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— Je n’en sais rien. Personne ne le sait. Mais c’est le genre de langage qu’ils utilisent quand ils nous envoient des vidéotransmissions par le truchement d’avatars d’apparence humaine. » Iceni eut un petit rire. « Peut-être Black Jack sait-il à présent ce que les Énigmas comprennent des concepts humains. S’il est encore vivant. Maintenant, faisons notre proposition au CECH Boyens. »

Le faisceau fut dirigé cette fois vers la flottille qui stationnait au-dessus du portail. « CECH Boyens, vous avez constaté que nous affrontions un ennemi commun. Joignez-vous à nous. Ensemble, nous avons une petite chance de repousser cette agression d’un système stellaire occupé par l’homme. Si vous nous épaulez dans cette affaire, si vous évitez d’entreprendre des actions offensives contre nos forces en présence des Énigmas et si nous nous coordonnons, nous consentirons à vous rendre le système et tout ce qu’il contient intact après leur départ. Si vous vous y refusez, votre mission ici échouera fatalement. Œuvrez avec nous contre un ennemi commun et pour notre bien mutuel. Au nom du peuple, Iceni, terminé. »

Elle haussa les épaules à la fin de la communication. « Je doute qu’il y consente, mais on ne risque rien à essayer. »

L’atmosphère avait changé dans le centre de commandement : la tension avait encore grimpé d’un cran. Drakon coula un regard vers le colonel Malin, lequel inclinait discrètement la tête vers les plus proches techniciens. Évidemment. Ils viennent d’entendre Iceni proposer de restituer notre système aux Mondes syndiqués. On ne pouvait pas l’empêcher, mais nous pouvons au moins rassurer nos travailleurs, qui, tous, préféreraient probablement affronter leur anéantissement afin d’éliminer les Énigmas plutôt que d’accepter le retour des serpents.

« Si Boyens marche, nous nous débrouillerons pour que les Énigmas s’en prennent à lui plutôt qu’à nos propres forces, affirma Drakon d’une voix assez sonore pour se faire entendre des plus proches techniciens, qui feignaient de ne pas l’écouter. Une fois les extraterrestres éliminés, nous nous retournerons contre ce qu’il restera de la flottille syndic et nous l’écraserons. »

Devant cet aveu non déguisé de leur probable ligne d’action (dont les chances de succès étaient aussi improbables qu’illusoires), Iceni s’efforça de ne pas laisser transparaître son étonnement ; mais, avant de se poser sur les travailleurs les plus proches d’elle, ses yeux fixèrent Drakon, inquisiteurs, en même temps qu’ils s’éclairaient de compréhension. Puis : « Oui, bien sûr, convint-elle. Si le CECH Boyens est assez désespéré pour accepter notre proposition, nous le détruirons dès qu’il abaissera sa garde. Les serpents du SSI ne reprendront plus jamais le contrôle de la population de ce système stellaire. »

Leur petite prestation avait sans doute étouffé en partie l’anxiété qui régnait dans le centre de commandement : Drakon percevait sans doute un brouhaha de conversations, mais les craintes et appréhensions qui, tout à l’heure, auraient pu conduire les travailleurs à l’émeute ou à la révolte n’y figuraient plus.

« J’ai l’affreuse impression qu’ils risquent de nous faire confiance, fit remarquer Iceni à voix basse, sur un ton où, au spectacle de leur entourage, l’amusement se mêlait à l’incrédulité.

— On pourrait pourtant les croire désabusés », observa Drakon. Lui-même percevait dans sa voix une amertume imprévue.

Malin se rapprocha d’eux pour commenter d’une voix sourde : « Ils savent ce que vous avez fait. Ne les prenez pas pour des imbéciles. Dites-vous que, comme tout le monde, ils sont souvent guidés par leur propre intérêt. Vous les avez débarrassés des serpents. Vous leur avez accordé une plus grande liberté. Vous avez prouvé que vous vous souciez d’eux.

— Vraiment ? fit Iceni. Votre colonel nourrit de bien étranges idées, général.

— Il a souvent raison, affirma Drakon.

— Est-ce pour cela que vous prenez instinctivement sa défense ? » Iceni dévisagea Drakon, comme pour le défier. « C’est chez vous une habitude quand cela concerne vos cadres et vos travailleurs, n’est-ce pas, général ?

— C’est ma méthode et elle fonctionne », répliqua Drakon en grondant, non sans se demander si Iceni n’allait pas soudain émettre des critiques encore plus agressives sur sa conduite bien peu syndic. Bien sûr qu’elle n’approuve pas mes méthodes. J’ai senti la même désapprobation chez tous les CECH que j’ai rencontrés. Et ça continue de me mettre en rogne. Mais j’obtiens de meilleurs résultats qu’eux. Comment osent-ils se permettre de critiquer ma façon de faire ?

Cela dit, quelle que fût l’opinion d’Iceni à cet égard, elle la garda pour elle. Elle était d’ailleurs très douée pour ça. Elle se borna donc à hocher la tête. « C’est aussi ce qui vous a valu votre exil à Midway et vous a fait rater de peu le peloton d’exécution, général. On pourrait se poser des questions sur de tels résultats en matière de direction.

— Je ne suis pas un directeur, affirma Drakon plus vertement qu’il ne le souhaitait. Mais un dirigeant.

— Et ses troupes lui obéiront », ajouta Malin.

Le regard d’Iceni se tourna brusquement vers Malin, tandis qu’un sourire sans gaieté infléchissait à peine ses lèvres et que ses yeux le soupesaient. Un de ces regards que craignait tout subalterne d’un CECH syndic : une évaluation du comportement et des qualités d’un individu qui pouvait certes se solder par une promotion, mais le plus souvent par une rétrogradation, voire par une condamnation à un séjour dans un camp de travail. « Je ne suis pas votre général, colonel Malin. Je ne suis pas aussi miséricordieuse que lui, s’agissant des incartades de mes subordonnés, même de ceux qui me font des suggestions valables. Tenez-en compte quand vous vous adressez à moi. »

Malin se raidit. « Je comprends et je m’y soumettrai, madame la présidente.

— Tant mieux. » Iceni s’éloigna en brandissant son unité de com d’une main. Elle parlait à voix basse et avait de nouveau activé son champ d’intimité afin de n’être entendue par personne à proximité.

Drakon la suivit des yeux. Me vendre à Boyens est la seule carte qu’Iceni peut lui offrir. Mais, sans moi, elle ne peut tenir ni cette planète ni ce système stellaire. Elle le sait. Ça ne lui plaît sûrement pas. Tout comme moi, elle a été entraînée par le Syndicat à ne dépendre de personne. Même si elle ne tient pas à me trahir, elle doit en ce moment même réfléchir à ce qu’il lui faudra faire pour survivre. Et s’il lui fallait choisir entre elle et moi ?

Quoi que pût mijoter Iceni, ses plans mettraient peut-être des heures à se concrétiser, du moins si plans il y avait ; et, dans les mesures défensives qu’il prendrait contre elle, Drakon devrait tenir compte de ce qu’il avait autant besoin d’elle qu’elle de lui, et de ce qu’elle était décidément très douée quand elle le voulait. Les menaces extérieures qui risquaient de déclencher entre eux une lutte désespérée pour la survie s’affichaient en grand sur l’écran principal, juste derrière Malin. Mais les messages d’Iceni mettraient encore des heures à parvenir tant à la puissante flotte Énigma qu’à la flottille commandée par le CECH Boyens ; tous traversaient comme en rampant, encore qu’à la vitesse de la lumière, les énormes distances qui les séparaient. Réactions, réponses ou ripostes, si elles se produisaient, ne seraient perceptibles qu’au bout d’un laps de temps au moins identique. Soit largement celui de planifier, de se préparer à l’action et de s’inquiéter des projets de son partenaire. Et, pour les citoyens, de se rendre compte de la vilaine tournure qu’avait prise la situation, d’y réagir par la panique ou la fureur qu’escomptait lesystème syndic de la populace, ou avec l’assurance et la détermination qu’Iceni et lui-même avaient tenté de lui insuffler en concédant aux travailleurs de plus grandes responsabilités. Le temps aussi de permettre à des bévues et des malentendus entre prétendus amis et alliés de faire davantage de dégâts qu’une malveillance délibérée.