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La porte s’ouvre à grande volée et l’inspecteur Blanc se pointe, impec dans un costume prince-de-galles aux tons violet et bleu. Chemise lilas, cravate en tricot lie-de-vin. Il est crêpé de frais, parfumé à la lotion « Flocon de Lune » de Canal et il mâchouille la tige d’une rose. Il époustoufle, mon copain noirpiot ! Tu croirais Sydney Poitier dans Devine qui vient claper.

Ses douze stylos réclames sont à la parade dans la poche supérieure de sa veste, façon cartouchière cosaque.

— Salut, les mecs, fait-il. Qu’est-ce que vous manigancez ? Vous êtes chiés, tous les deux !

Pleinement remis de sa grave indisposition consécutive à seize centimètres de lame suédoise dans la région du cœur[4], Jérémie est une espèce d’hymne à la vie. Son sourire, tu dirais le bord d’un chalet, au plus fort de l’hiver : y a moins trente centimètres de neige entre ses grosses lèvres.

— Dis donc, fais-je, tu te saboules Epsom, toi, pendant tes convalos ! Où as-tu dégauchi un costard à ce point britiche ? Tu ressembles au prince Charles qui aurait pris un bain d’encre de Chine !

— M’aurait étonné qu’à mon retour tu ne me balances pas un de tes vannes racistes, mon vieux, soupire M. Blanc. Avec vous autres, quand on ne ressemble pas comme vous à une merde de laitier, c’est d’emblée le quolibet ciselé crème de con !

Je m’approche, le biche aux épaules et l’accolade.

— Bienvenue à la Grande Volière, râleur ! Dis voir, ils ne t’ont pas simplement réparé, mais refait à neuf, à l’hosto !

— Quand on travaille sur de la matière noble, l’œuvre d’art naît plus facilement, assure-t-il modestement.

— Ça va, Ramadé ?

— Une reine !

— Et ta chiarderie ?

— En plein déploiement.

Je me fends le pébroque.

— Un jour, j’organiserai une sauterie à laquelle je convierai tous vos lardons, à Mathias et à toi, ce sera pas triste. Par exemple je ne ferai pas ça à la maison, n’étant pas assuré contre les dégâts des zoos !

Jérémie se tourne vers le Rouquin :

— Allusion voilée à mes enfants qui, pour môssieur ton commissaire de mes deux, ressemblent à des singes !

— Allez, la converse va pas dégénérer, espèce de primate ! lancé-je.

— D’accord, seulement je préviens, dit gravement Jérémie : je me fais pas trouer la paillasse sous les couleurs de la Rousse pour encaisser ensuite des pauvretés à propos de ma race, sinon je largue tout et je regrimpe à mon cocotier, du haut duquel je vous pisserai sur la gueule !

— T’as de nouveau bouffé du lion ! ricané-je ; nos humbles steak-frites ne te suffisent donc plus ?

Là, il va exploser, mais une bombe ne lui en laisse pas le temps !

Ce ramdam ! Ce tohu ! Ce bohu !

L’onde de choc nous fait grimper les testicules dans le gosier. Puis c’est un court silence, mais tellement intense qu’il paraît se prolonger par-delà l’infini. Un silence cosmique, intégral. Quand un astronaute fait une virouze hors de sa capsule Machinchose, s’il ne pète pas, il doit goûter cette rigoureuse absence de sons.

Et puis c’est le tumulte. Le bruit de l’horreur. Des cris de souffrance, des appels affolés.

On se précipite.

Une partie des bâtiments est nazebroque. Y a un cratère grand comme le trou du cul d’Henri III au mitan. Ça bée à gauche de la cage d’escadrin. On aperçoit des bureaux éventrés avec des inspecteurs ensanglantés dedans, pétrifiés dans leurs attitudes du moment. Le burlingue du brigadier Poilala, un très modeste meuble, est cassé en deux, au-dessus de nos têtes, et Poilala idem, dont une moitié (la supérieure) pend au-dessus du gouffre, accrochée aux barreaux tordus de la rampe. C’est effroyable à regarder. Je l’avais jamais vu nu-tête, le brave brigadier, je me doutais qu’il était chauve sous son kébour, mais à ce point, franchement, j’étais loin de m’en gaffer. Il y a une couronne de tifs châtain-roux-grisonnants ; et puis un œuf d’autruche à la coquille lisse comme du parchemin et si pointue qu’on voit mal comment le cerveau aurait eu la place de se développer dans cette exiguïté et que, une fois sa mort perpétrée, il devient évident qu’il ait été brigadier-planton, le brave.

Cher Poilala ! En un éclair, j’imagine la prise d’armes dans la cour de la Préfecture de Police, son cercueil drapé de tricolore, avec son humble képi posé dessus pour qu’objets-inanimés-avez-vous-donc-une-âme, et le grand Chirac, si sympa avec sa frime de brochet de luxe, prononçant l’horloge funèbre du défunt, comme quoi cette nature d’élite de Poilala, à la carrière fulgurante, dévoué jusqu’à la mort a, tout ce qu’il y a de volontiers, offert sa pauvre vie de vieux con à la France. Et que la France, pas si salope qu’on pense, a tout pigé et lui vouera une reconnaissance de trois mètres de long en cent quarante de large, pour services trois pièces rendus — à la natation ! Tout ça, depuis sa petite tribune pareille à une pissotière d’une place, le chéri ! Tous les matins, par ces temps de mort : horloge funèbre. Même quand les terroristes font relâche, il va funébrer à blanc, le grand, pas perdre la voix. Et le petitou de l’Elysée, depuis sa voie de garage approuve hautement : « Moi aussi, moi aussi ! » qu’il télégraphie. C’est devenu sa manière de gouverner, à Trotte-menu. Moi aussi. Il est passé approbationiste. Tout le parcours, quoi !

Moi, spontanément tout ça, je le visionne et l’écoute en regardant pendre le corps déchiqueté du bon zig. Si gentil, service-service, obtus, dévoué derrière sa grosse moustache qu’il se plaisait à effiler, comme le faisait Badinguet pendant qu’on dérouillait vilain à Sedan et les environs !

Du monde se pointe de partout. On s’interroge : « Quoi qui gn’a ? Qui qu’a fait ça ? »

Les vitrines sont pâles. Une bombe en plein chez nous autres perdreaux, faut pas craindre ! Avoir une vraie intense envie de nous traiter de cons, tous !

Je m’élance dans l’escadrin. Manque les trois dernières marches, lesquelles ont chu sur les jambes de l’officier de police Manivel, deux laitages au-dessous, ce qui le fait clamer comme mille putois, le pauvret. Malgré ce manque à l’escalier, je bondis au niveau supérieur. L’autre moitié de Poilala est assise sur sa chaise plantonesque en bois ciré et garnissage cuir véritable. Ça pue à s’en boucher les orifices à la cire à cacheter. Un corps ouvert, comme infection, y n’existe rien de plus pire. Jamais laisser un corps ouvert ! je recommande. Contrairement à une porte, il n’est pas fait pour être ouvert ou fermé, mais pour être à tout jamais fermé ! Putain ! la veine qu’on a, nous autres tous, de trimbaler cette abomination en nous, sans incommoder trop le prochain ! Tu parles d’un beurre ! Que juste parfois on fournit l’échantillon par le haut ou le bas, avec nos foutues soupapes. Les copains sourcillent, froncent les narines. Y a des effluves, qui partent itou par les pores de la peau (plutôt l’appeau des porcs !). Ça te déclasse un individu. Cela dit, on s’efforce de rester fermés, les humains. Que sinon, c’est la fosse d’aisance, doublée fosse commune, qui part à dache.

Le mur qui sépare l’antichambre du bureau directorial a valdingué et, par une béante brèche, t’aperçois Achille dans toute sa royauté, assis dans son beau et pivotant fauteuil, devant les jambes larges écartées de sa Mlle Zouzou en cours. Il était occupé à lui pique-niquer le trésor, cette ravissante, au moment de l’explosion. C’est son grand vice du troisième âge, Achille : la dégustation à domicile. Il baise avec la langue depuis lulure. Un gastronome ! Sa serviette brodée à son chiffre devant la cravate, il clape sa partenaire tandis qu’il met à chauffer du Wagner sur son électrophone pour lui couvrir les plaintes.

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4

Si t’es pas aussi con que je le crains, grouille-toi d’aller acheter Le casse de l’oncle Tom ; y a déjà plein de gens qui sont morts de ne pas l’avoir lu !

S.-A