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Une réflexion intense me pousse vers l’escalier de secours, puis la sortie du même nom.

Et devine qui je rencontre dans le couloir y conduisant ? Oui, mon cher : Violette ! Une Violette folle d’angoisse qui, en m’avisant, réprime un cri imprudent et se jette sur moi avec frénésie.

Je la galoche furieusement, malgré l’impropicité de l’endroit.

N’ensuite nous quittons cette étrange pension d’une étrange famille !

MARIVAUDAGE

Curieux, mais on ne se parle pas avant d’être de retour à notre hôtel. On est là, avec du chaud intense au cœur, sans même se regarder. Dans le taxi, pas une broque, juste j’ai virgulé notre adresse d’un ton fêlé.

A l’hôtel, au moment où le concierge me refile notre clé, il me remet un message. Je le décachette d’un coup de pouce.

Ça émane du chef de la Police.

A Commissaire San-Antonio

Sommes navrés de vous apprendre que nos premières recherches concernant ce que vous savez n’ont pas abouti. Continuons de suivre cette affaire de très près !

Respectueusement

Mustafa Kémal Foutu

M’est avis que nos collègues d’ici sont des incompétents. Ou alors, ce qui est plus grave : qu’ils se foutent de nos gueules.

Heureusement, Violette est plus fortiche qu’eux !

Une fois dans la chambre, on ne se dit toujours rien. C’est voluptueux, un tel silence. Il résulte de l’émotion qui nous a saisis dans la sortie de secours du Windsor Lodge. Comme cet élan a été révélateur ! Elle a couru à moi, moi z’à elle ! Farouche étreinte, baiser strident. Fourches caudales ! Une volée de bonheur volé : tchaoum ! pleine poire. C’est bon comme là-haut, dis ! Plus savoureux qu’une tranche de melon dans laquelle tu mords.

— J’ai bien cru que vous vous étiez fait prendre ! déclare-t-elle enfin.

— J’ai bien failli me faire prendre, lui confirmé-je. Et vous, héroïque, de venir à mon secours ! Vous êtes la Jeanne Hachette de la Police française, désormais !

— Vous avez eu confirmation, pour le tueur ?

— Au-delà de toute espérance, ma chérie.

Et je lui relate ma brève équipée en détail : le tandem de criminels pédoques, la canne dans la penderie, l’équipement permettant à l’un des deux de se travestir en gros vieillard boiteux, alors qu’il est jeune (je n’ai vu que ses pieds mais ce ne sont pas des paturons de vieux kroum !). Je poursuis par ma découverte de la cache dans le sommier, cache figurant, je gage, dans toutes les chambres puisqu’il y en a une deuxième dans celle qui est contiguë au nid d’amour des deux trucideurs.

Je poursuis mon rapport par la rencontre avec l’homme au visage « mangé de barbe », qu’il m’a semblé reconnaître, sans parvenir toutefois à mettre un nom sur cet O’ Cédar vivant.

— Je crains que nos bonshommes soient sur leurs gardes, ajouté-je.

— Vous craignez d’avoir laissé des indices ?

— J’espère que non, mais la vieille tenancière leur aura parlé de votre visite à vous ! L’argument du — pasteur infidèle qui vit une aventure avec un gigolpince serre la vérité de près, mais les flanque en état d’alerte. Pour peu que la servante qui m’a indiqué leur chambre ajoute son grain de sel, le couple va prendre ses cliques et ses claques.

Elle médite.

— Que pensez-vous de cette pension de famille, commissaire ?

— La même chose que vous, je suppose. Sa façade respectable abrite un nid de forbans. Une idée folle me tarabistoune le cerveau : et s’il s’agissait d’une sorte de repaire européen réservé aux malfaiteurs de haut niveau ? La Turquie occupe une place particulière : ce n’est plus tout à fait l’Europe et pas encore vraiment l’Asie. On se la représente comme une espèce de no man’s land touristique où il ne se passe rien. On y trucide l’Arménien dans les moments de fièvre, on y hait le Grec par plaisir, sinon on vend aux agences internationales : le Bosphore, la Corne d’Or, Topkapi, Sainte-Sophie et bien d’autres merveilles, en permettant aux touristes d’acheter dans les bazars de somptueuses émeraudes garanties authentiques mais qu’il ne faut surtout pas nettoyer à l’eau de Javel ! Imaginez qu’une élite de truands aient créé cette maison pour diplomates britanniques et la fassent gérer par une aimable vieille Lady enfanfreluchée et jacassante, quelle formidable planque elle constituerait ! Des meurtriers, ou des escrocs de top niveau, leurs coups accomplis ont besoin de se faire oublier. Ils filent directo à Istanbul, modifient quand c’est nécessaire leur apparence et vont s’installer, pour un laps de temps à déterminer, chez la mère Machin-chouette où ils coulent des jours douillets, à l’abri de toutes les tracasseries policières.

— Fantastique ! approuve Violette. Vous avez mis le doigt sur une sacrée affaire !

— Pas moi, mon âme : vous !

Je tapote le message laissé par les policiers.

— Et qui nous dit que les poulardins d’ici ne sont pas, sinon de mèche, du moins volontairement aveugles, sourds et muets ? Comme ça, sur un plan général ? Ils protègent, par leur inactivité farouche, les gens étranges venus d’ailleurs. Supposez, ma petite merveille si excitante (là, ses yeux étincellent) que, de même qu’ils ont fondé une pension de famille « à eux », ils aient, nos gredins internationaux, constitué un fond d’aide à la police turque ? Juste pour avoir la paix. Car ils ne sont pas ici pour « agir », mais au contraire pour se « reposer ». Il fait beau, la vie y est agréable, et les grands organismes répressifs ne pensent pas à ce pays comme pouvant devenir un lieu de retraite pour le grand banditisme. D’autres endroits, tels que la Costa del Sol, en Andalousie, sont réputés pour servir de lieux de vacances aux malfrats (anglais principalement). N’a-t-on pas baptisé la côte espagnole, entre Malaga et Gibraltar, la « Costa del crime » ? Mais les rives du Bosphore, non. C’est neuf, ça vient de sortir.

Elle ne se tient plus, Violette.

— Bravo ! Voilà qui est pensé en maître ! Vous avez raison, commissaire ! Il faut écraser cette fourmilière !

— Vite dit, ma jolie ! Un couple sans arme contre un immeuble d’assassins professionnels protégés par la police, ça ne s’appelle même pas « une lutte iné-gale », mais une « pure folie » !

— Alertons Interpol ?

— Qui fera quoi ? Des enquêtes officielles ! Des demandes de ceci-cela ! Tout le bataclan administratif qui ne servira qu’à mettre en fuite les pensionnaires de lady Machinchouette !

— Alors ?

— Alors je nage !

— Il faut agir, cependant ! s’écrie ma bouillante auxiliaire.

Je décroche le téléphone pour appeler Mathias. Chose singulière, c’est à son domicile que je le déniche, au milieu de sa horde. Ça gueule plein tube dans l’apporte du Rouquemoute. On perçoit des cris, des bris, des claques.

Je me fais connaître. Il bredouille :

— Oh ! c’est vvvvous, commissaire, ttu es gentil de m’appeler ! Je te vous entends mal parce que nous avons un petit différend familial qui dégénère un peu…

Puis, dans un souffle, à toute allure :

— Ça vous ennuie de calmer ma panthère ? Vous savez comme elle est folle de vous…