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— À droite, au carrefour, indiqua-t-il au conducteur.

Sa voix était rauque.

La prochaine fois, elle se retournerait, elle le regarderait et il la verrait en face. Il lutta contre l’envie d’allumer une cigarette, tandis que la voiture virait presque sans ralentir, ce qui fait que Schmitt s’appuya contre son épaule, longuement, comme un compagnon d’infortune résigné. Il le repoussa bien après que la voiture fût revenue en ligne droite.

*

Katz se rasait avec soin, devant la glace. Il avait pris une douche glacée, s’était rapidement épongé, et avait enfilé un peignoir. Il avait certainement les cheveux trop longs. Mouillés, ils lui pendaient de chaque côté de la tête. Katz avait un torse de culturiste, qui ne devait rien à la gonflette, et sur lequel se traduisait, par le jeu de chaque muscle, le moindre de ses mouvements, une taille mince, et, plus bas, dans une touffe de poils sombres, un truc qui ne lui servait plus guère qu’à pisser. Le truc et lui s’étaient séparés, il avait cessé de lui obéir. Katz reposa le rasoir mécanique sur la tablette. Elle avait dit: «… redevenir un homme capable de gérer ses conflits…» C’était bien sûr une manière de voir la question. Il y en avait peut-être d’autres.

On sonna à la porte: trois brèves, deux longues.

Algérie française.

Il alla ouvrir à Rodriguez, pour lequel le temps s’était décidément arrêté. Le policier avait les traits tirés et il était évident qu’il n’avait pas beaucoup dormi de son côté. En avalant sa tasse de café, Katz apprit la visite de Lantier, ne se retourna pas, mais lança durement:

— Et alors?

— Alors rien, fit Rodriguez. Il va falloir y aller mollo. Le boss voulait tout savoir: où je vous avais droppé, qui vous aviez rencontré, sur quoi vous bossiez, tout le tremblement… (Il s’interrompit, but une gorgée de café brûlant et grimaça.) Lantier est à cran. La gonzesse est remontée au créneau, elle recommence à le tanner avec son histoire de dossier médical. (Il hésita.) Vous ne pouvez pas lui parler?

— À la gonzesse? persifla Katz.

— Au boss: merde, c’est votre frangin, après tout! Katz se retourna et Rodriguez recula d’un pas. Katz reposa sa tasse et dit:

— Farouk.

Rodriguez hocha la tête. Toute la rue disait que le coup de la place Vendôme avait été monté par la bande à Farrugia. Sans l’intervention de la B.R.B., c’était un sans fautes, sans un tuyau qu’un flic avait ramassé le diable savait où, les trois types ramassaient un blot d’un milliard, soit une valeur à la revente, les pierres desserties, le métal fondu, d’environ trois à cinq millions lourds. Au lieu de quoi, il y avait eu un jeune principal de vingt-sept ans au tapis et la joncaille s’était fait la paire. Maxou était mort, criblé de balles tirées par un P.M. UZI. Malgré la couverture de Katz.

Ce dernier enfilait une chemise blanche, dont il fourra les pans dans un pantalon de flanelle grise, puis il laça son baudrier d’aisselle, y glissa le revolver, noua une cravate de cuir mince et saisit une veste sombre sur le valet d’acajou. Rodriguez termina son café en hâte. Quand Katz se sapait, c’était pour aller sauter du beau monde. Il était pourtant sept heures passées. Il lui avait confié un jour, sur le ton de la plaisanterie, qu’il aurait horreur de crever en dégueulasse. Le jour de la place Vendôme, il portait un blouson de survie kaki et une paire d’Adidas. Pas plus que Maxou, il n’avait accepté d’enfiler de gilet pare-balles.

Katz glissa une paire de pinces dans sa ceinture. Avant de sortir du studio, il prit un petit automatique Le Français, qui se trouvait dans l’entrée, sur le compteur électrique, l’empocha. Rodriguez remua les épaules. Depuis qu’il tournait avec son collègue, il avait sorti plus d’affaires qu’en cinq ans avec d’autres. Katz bossait à la limite, et alors? Il connaissait la rue mieux que personne. Certains disaient qu’il était vrillé, à commencer par cette toubib de merde, qui aurait mieux fait de s’occuper de ses fesses que d’un flic sous la ligne de flottaison, au contact duquel il avait compris qu’ils faisaient un boulot dégueulasse, que la rue et les hommes étaient dégueulasses, grattée la mince pellicule de vernis, et qu’ils n’étaient, Katz et lui, ni plus ni moins dégueulasses que les autres.

Ils prirent l’ascenseur, allumèrent leurs cigarettes.

— Qui passe à la casserole? demanda Rodriguez, feignant l’indifférence.

— Lee Marvin! ricana Katz.

Rodriguez accusa le coup. Il était adossé à la porte de l’ascenseur.

— Vous allez sauter Théo?

— Qui vous parle de le sauter? dit Katz. Non, pas question… On va seulement l’interviewer, calmos.

Avec une secousse, la cabine s’arrêta au sous-sol. Rodriguez tira sur sa cigarette. Le visage de Katz paraissait souriant, mais à distance, de très loin. La porte se déverrouilla, Rodriguez était toujours de dos, il ne pouvait rien voir de la pénombre du parking, tandis que l’autre lui faisait face, il eut à peine le temps d’entrevoir la main gauche de Katz, qui d’une bourrade l’envoya bouler sur le béton du sol, tout en plongeant à plat ventre. Rodriguez essaya de dégager son propre Magnum de l’étui, n’y parvint pas, les deux premières détonations lui parvinrent creuses et étouffées, vaguement irréelles, on ne tirait pas sur les flics, pas dans ces conditions, les deux balles claquèrent contre la tôle de la cabine, Katz s’était redressé et il y eut le fracas assourdissant de son .357 tenu dans les deux poings et presque aussitôt un choc sourd, le bruit d’un corps frappé de plein fouet et qui s’abat contre une carrosserie, un tintement métallique.

Debout, Katz appuya sur le bouton de la minuterie.

Rodriguez se releva. Avant qu’elle se fût complètement refermée, Katz bloqua la cabine, puis il s’avança dans le parking. L’homme gisait sur le dos, et son torse faisait un angle curieux avec les hanches. Rodriguez avait empoigné son revolver, il couvrit Katz qui s’accroupissait. Un homme de quarante-cinq ans, au visage taillé à coups de serpe et aux cheveux prématurément blancs, touché en pleine gorge. Mort. Rodriguez s’approcha, sans cesser de surveiller les abords, l’arme avait glissé à un mètre de lui: un lourd revolver au canon court terminé par un silencieux. Ruger Backhawk. Katz la ramassa, il avait le visage couvert de sueur, plus besoin d’aller chercher Théo: il gisait à ses pieds, dans la posture où la mort l’avait jeté l’instant d’avant, il regarda le sang qui avait coulé de la blessure. Tous les refroidis avaient la même gueule, l’air de pas y croire et de s’en foutre en même temps.

Merde, déclara Katz.

Il rengaina le .357. Merde, en guise d’oraison funèbre. Il soupesa le Ruger, bascula le barillet, deux étuis percutés, quatre cartouches pleines. Jamais Théo ne lui raconterait pourquoi il avait passé commande de deux meules volées à un garagiste de la porte de Saint-Ouen, deux BMW blanches, pas plus qu’il ne lui dirait à quoi elles étaient destinées, ou seulement où elles se trouvaient à présent. Il fallait appeler le quart. Katz prit cependant le temps de faire les poches du mort, évidemment vides, à l’exception d’un billet de deux cents francs dans la poche de gousset du pantalon, et que le policier fit crisser entre ses doigts, avant de le lâcher sur le corps. Il avait glissé le Ruger dans la ceinture. Lorsqu’il se retourna, Rodriguez le regarda et son visage exprimait un mélange de fureur et d’incrédulité.