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Elle a un pâle sourire. Pas bravache : conquis à tout jamais.

— Tout ce que vous pourrez me dire, commissaire (tiens, elle a repris le voussoiement) ne m’empêchera pas de vous trouver sublime. Vous êtes si noble dans la colère, si beau, si grand que je vous aimerai toute ma vie et n’accepterai jamais plus un autre homme que vous dans mon corps !

— Ce qu’il faut entendre ! soupire Jérémie. Elle dit ça, mais le premier ouistiti qui lui montre son membre, elle lui saute dessus !

Je lui intime de se taire, d’un geste énervé.

— Parle, fais-je à Violette.

Là, elle se ressaisit et devient professionnelle.

— Je comprends que vous croyiez à une trahison de ma part, fait-elle en montrant Mathias. Mais tout ce qui s’est déroulé ici résulte de la volonté d’Achille. C’est sur son ordre exprès que j’ai agi. Vous ne me croyez pas, commissaire ?

Je n’ai pas le temps de lui répondre.

Quatre canons de mitraillettes s’insinuent par l’entre-bâille-ment de la porte.

Une voix féminine lance avec calme :

— Tout le monde les bras levés, face au mur. Sinon ça va être le massacre de la Saint-Valentin !

L’HALLALILALALÈRE

Toi qui es à moitié con, tu as déjà compris, avec ta bonne moitié, que nous renouons de brusques relations, les « amazones » et moi. Bravo ! Tu es digne de demeurer mon lecteur pendant encore trois décades décadantes, plus les années de guerre.

Nos chères sœurs de la Contraception Contempla-tive se sont remises de leurs émotions, m’ont recherché et retrouvé. Intraitables Walkyries ! Comment ont-elles pratiqué n’est pas mon affaire. Je le sais pertinemment qu’il y a plein de gens à mes chausses. Fantastique imbroglio ! Quand je traite le cas des tueurs, nous sommes filochés, et puis des mecs (ou des gerces) suivent qui nous suit, et ainsi de suite. Les fausses religieuses nous alpaguent pour nous driver en leur couvent, aussitôt y a du trèpe à la clé, pour nous filer le dur ; si bien que lorsque nous nous évadons du monastère, des dégourdoches en attente n’ont plus qu’à reprendre la poursuite infernale.

Il serait peut-être temps de dénombrer mes adversaires et de les « replacer dans leur contexte » comme « ils » disent puis ces temps. Tu remarqueras « replacer dans son contexte », c’est leur nouvelle dégoulinerie. Ça et aussi « il faut raison garder » : un vieux machin remis au goût du jour par quelque politicard persuadé que c’est de lui. Pour ce qui est de se piquer des formules, ils sont tous d’accord. La « langue de bois « aussi, tiens, ça marche de la gauche à la droite. Les pauvres nœuds pantelants ! Je pensais parvenir à mourir sans vraiment les haïr, mais je commence à piger que ça va pas être possible ! Je craque ! C’est comme une lente et inguérissable (d’Olonne) maladie. Elle m’investit, me contraint. Mourir en état de haïssure, c’est grave, tu sais ! C’est « péché mortel » comme on disait à l’époque du caté.

Je m’étais confessé un samedi pour communier le lendemain. Et voilà-t-il pas que je rencontre la petite Masson, Huguette Masson. Déguisée en Chaperon Rouge, elle allait porter je ne sais quoi à sa grand-mère malade (peut-être une galette et un pot de beurre, après tout ?). Je l’ai accompagnée. La grand-mère était veuve et moribonde dans une grande bâtisse froide qui puait la pisse de chat. J’ai attendu Huguette dans la cuisine où le lourd tic-tac de la grosse horloge à balancier grignotait les derniers instants de la mère-grand que le loup travesti en Mort allait bientôt venir boulotter.

Quand Huguette est redescendue de la chambre, je l’ai saisie par-derrière et j’ai retroussé sa robette. Elle portait des bas de laine maintenus par des élastiques et une culotte « Petit Barlu », plutôt rude, fixée à la taille par des boutons. J’étais si ému et si gauche que je n’ai pu en défaire qu’un seul. A peine de quoi passer la main pour caresser sa petite minouche. C’était excitant. Le sang carillonnait dans mes baffles. Mais je ne triquais pas. Je pensais que j’étais en train de me flanquer en état de péché mortel, ni plus, ni moins. Je n’avais dans le cigare que ma communion du lendemain. Si j’allais à la sainte table avec des doigts sentant la chatte, j’étais bonnard pour l’excommunication, les feux de l’enfer, la féroce damnation sans appel.

J’ai bricolé l’Huguette un moment, juste pour dire de constater de quelle façon ça se présente, une figue. Et puis on est rentrés sans parler. Le dimanche, j’ai chiqué à l’angine pour ne pas me rendre à l’église. Du même coup, j’ai fait tintin pour le match de baskett de l’après-midi : Ruy contre Saint-Alban-de-Roche ! Mais quoi : j’ai toujours traîné avec moi un certain sens du devoir.

Je t’ai pas encore parlé du commando qui vient nous braquer. Il comporte la Chinoise de l’après-midi, sa copine anglaise, et puis deux types jeunes, blonds et couperosés.

— Vous constatez, commissaire, me dit l’Asia-tique, je ne peux me passer de vous.

— Vous m’en voyez ravi, ma révérende.

— Où est votre gros copain ?

— Il joue le rôle du dieu Priape dans une rétrospective hystérique.

— Et l’homme qui gît en bas, avec la tête fracassée, qui est-ce ?

— Un parachutiste qui a raté son saut, mais je ne le connais pas.

Elle ne sourit même pas à cette excellente facétie.

— Le moment est « réellement » venu de nous indi-quer où se trouvent Kelfiott et Tommaso, affirme-t-elle.

— Si je le savais !

Gros soupir à fendre une bûche du bien-aimé San-Antonio.

— Non, pas ça ! rouscaille sœur Lajaunisse. Pas vous ! Pas avec moi !

Je hausse les épaules, ce qui est très difficile lorsqu’on tient ses deux bras levés.

En termes choisis, nets et concis, je lui raconte ce qui vient de se passer : fausse ambulance, attaque d’icelle, enlèvement des gredins.

Elle m’écoute, plissant ses paupières, au point que son regard ressemble à deux coups de canif dans une orange pas très mûre. Me croit-elle ? Franchement, il me semble que oui. Derrière son doute endémique, luit la petite lueur de la crédulité.

— Qu’est-ce que c’est que cette agence de voyages ? demande-t-elle au bout d’un moment. Je la trouve assez singulière.

— Pas plus singulière que certain couvent de ma connaissance, ma bien chère sœur ! rétorqué-je avec un à-propos qui flanquerait des coliques de plomb au Bonhomme en bois des Galeries Barbès (que le dieu des menuisiers ait son âme !).

— Que faites-vous ici ? reprend-elle.

— Cela, vous allez devoir le demander à la ravissante personne que voilà, fais-je en désignant Violette.

La Chinoise (peut-être est-elle en réalité coréenne, philippine ou thaïlandaise, j’ai pas son pedigree sous la main) se tourne vers ma « collaboratrice ».

— Eh bien ?

— Rien à déclarer, assure calmement Violette.

L’autre va se fâcher, c’est certain. Mais une diversion s’opère, car ce puissant ouvrage est plus fertile que la Beauce en coups de théâtre. Dans les grands magasins Santantonio, ça ne chôme pas ! Il s’y passe toujours quelque chose !

Voilà qu’un des gars blonds soubresaute et tombe en se tordant spasmodiquement. Illico, son pote qui se tenait à son côté en fait autant. Et puis c’est le tour de l’Anglaise. Là-dessus, le bureau s’éteint. Alors une salve de mitraillette déchire rageusement l’obscurité. Des balles mordent mes fringues, font exploser des vitres, arrachent des cris de douleur. Confusion (non pas indescriptible, puisque je te la décris avec mon extraordinaire brio) totale !

Je sors ma loupiote, en promène le faisceau fantôme alentour. La Chinoise qui se tenait devant moi a dégusté dans les loloches et crache le sang en respirant comme une moissonneuse-batteuse du début de l’ère chrétienne. Mon pote Jérémie a la manche droite de son veston hachée et du sang dégouline jusqu’à sa main pendante. Juste Mathias qui s’en tire indemne parce que étant assis. Il continue d’avoir l’air serein et de ne pas se poser de questions.