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Elle ne l’avait jamais vu.

Si elle savait qu’il était policier lorsqu’il avait ouvert le feu.

Il avait crié quelque chose.

Est-ce qu’elle savait que c’était un policier?

Il avait crié «Police».

L’autre flic disait que non.

Ce que Kenny, son compagnon, venait foutre là au milieu.

Rien: sa voiture était tombée en panne. Une vieille 1100 pourrie.

Est-ce qu’elle avait déjà rencontré Katz auparavant? Le policier derrière le bureau paraissait fatigué et tout le monde lui témoignait un respect feutré. Il avait une voix rauque et sèche, usée. On lui apportait de temps à autre un billet dont il prenait rapidement connaissance, ou une bande télex, ou un gobelet de café. Elle n’avait pas envie de café. Elle avait oublié la présence de celui qui tapait à la machine lorsqu’elle parlait. Ça n’avait plus vraiment d’importance. Non, elle ne se serait pas rendue spontanément au poste de police le plus proche.

— Pourquoi? demanda Lantier. Pourquoi?

Elle s’entendit déclarer d’une voix étrangère qu’elle avait peur.

— Peur de quoi?

Elle ne le savait pas. La peur ne s’explique pas. Elle tira sur sa cigarette et redressa la tête. Une jeune femme l’avait fouillée dans un autre bureau, elle lui avait demandé de retirer ses vêtements, sauf les dessous. On ne lui avait pas mis les menottes. Elle savait qu’on l’avait arrêtée, bien qu’on ne le lui eût pas dit sous cette forme. Elle avait tiré sur un homme. Pourquoi? Pourquoi? La jeune femme qui l’avait fouillée lui avait montré une carte de police. Elle avait pensé, tandis qu’on l’entraînait dans des couloirs, que la nuit ne finirait jamais, qu’elle était faite de millions de couloirs jaune sale, qui s’entrecroisaient à l’infini, et dans lesquels ils erreraient sans fin comme des rats. On lui avait montré des photographies et elle avait fait oui ou non, suivant le cas. Plusieurs fois, il y avait eu celle de l’homme qu’ils avaient tous fini par appeler Katz. Il présentait une vague ressemblance avec un acteur de cinéma, mais le policier derrière le bureau aussi. Tout le monde, si on allait par là.

— Je pense, murmura Lantier sans la regarder, que vous ne nous dites pas la vérité, mademoiselle Vidali. Je pense que vous connaissiez Katz, depuis assez longtemps. Je pense que vous avez lâché Ségura parce que vous aviez peur, en effet, mais aussi et surtout parce qu’on vous avait prévenue de ce qui allait lui arriver. Je pense que vous avez rencontré Katz et Ségura, plusieurs fois…

Elle fit non de la tête, comme on se noie.

Lantier poursuivit inexorablement:

— Vous saviez ce qui l’attendait.

Elle hurla non de toutes ses forces. La cigarette roula par terre. Avant qu’elle eût bougé, un policier, derrière, appesantit la main sur son épaule, la ramassa et elle vit les doigts lui présenter convenablement le cylindre blanc. Elle fit encore non de la tête. Derrière Lantier, le jour se levait. Le policier abandonna son épaule, alla écraser la cigarette à côté de la machine à écrire. Lantier dit:

— Vous compliquez notre tâche. (Il n’allait plus tarder à éteindre sa lampe de bureau, dont la clarté était déjà vague et diluée.) Mademoiselle Vidali… Je sais que vous avez rencontré Katz. Je sais qu’il est allé chez vous. (Il hocha la tête.) Dans quelques heures, vous serez présentée au juge qui instruit l’affaire. Il pourra prendre la décision de vous placer en détention préventive, ou de vous laisser sous contrôle judiciaire… (Il la regarda en face:) Dites-nous la vérité.

Elle soutint son regard.

Elle n’avait jamais rencontré le policier avant qu’il fasse irruption sur le trottoir et se mette à tirer. Elle ne connaissait pas de Katz. Il n’était jamais venu chez elle. Lantier bougea un peu les épaules, ce qui pouvait marquer de la lassitude ou de l’indifférence, et se pencha sur un tiroir. Il en sortit un paquet marron et un pistolet, auxquels pendait une fiche cartonnée retenue par une ficelle et qui, chacune, portait un cachet de cire rouge brunâtre.

— Bien sûr, fit Lantier. Alors pourquoi a-t-il récupéré tout ça, chez vous? Pourquoi a-t-il pris le soin de ne jamais parler de vous et de sa découverte? Nous venons de saisir cela, ici, dans son bureau… (De sa voix rauque, il demanda encore une fois:) La vérité, mademoiselle Vidali. Dites-nous la vérité!

Elle comprit sans peur qu’il n’y en avait pas.

Qu’on ne sortait pas du labyrinthe. Jamais.

Qu’elle n’avait jamais rencontré Katz…

*

Fabienne Aubry avait pris deux cachets de Tranxène la veille au soir, très exceptionnellement. Elle perçut d’abord le bourdonnement de sa pendule électrique, puis celui du téléphone à la tête du lit. Sept heures: il était sept heures. Elle étendit le bras, décrocha le combiné plat.

— Docteur, fit une voix familière, je crois qu’il faut que je vous voie…

C’était la voix de Katz.

Elle coupa la sonnerie qui n’avait pas cessé de bourdonner, serra le combiné trop fort: ça n’était pas comme ça qu’elle pouvait le retenir.

— Katz, que se passe-t-il?

— Rien. Il faut que je vous voie…

— Où êtes-vous?

— Pas très loin…

— Je vous attends.

— Non, coupa Katz. Pas tout de suite… Un peu plus tard.

— Katz, fit-elle, subitement alarmée, à quoi rime…

— À rien… Un peu plus tard…

Il avait raccroché.

Elle écarta le combiné de son oreille. Lantier lui avait dit qu’il reviendrait, un jour ou l’autre, retour de son enfer, mais pourquoi pas tout de suite, pourquoi attendre? Elle connaissait l’enfer de Katz, parce qu’il était assez comparable au sien, tout en revêtant certainement d’autres déguisements, d’autres travestissements et une forme plus aiguë, plus pernicieuse, ils étaient entrés dans une nuit qui n’aurait pas de fin. Elle raccrocha, attendit quelques instants qu’il rappelle bien qu’elle n’y crût pas réellement. Il viendrait à son heure et ce serait aussi la sienne. Lorsqu’il viendrait…

Elle décrocha peu après, composa le numéro que Lantier lui avait laissé et l’obtint presque aussitôt. À sa voix, elle comprit que quelque chose n’allait pas du tout. Elle n’hésita pourtant pas:

— Commissaire, il vient d’appeler…

— Quand?

— Il y a une minute ou deux…

— Qu’est-ce qu’il vous a dit?

— Qu’il fallait qu’il me voie.

— Bien sûr! Où êtes-vous?

— Jusqu’à huit heures et demie, chez moi. Ensuite à la clinique.

— Je vous envoie du monde.

— Inutile, fit-elle doucement.

— Pas pour vous. Pour lui…

Elle raccrocha sans un mot, se leva. Elle s’occupa à prendre une douche et se maquiller avec soin, puis s’habiller. Elle fit un grand pot de café et fuma plusieurs cigarettes, debout dans la cuisinette à examiner le four électrique et l’évier, la table et les chaises, à écouter le glouglou de la cafetière. Lorsque Katz viendrait la voir, il y aurait des policiers pour l’attendre et ils l’emmèneraient. Aucun avocat sérieux n’aurait de mal à plaider la démence, et il serait facile d’exhumer son rapport, de passer Katz de nouveau au crible, de déceler les failles qui se révéleraient à présent des fractures, puisque si Lantier lui envoyait du monde, c’est qu’il devait être trop tard.