour suprême l’a rejeté. Tu vas rester ici aussi longtemps que le veut la police.

– Je ne coopère probablement pas assez, dis-je.

– Tu n’as même pas voulu me parler, dit-il en se lissant la moustache.

C’était vrai. J’avais du mal à parler de ce qui s’était passé. Du mal à le reconnaître. Il disait qu’il était patient. Que c’était ma vie qui était en jeu. Et il disait aussi que je n’améliorais pas ma situation. Qu’il fallait que je sois davantage volontaire pour coopérer aussi bien avec lui qu’avec la police. Je sais très bien ce qu’il voulait dire. La détention provisoire vous amène à réfléchir et à replacer les choses dans leur contexte.

– Quoi qu’il en soit, dit-il, voilà quelques livres pour toi, pour que tu aies quelque chose à lire.

Il me tendit un roman, une biographie d’un homme politique et le récit d’un homme innocent resté des semaines et des mois en détention provisoire.