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Les trois hommes s’évacuent. Avant de claquer la portière, Jérémie lance au Dabe :

— Regardez-moi, monsieur le directeur. Regardez-moi bien. Vous croyez que je suis noir, n’est-ce pas ? Mais en réalité, je suis blanc comme un linge. Avant que vous ne donniez votre démission, moi je vous fous la mienne ! Une dernière chose : vous êtes un vieux con et je vous méprise. Inutile de me raccompagner, je prendrai le bus pour rentrer à Paris.

Il s’en va à grandes enjambées, coursé par Béru.

— Qu’est-ce qui lui arrive ? murmure Achille, sidéré. Môssieur à des états d’âme ? Charmant ! Si les Noirs se mettent à nous insulter, maintenant, où va le monde ? Vous savez qu’ils sont devenus racistes, ces macaques ? Ah ! Jean-Marie n’a pas tort, allez. Bon. Je reprends l’affaire. Il le faut. Nous sommes entre nous, on parle à peu près le même langage. Certes, je suis le plus intelligent mais je sais me mettre à votre portée.

« Un agent secret britannique apparenté à la famille royale est assassiné à sa descente d’avion. L’autopsie permet de découvrir qu’il a ingéré une capsule de plastique contenant un document mystérieux. Je vous confie cette affaire en vous recommandant la plus grande célérité, la plus totale discrétion. J’ai confiance : vous avez déjà fourni des preuves de votre compétence. Je me dis que tout baigne. Que les Anglais vont sûrement râler, mais c’est dans leur nature et je les emmerde avec une telle ferveur ! Hein ? Que dites-vous ? Rien ? Moi, si ! Vous voici donc en chasse avec la tendre Violette… »

Il élève la main d’icelle jusqu’à ses lèvres et la baisote avec une fougue collégienne, comme si elle venait de le débarrasser de son pucelage.

— En un temps record, poursuit-il, vous me retrouvez les canailles assassines à Istanbul. Bravo ! Seule-ment voilà que le Foreign Office me déclenche un tir nourri de missiles dominiciles qui me transforme les roupettes en piles électriques. Ces crâneurs à perruques exigent qu’on leur remette les meurtriers. Je ne demande que ça ! Qu’en ferais-je, sinon ? Vous pouvez me le dire ? Je leur ai déjà refilé le cadavre, puisqu’il leur appartenait ! Mais il leur faut également l’assassin. Et il le leur faut VIVANT ! Vous entendez cela, mes chers subordonnés ? Vi-vant ! Pour quoi faire, vous avez une idée ?

— Pour le tuer ! réponds-je.

Il sursaute.

— L’esprit de vengeance poussé à l’extrême ?

— Avant de le trucider, ils tenaient à le questionner, reprends-je.

— Ah ! moui ?

— Moui, monsieur le directeur.

— Mais c’est un tueur à gages (enfin, ce sont, puisqu’ils étaient deux à perpétrer). Leur rôle était de le supprimer, point à la ligne. Que peuvent-ils raconter sur cet homme ?

Je souris et réponds en italiques, détachant bien chaque syllabe tombée de Charybde :

— Pour pouvoir assassiner le Lord, ils ont dû le suivre, C.Q.F.D., donc ils sont en mesure de dire si « Cousin frileux » avait rencontré quelqu’un depuis sa descente de l’avion de Tokyo et, si oui, d’en faire la description ! C’est ledit quelqu’un qui les obsède et non les tueurs !

Pépère en soupire de tous ses orifices, y compris des oreilles.

— Ah ! ben oui, chuchote-t-il. Ah ! oui, ah ! oui, c’est juste ! Mais bien sûr ! Mais comment donc ! Certes ! Je ne… Si ! Si ! J’y avais pensé ! Ça, pour y avoir pensé, j’y avais pensé, vous vous en doutez, puisque je suis le chef ! Mais pas en ces termes. Pas comme ça. J’y avais pensé en mieux ! Autrement, mais d’une manière plus sophistiquée, plus élaborée, plus littéraire aussi. Les tueurs, c’est pas leur vrai problème, au Foreign Office, comprenez-vous, San-Antonio ? Vous me suivez ? C’est le témoignage des tueurs qui les tient en haleine. Je ne sais pas si je me fais bien comprendre ?

— Vous êtes d’une admirable clarté, monsieur le directeur.

— Tant mieux, j’ai toujours peur d’être trop hermétique avec mes subordonnés. Ça y est, l’attitude du Foreign Office est explicitée. Je conçois qu’ils aillent jusqu’à me menacer de réclamer ma destitution si mes Services ne leur accordent pas satisfaction. Mais du côté jap ! Je ne vous en ai pas parlé à vous, San-Antonio, du côté jap ? Je m’en suis seulement ouvert à la frêle Violette par téléphone, n’est-ce pas mon petit cœur ?

Il lui mordille le lobe et engage sa main en deçà de sa frêle culotte de pute, puis porte celle-ci, doigts rassemblés du haut, à ses narines.

— C’est pourtant vrai qu’elle sent la violette, cette exquise ! Je vous fais juge, San-Antonio ! Vous aussi, Mathias, c’est pas parce que vous puez le rouquin, que diable ! que vous ne disposez pas d’un sens olfactif. La violette, non ? Sentez ! Sentez ! Comme Marie-Antoinette, n’est-ce pas, commissaire ? Exactement : Marie-Antoinette !

— Je n’ai jamais eu l’honneur de flairer la chatte de Madame Louis Seize, patron, me dérobé-je.

— Un Casanova de grand style comme vous ! Allons donc. Mais de quoi parlais-je ?

— Des Japonais !

— Ah ! les Japonais ! Ces vermines ! Les négriers de la planète ! Ils ne produisent rien mais vendent de tout, les drôlets ! Pas fous : ils soldent de la main-d’œuvre en bouffant du poisson séché, comme les phoques. Avec un peu de retard : le temps que la nouvelle leur parvienne, ils me sont tombés sur le paletot à leur tour. Par le biais d’une organisation très secrète : le « Yan Na Chémoa ». Là, ce fut du catégorique. Polis mais directs.

« Ils étaient deux à mon domicile. Des robots jaunes ! Froid dans le dos, mon cher. J’en claque des dents rien que de les évoquer. Peu de mots, mais quels !

« Un résumé très condensé des faits. »

Il prend un accent nasillard :

— « Messié directeur, agent anglais approprié plan secret au Japon. Mis dans capsule plastique. Avalé elle. Arrivé Paris, tué ! Police française emporté morgue. Médecin fait autopsie. Trouvé capsule. Remet-tre elle à vos services. Nous, vouloir récupérer plan sinon grand malheur pour vous. Vous deux jours pour rendre. Si pas rendre, vous, protection, pas protection, mort ! Très terrible mort ! Beaucoup souffrances. De plus : conflit Japon-France si affaire pas solution. Vous comprendre ? »

« Mot pour mot, mes amis ! Vous jugez de mon embarras ? Les Britanniques vont me faire destituer et les Japonais me trucider ! Tout ça pour une absurde affaire qui s’est déroulée sur notre cher territoire national entre gens que nous ignorions ! Je cherche à vous atteindre au consulat de France d’Istanbul, mais vous l’avez quitté sans laisser d’adresse. Heu-reuse-ment, l’adorable Violette…

Il sent machinalement l’extrémité de ses doigts.

— Vraiment, la violette ! J’aurais pu être « nez » chez quelque grand parfumeur. « Chef nez », naturellement. Vous permettez, chérie ?

Sa main repart en exploration captatrice sous la jupe de « l’inspectrice » Lagougne. Il malaxe corolle et pistil de la gueuse pour faire provision de pollen et conforter sa provende odoriférante qu’il respire avec volupté.

— Singulier ! marmonne-t-il. Violette sent la violette. C’est un vrai sous-bois printanier ! Je disais que cette exquise m’a appelé pour m’avertir que vous aviez disparu, Antonio, et qu’elle détenait les deux assassins. Ouf ! Déjà ça ; le spectre de la destitution reculait. Ne me restait plus qu’à mettre en fuite celui de la mort. Dès lors, je lui dis qu’on va organiser « quelque chose » pour rapatrier les deux misérables tueurs et je la prie de me passer Mathias. Haletant, l’échine ruisselante d’angoisse, je demande à ce dernier ce qu’il a fait de la bande contenue dans la capsule. Il me répond qu’il l’a donnée à déchiffrer à un spécialiste. Je veux le nom et l’adresse dudit. Et savez quoi, San-Antonio ? Cet infâme rouquin qui pue l’écurie et le dessous de bras négligé d’un Polak, ce constellé d’or, ce planteur de spermatozoïdes, ce rat de laboratoire, refuse de faire droit à cette exigence ! J’ai beau ordonner, enjoindre, supplier, menacer, faire valoir, tempêter, ce machin rouge aux yeux roses est resté impavide ! Ce cynisme ! Là là ! « Mais c’est une question de vie et de mort ! » ai-je fini par lui lancer. Et lui, ce pauvre trou-de-balle flamboyant — car les poils de son cul sont encore plus incarnats que ses cheveux, vous voulez parier ? — , ce mélangeur de drogues, cet obscur cancrelat, de me répondre : « Je regrette, monsieur le directeur. Le décrypteur est un marginal à qui j’ai juré la discrétion sur la vie de mes dix-neuf enfants ! »