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— Que lisez-vous ? me demande Violette dans l’avion qui va nous enturquer.

— Des vers, fais-je. Ou plutôt des asticots de poésie. Une forme, chez moi, de délectation morose !

Je lui résume mon calvaire.

— Vous permettez, commissaire ?

Délicatement, elle me retire des doigts cette brouillade d’alexandrins et entreprend de la lire.

— Il y a du souffle, décide ma compagne de voyage.

— Du souffle et du foutre, ricané-je ; l’opuscule dégouline de sperme.

— Les pieds y sont.

— Vous parlez de ceux que prennent les démones évoquées par l’auteur.

— Un ami à vous ?

— Pas exactement ; ce monument est d’Achille.

— Non !

— Si !

— Il n’a pas signé de son nom ?

— Précaution élémentaire, ma chère madame Watson. Que l’ouvrage arrive sur le bureau du minis-tre de l’Intérieur avec son véritable patronyme sur la couverture, et notre glorieux patron s’en va cueillir les roses de sa propriété de Deauville, malgré les hautes protections dont il jouit.

Elle continue de tourner les pages.

— Il est davantage lyrique avec son stylo qu’avec son pénis, déclare la ravissante, comme se parlant à elle-même.

Ce qui te prouve qu’elle a de l’esprit.

— Il semblerait que vous ne conserviez pas du Boss un souvenir ébloui ?

Elle hocha la tête.

— Les hommes âgés ont plus grands yeux que gros sexe, commissaire. Avec eux, l’amour commence et finit par des baisers d’entresol, pleins de générosité certes, mais que perturbe leur manque de souffle. Et ils écrivent le livre de la même encre que la préface. Le pathétique, c’est les fausses joies que leur causent certaines velléités qu’ils croient miraculeuses mais qui ne se manifestent que pour mieux les humilier. Ah ! ces tentatives inabouties ! Ces chétives érections qu’ils veulent mettre à profit, mais qui les abandonnent avant qu’elles fussent en place, comme si notre sexe effrayait le leur et provoquait la sinistre débandade.

Elle parle en tournant les pages de l’œuvrette faite d’un seul cahier imprimé. Elle lit à voix basse :

— Prodiguer des caresses qui les feront mouiller. Là, il se vante, soupire Violette. Cette humectation qu’il évoque résulte uniquement de ses salivaires.

Elle ferme la plaquette.

— Tenez, commissaire, reprenez cette œuvre : elle m’attriste. C’est de la poésie de naufragé.

Elle dépose l’ouvrage sur mes jambes et omet de récupérer sa main. La présence de cette dernière, loin de m’indisposer, fait immédiatement caracoler Coquette en tête de peloton. Violette a la bienséance de ne pas remuer les doigts. Doux supplice qui meuble parfaitement le temps mort du trajet.

Popaul arc-boute comme Jean Valjean quand il soulève la charrette du vieux roulier coincé dessous.

— Je ne vais pas pouvoir remonter par la cheminée, murmuré-je.

Violette sourit. Tout en laissant sa main inerte, elle demande :

— A propos, Mathias vous a-t-il révélé ce que contenait la capsule découverte dans l’intestin de « Cousin frileux » ?

— Un rouleau de papier si fin, si fin qu’il pouvait se loger dans ce minuscule conteneur, bien qu’il mesurât six mètres de long. Il est couvert de caractères et de dessins follement miniaturisés. Mathias va s’entourer de spécialistes du décryptage et s’attaquer à l’étude du document ; il prévoit que ce sera long.

— « Cousin frileux » arrivait de Tokyo et s’embarquait pour Athènes lorsqu’on l’a tué, n’est-ce pas ?

— Yes, Miss.

— Vous avez son pedigree ?

— J’ai expédié Blanc et Bérurier en Angleterre pour dresser la biographie du bonhomme.

— Bérurier est un demeuré, objecte Violette.

Elle paraît avoir honte de ses débordements anciens, la « créature » inventée par le Vieux.

— Un demeuré doublé d’un grand flic, rectifié-je. Un chien de chasse n’a pas besoin d’être intelligent pour lever le gibier, son instinct lui suffit.

Vexée, elle me prive de sa main frôleuse. Mais mon bigoudi de cérémonie a bon pied bon œil et continue de faire le beau, dressé sur ses pattes de derrière.

Au bout d’un temps assez court, les hôtesses se pointent avec leur petite roulante pour nous délivrer la gamzoule classique : ravier de saumon fumé, macédoine de légumes, petit plat contenant du rôti de dinde à la béchamel, portion de calendos plâtreux, diplomate au rhum, quart de bordeaux.

Je refuse d’un geste mon somptueux plateau.

— Vous n’avez pas faim ? déplore l’hôtesse.

— Une faim d’ogre, réponds-je, mais je ne veux pas la gâcher.

Mustafa Kémal Foutu dirige la section criminelle de la Police d’Istanbul. C’est un homme agréable à l’air sérieux. Il fait prof d’université avec son complet bleu sombre, sa chemise blanche et ses lunettes à double foyer (le double foyer est fréquent chez nos frères musulmans). Le regard noir et brillant, le sourire onctueux, le parler velouté, il se lève avec grâce lorsque nous pénétrons dans son bureau, presse nos dextres avec empressement.

— Très honoré. M. le directeur de la Police parisienne a pris la peine de me téléphoner pour réclamer notre aide ; nous vous sommes entièrement acquis, monsieur le commissaire San-Antonio.

Il m’est donné de constater que ma réputation a survolé l’est de la France, une partie de l’Allemagne, l’Autriche, la Yougoslavie, la Bulgarie, pour pouvoir atteindre le Bosphore.

Il nous propose du thé tout en lorgnant discrètement, mais avec une bite d’au moins vingt-cinq centimètres, les jambes de Violette. Je décline, le thé représentant pour moi le pire des breuvages ; mais mon élégante collaboratrice accepte et me prouvera dans moins de pas longtemps qu’elle sait piloter tasse et sous-tasse avec dextérité, chose qui n’est pas fatalement évidente.

J’expose au policier turc la raison de notre venue au pays des croissants chauds. A mesure que je décris « l’homme à la canne », il prend des notes de droite à gauche en caractères vermicelle.

Je précise le numéro du vol emprunté par le supposé tueur de cousins royaux, ainsi que le jour et l’heure de son arrivée dans l’ancien empire ottoman.

Après cela, Mustafa décroche son turlu et mande de toute urgence deux de ses collègues : MM. Turfoul Ogog, chef de la Police de l’aéroport d’Istanbul, et Huntrou Ammabit, chargé de la « sécurité » des étrangers débarquant en Turquie. Ces personnages affables se montrent très honorés d’avoir à prêter main-forte à un illustre élément de la Police française. Ils nous rient à pleines dents en lissant leurs moustaches à la Omar Sharif et baisent des yeux la chère Violette, très digne dans son fauteuil de cuir.

Ils me promettent d’entreprendre une enquête rapidissime à propos de l’ecclésiastique à la canne. Cette silhouette particulière ne passant pas inaperçue, ils auront du nouveau avant longtemps et nous contacteront à l’hôtel Thagada Veutu où nous allons descendre en quittant nos confrères.

Je les remercie chaleureusement. Avant qu’on ne se quitte, Turfoul Ogog m’apprend qu’il a un frère joaillier au bazar Kükülafrez où j’aurai la faculté d’offrir de ravissants bijoux à la « jolie dame », pour des prix défiant toute concurrence. Il me refile la carte du frelot.

Je ne te parlerai pas de la circulation dans le centre d’Istanbul, car elle est indescriptible. Les automobiles les plus modernes sont mélangées avec des moyens de locomotion bibliques, dont la carriole attelée d’un âne est la plus courante. Des odeurs d’épices, de beignets, d’essence brûlée et de poissons retentissent un peu partout[2]. Je pilote ma Mercedes de louage avec précaution dans cet enchevêtrement d’autobus déglingués, de camions d’avant-guerre (et je te dis pas laquelle), de vélos déclavetés, de voitures à bras poussées (ou halées) par des vieillards chenus (la Turquie est le pays des centenaires).

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2

Car une odeur trop insistante « fait du bruit ».

San-A.