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— Si c’était à refaire, Lantier, je recommencerais.

Lantier négligea la radio et tout le boxon autour, approcha son visage de celui de l’homme. Une interminable seconde, il resta silencieux et livide presque contre la face de l’autre, puis il dit:

— Vous êtes en position de garde à vue, Rodriguez. (Il tendit la main à le toucher.) Donnez-moi votre arme.

Comme il ne s’exécutait pas assez vite, Lantier fit un geste de la tête et ce fut un autre policier qui souleva la veste et retira le revolver de l’étui d’aisselle.

Et le remit à Lantier.

— Emmenez-les, ordonna ce dernier.

Puis il se laissa tomber sur le siège de la voiture, les jambes dehors et prit le combiné radio de la main gauche, se le plaqua à l’épaule. Il avait le .357 en travers des cuisses. Katz s’était volatilisé. Il y avait lieu de le rechercher. Lantier s’éclaircit la voix. Taille, un mètre quatre-vingt-dix, soixante-dix-huit ou quatre-vingts kilos, cheveux châtain clair, assez longs, yeux marron foncé, petits et assez rapprochés, nez cassé. Était porteur d’un blouson de cuir et d’un pantalon noir, de bottes et d’un revolver .38 canon de deux pouces. Le policier derrière le volant regarda le dos de Lantier, ses épaules droites.

Il alluma une Gitane.

Pour rien au monde il n’aurait voulu être à sa place.

*

La calandre de l’Ariane apparut et manqua percuter la grille à faible allure. Le chauve au teint olivâtre saisit le coude de Milon, tandis qu’il laissait retomber la tenture qu’il tenait écartée de l’index.

— Va ouvrir. Pas la peine de baliser les pistes d’atterrissage.

Milon secoua gravement la tête. Le chauve resta embusqué. Milon alla actionner la grille. Il y avait un homme assis devant les écrans de contrôle vidéo et la calandre et les phares de la voiture en saturaient un. Il y avait deux autres hommes dans le bureau de Farouk, qu’ils tenaient en respect. Ils étaient arrivés en fin d’après-midi dans une Jaguar qui se trouvait à présent au garage, le nez vers la sortie.

Milon pressa sur le bouton.

L’Ariane mit un temps infini à décoller, puis à passer, en offrant son flanc à la caméra: vraisemblablement un seul homme, à la silhouette indistincte. Elle roulait beaucoup trop lentement. Obéissant à une impulsion subite, Milon abattit les doigts sur plusieurs touches et une lumière blanche et crue s’abattit sur l’allée, d’un bout à l’autre, inonda le perron. L’homme se leva de la chaise et frappa Milon à la tempe.

Le chauve regarda la voiture avancer, avec des tressautements de toute la caisse, des à-coups incoercibles, en serrant les paupières, puis les projecteurs s’éteignirent, sauf ceux du perron. La roue avant-gauche de l’Ariane buta contre une marche, le volant tourna entre les doigts inertes, toujours aussi lentement la direction tourna, tourna, Joko leva les yeux vers la lumière, n’eut pas la force de débrayer et le moteur se tut dans un dernier soubresaut.

Il était arrivé…

Il distingua vaguement les silhouettes, il avait du mal à redresser seulement la tête, ses doigts se portèrent sur la crosse du pistolet, palpèrent le métal gluant et tiède. On ouvrit la portière sans ménagement.

— Sortez-le, commanda le chauve.

Joko sentit les doigts l’accrocher, le tirer dehors, lui arracher les jambes de l’habitacle, puis le prendre aux aisselles, aperçut un visage brouillé lorsqu’on lui souleva le menton, il entendait distinctement toutes les voix. L’une d’elles disait, calmement:

— Il est foutu, saigné à blanc… Il en a foutu plein la banquette.

Il perçut le bruit du coffre qu’on ouvrait, un tintement de métal contre un bidon, puis un appel. Le sac: ils avaient trouvé le sac. Le visage indistinct disparut et la lumière lui brûla les yeux sous les paupières. On le tenait debout, et personne n’avait pensé à lui enlever le pistolet. La tête commanda à la main droite de remonter, aux doigts de s’entrouvrir. Il y avait une cartouche dans la chambre de tir.

Le visage revint s’intercaler dans la lumière. La voix calme reprit:

— Il en a plus pour longtemps…

— Assez pour ce qu’on attend de lui, ricana le chauve.

Il prit Joko par les cheveux. Les yeux vitreux ne paraissaient rien voir lorsque les paupières se soulevèrent avec effort et pourtant un sourire sembla errer sur les lèvres bleuâtres et quelque chose animer le visage que la lumière rendait encore plus blafard et plat. Comme si, intérieurement, Joko se marrait d’une bonne blague.

— Amenez-le, ordonna le chauve en lui lâchant la tête.

Milon n’avait plus toute sa conscience. Il entendit cependant les détonations du pistolet. Elles lui parvenaient de très loin, d’un monde auquel il n’aurait plus accès. Le type l’avait sonné durement avant d’éteindre, et il était ensuite revenu à la charge à coups de pieds. Il procédait sans haine ni hâte. Milon s’était recroquevillé jusqu’à prendre une position fœtale. Ils ne le laisseraient pas vivant.

Le chauve lâcha la main de Joko, mais les doigts du jeune homme agrippaient toujours la crosse. Il recula de quelques pas, regarda en pivotant le corps de Farouk, déjeté dans le fauteuil avec une balle dans le cœur. L’autre avait frappé le mur derrière lui, au hasard. On ne pouvait pas attendre beaucoup de précision de la part d’un mourant. Les genoux du jeune homme avaient fléchi, la main armée lui pendait devant.

— Lâchez-le, ordonna le chauve.

Les deux hommes reculèrent à peine. Joko tomba lentement sur la moquette, d’abord les genoux et le bassin, puis le flanc gauche, il avait à présent les yeux grands ouverts et une expression méditative sur le visage.

Le chauve saisit le sac par les anses. Il ne devait pas peser moins de trente kilos. Il examina une dernière fois la pièce, pour voir si rien ne clochait. À cause des détonations, les oreilles lui bourdonnaient. Il reporta les yeux sur la main maigre, exsangue, qui tenait le pistolet comme s’il se fût agi d’une planche de salut. Le chauve avait vu trop de morts pour ne pas savoir qu’il n’y avait plus de salut possible pour lui, et il lui vint l’idée que c’était peut-être un cadavre, déjà, qui avait exécuté Farouk. Il dit, d’une voix trop forte et trop sèche, qu’il fallait s’occuper du vieux.

Dans le couloir, on lui apprit que c’était fait.

L’homme qui avait pour tâche de surveiller les écrans rempocha un lacet de cuir. Ils avaient pris garde de ne toucher à rien.

— On rentre, commanda le chauve.

La Jaguar passa le portail, dont les cellules photoélectriques commandèrent la fermeture bien après que les feux arrière du véhicule aient disparu. Dans l’habitacle, l’homme chauve au teint olivâtre ouvrit un des sacs en velours. Quelque chose miroita faiblement au creux de sa paume, quelque chose de froid, pas beaucoup plus lumineux que des étoiles voilées, qu’il laissa ruisseler dans le velours, la voiture roulait vite en taillant devant un tunnel de lumière jaune. Le chauve ferma les yeux, ça lui bourdonnait toujours dans les oreilles, et il sentait le poids hostile des cailloux sur ses cuisses.

Serrano avait joué deux coups d’avance. Et gagné.

Dans une heure au plus tard, le chauve et ses hommes, dispersés, auraient disparu. La police française mènerait une enquête, mais lorsqu’elle commencerait à s’ébranler vraiment, ils se trouveraient déjà dans d’autres pays. Le chauve, d’un geste irrité, se pinça le nez et souffla fortement, gonflant ses joues et poussant du ventre.

Il détestait avoir les oreilles bouchées.

CHAPITRE XVIII

Ingrid Vidali accepta la cigarette que lui tendait le policier. Elle avait pensé que la nuit n’en finirait jamais, qu’ils ne cesseraient pas de lui poser des questions, de leurs voix anonymes et sans timbre, de l’interroger de façon à la fois précise et inattendue, où elle avait rencontré Ségura pour la première fois, comment, pourquoi elle avait quitté la B.M.W., le nom du camionneur qui l’avait prise à la station-service, pourquoi elle ne s’était pas présentée spontanément, où, mais à la police, si elle avait déjà vu le policier qui avait tiré.