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Violette a morflé une bastos au défaut de l’épaule, ce qui a entaillé son joli cou. Quand à moi, j’en ai dérouillé une au-dessus de l’oreille gauche. Que de sang ! On se croirait dans du Rambo ! Ça fait vite de l’effet, le raisin, quand quatre personnes hémorragent à la fois !

A présent, j’abaisse mon stylo-laser pour examiner les trois mitrailleurs qui ont été les premières victimes. Oh ! dis donc : il en a dans le chou, le Jaune à besi-cles ! Profitant de sa posture inanimée sur le parquet, il a, silencieusement, pris un prolongateur de courant, sous une table de bureau, a dénudé l’une de ses extrémités, branché sa fiche dans une prise placée au ras du plancher puis, mine de rien, sans presque avoir à remuer, il a mis les fils dénudés en contact avec les chevilles des copains de la Chinetoque, les foudroyant alternativement (avec de l’alternatif, normal, non ?). Ensuite de quoi, il lui a été fastoche de faire disjoncter l’électraque en remplaçant la prise par un corps étranger. Ramasser l’une des mitraillettes, arroser l’assistance et se casser presto, n’a plus été qu’un jeu d’enfant.

Je fonce dans le couloir, actionne un commutateur : zob !

Je dévale l’escadrin, file en direction de la porte et me casse le nez sur une silhouette qui se pointait. Les lumières extérieures me renseignent : il s’agit de Cathy, la secrétaire du consul.

— Il est arrivé un malheur ? demanda-t-elle. J’ai entendu des détonations.

— Un type vient de sortir, coupé-je. De quel côté s’est-il enfui ?

— J’ai vu entrer des gens, répond-elle : deux hommes et deux femmes, il y a dix minutes, mais personne n’est ressorti !

— Alors il a emprunté une autre issue ! m’écrié-je.

Et je cavale vers le fond de l’agence. Fectivement, je découvre une zone accessoire qui sert d’entrepôt pour stocker des prospectus, des brochures, du matériel de burlingue. S’y trouvent une kitchenette, un lavabo, des gogues. Plus une porte infermée donnant sur un couloir. J’emprunte celui-ci. Il s’achève devant un escadrin de ciment qui s’enfonce dans le sol. Je le dévale. Nouvelle porte, en fer celle-là, mais entrouverte.

J’entre. Une musique orientale m’explose dans les manches à air. Nasillarde, tambourinesque. Pas besoin de m’organiser une conférence avec projection de diapos pour me faire entraver : je suis dans les coulisses d’une boîte de nuit.

J’avance à pas de loup entre des tentures noires, guidé par une lumière qui va s’intensifiant. Ça pue le parfum de souks, la sœur femelle, la poussière surchauffée. Je me déplace, le dos collé au mur, en évitant de trop agiter les rideaux qui se succèdent, molles et pesantes barrières. Le spectacle bat, tu sais quoi ? Oui, gagné : son plein ! Sur scène, des nanas font la danse du ventre. J’en ai brièvement aperçu une par une fluctuante échancrure des tentures. Positivement nues. Cachepomponnette en duvet, ceinture de perles tintinnabulantes. A l’arrière, c’est-à-dire très proche de moi, un orchestre de quatre ou cinq mecs qui vacarment comme tout le Philharmonique von Berliner en plein Wagner. Sauf que c’est de la musique figues et dattes qu’ils jouent.

Alors je m’immobilise, alerté par une évidence : le mec aux lunettes, le Jaunassou, est tout près de moi. La scène sur laquelle donne la porte de fer est en plein fonctionnement puisque le spectacle sévit. Il n’a pu en descendre alors que les danseuses sont en train d’écrire huit mille huit cent quatre-vingt-huit avec leur nombril. D’autre part, les coulisses du cabaret sont situées de l’autre côté. Je suis côté cour et elles se trouvent côté jardin. Pas de problème : le fuyard est à deux ou trois frises de moi.

Je me fais minuscule, silencieux comme une mouche en train de pratiquer la brasse coulée dans un bol de lait. J’écarte doucement le pan de velours noir placé verticalement devant moi. Grâce à la vive lueur des projos, je distingue la silhouette massive du gars plaqué contre le mur. Le faisceau intense prolonge son ombre sur la paroi grise.

Un tonnerre d’applaudissements éclate. Ces demoiselles à l’abdomen monté sur roulement à bide viennent d’achever leur prestation. Une bande de surexcités les acclame.

Un présentateur en smoking et gibus blancs se radine avec son micro de scène. Un faux blond à l’œil de biche, aux grâces langoureuses. Plus pédé que lui, y a que l’oléoduc. Il fait réapplaudir la troupe de ballerines abdominales. Puis, facétieux, il demande si, dans la sympathique assistance, quelqu’un est partant pour en faire autant ? Il le dit en turc, anglais, allemand, français. Personne ne se porte volontaire. Alors il déclare qu’il va choisir un spectateur qui devra rivaliser avec les Dark Bell Girls. Il interpelle un homme du premier rang. Le fait dans les quatre langues. Sa « victime » ne se fait pas trop tirer l’oreille. La salle hurle de rire. Et qui vois-je arriver sur la scène ? Mister Béru en graisse et en os !

J’en reste comme un trou du cul sur un perchoir à perroquet. Que fiche donc le Gros dans ce cabaret, alors que je suis censé l’attendre au motel ? Il est là, ébloui par les lumières, saluant à la romaine ces gens que ses yeux aveuglés par les projecteurs ne lui permettent pas de distinguer. La gentille « présentateur » lui demande de se dévêtir. Ce dont il. Le rire va croissant (en Turquie, c’est normal). Voilà donc notre homme (en anglais : our man) loqué de son seul slip à l’élastique avachi, et en chaussettes dépareillées.

Un murmure étonné passe dans l’assistance. Les spectres tâteurs se demandent ce que peut bien être cette masse incertaine qui pèse dans la hotte kangourou du sous-vêtement.

Les musicos crincrintent. Mélopée (de nonne) lancinante. Tambourins, clarinette acide, courgette à cordes. Le Mastar se lance dans une démonstration grotesque, tortillant son énorme ventre, son énorme cul. Bien vite, à ce régime, son slip déclare forfait. Sa grosse moulinette farceuse se met à tourbillonner à toute vibure. Le public se tait, muet de stupeur. La force centrifuge émoustille le braque géant, le rendant plus géant encore. Dès lors, la présentatrice ouvre grand la bouche. Il voudrait un pied à coulisse pour contrôler si cette chose éléphantesque est encore praticable, ou s’il s’agit d’un leurre (pardon, monsieur : vous avez le leurre ?).

Spectacle rarissime. Personne, dans le public, ne croit au côté fortuit de cette prestation. Tout le monde est persuadé qu’un tel phénomène appartient à la troupe, qu’il constitue le clou (de charpentier) du numéro. On recommence à applaudir (les dames — surtout).

Trêve de délirade, il me faut affronter la situation. Elle est réglable. J’empoigne le feu, hérité des récentes tribulations, par le canon, et me livre à une estimation concernant l’emplacement de la tête du fuyard derrière la tenture qui nous sépare. J’arme mon bras, à défaut de l’arme. Et vlan ! Mes repères étaient bons. Le choc est rude ! Malgré la viorne qui musique, je perçois comme un craquement. Je me précipite sur le gazier pour qu’il s’affaisse en souplesse, et non sur la scène où ce nouveau gag ferait sensation.

Je parviens à le maintenir collé au mur et j’accompagne sa chute. Le voilà bientôt allongé à mes pieds. Bérurier continue de faire un triomphe. Le jeune est tout rouge car je lui ai éclaté le pif ainsi que deux ou trois arcades sourcilleuses, et t’as rien qui raisine davantage que la frite d’un type.