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— Moi aussi, commissaire, je le voulais vivant. (Elle s’était reprise et fit d’un ton sec, presque administratif:) Venez tout de suite, vous en profiterez pour me débarrasser de vos sbires.

Lantier retourna à pied prendre une voiture au parc auto.

Il refusa un chauffeur.

Il savait que Katz ne tarderait plus.

Il savait aussi que c’était lui qui avait accepté que Katz prenne des risques qu’aucun flic n’avait le droit de prendre, il savait qu’il était responsable en grande partie de son errance dans le lit de la nuit, mais qu’il n’avait fait qu’obéir, en le laissant, aux mystérieuses injonctions de Katz.

Qui revenait déjà.

Pour sa dernière affaire, la toute dernière.

Celle qu’on règle avec soi-même…

CHAPITRE XXI

Elle portait une robe longue, sans manches, qui mettait en valeur sa peau hâlée et avait terminé de dresser la table, entre les fenêtres entrouvertes par où entraient des bouffées tièdes, pleines de langueur, et d’une tristesse discrète. Elle laissait chaque geste s’attarder, examina la nappe blanche et l’argenterie, rectifia l’inclinaison d’un œillet. Elle n’avait jamais souffert l’imperfection. Chaque geste amplifiait les cercles de souffrance. Ils paraissaient s’étendre à la nuit silencieuse, se diluer à perte de vue, et renaissaient sans cesse. Elle prit le temps d’examiner son visage dans une glace ovale, qu’elle ne put s’empêcher de toucher du bout des doigts, bien qu’elle la sût verticale, exactement pendue comme elle devait l’être, à sa place exacte.

Elle n’entendit ni ses pas ni la machinerie de l’ascenseur, seulement qu’il tapait doucement à la porte. Ainsi, il était venu. Elle ne pensa pas un instant qu’il pouvait s’agir de quelqu’un d’autre, puisque Lantier lui avait promis de lui laisser la bride sur le cou.

Elle alla ouvrir.

Elle vit d’abord des fleurs, puis le visage de Katz, et il entra sans hâte.

Elle referma derrière lui, verrouilla la porte.

Il se tenait dans l’entrée, immobile. Elle lui prit le bouquet des mains, le posa sur une chaise presque avec rudesse. Katz n’avait pas dit un mot, elle non plus. Il se retourna et elle vit ses yeux calmes qui la scrutaient. Son sourire embarrassé, et détendu, un sourire qu’elle ne lui avait jamais vu. Il sortit un paquet qu’il avait passé dans la ceinture, dans le dos, là où il lui était arrivé souvent de glisser une arme. Il se pencha à peine pour le poser à côté des fleurs.

— Katz, dit-elle doucement. Il y a des policiers partout…

— Je sais…

Il secoua doucement les épaules.

Elle le conduisit doucement par le bras dans la salle à manger, le dirigea vers le divan de cuir où il s’assit:

— Prendrez-vous un apéritif?

— Oui, sourit Katz.

Elle allait se détourner, mais il lui retint la main.

— Fabienne…

— Oui, Katz?

— Il y a longtemps, n’est-ce pas?

Elle fit oui de la tête.

— Asseyez-vous un instant… (Il ajouta avec douceur:) S’il vous plaît…

— Ça ne vous va pas, Katz, de dire s’il vous plaît.

Elle s’assit néanmoins, un peu en oblique, pour le regarder. Les cheveux courts le rajeunissaient beaucoup. Il sortit une cigarette, lui tendit le paquet et lui alluma celle qu’elle prit au hasard. Ils se contemplèrent sans étonnement.

— Est-ce que… Est-ce que vous portez une arme?

Katz sortit le .38 et le posa sur la soie noire en le tenant par le canon. Elle frôla la crosse tiède du bout des doigts, et la souffrance s’accrût. Elle ne pouvait pas faire de gestes, s’occuper les mains.

— Vous avez tiré, avec?

— Non, fit Katz.

Elle hocha lentement la tête. Elle semblait abîmée dans l’examen du revolver et ses lèvres remuèrent sans qu’il entendît un son en sortir. Elle releva brusquement le menton, et Katz vit l’éclair dans ses yeux, mais elle s’était déjà détournée. Il y avait un cendrier vide, sur la table basse, à côté de ramequins d’olives vertes et noires, de soucoupes de chips et de fromage en petits cubes, de fines tranches de viande des Grisons. Katz reprit le revolver dont il vida le barillet et mit les cartouches dans le cendrier où elle les entendit tinter.

Il posa le revolver sur la moquette.

Ce fut lui qui servit, deux bourbons secs.

— À vous, fit Katz en levant son verre.

— À vous, reprit la femme en écho. Katz… Vous n’auriez pas dû venir.

— Je sais…

— Ils vous attendent.

— Je sais. (Il but quelques gorgées pensivement.) Je n’avais pas tellement le choix, Fabienne.

— Oh si, vous aviez le choix!

— Non.

Elle acquiesça sans le regarder. Elle n’avait pas bu, elle avait le verre entre les doigts, les coudes près de l’aine comme si elle voulait se comprimer le torse. Non, il n’avait pas le choix. Il ne l’avait jamais eu. Lorsqu’il redescendrait, ils le prendraient et l’emmèneraient. Sans casse, avait ajouté Lantier. Ensuite, la prison ou l’hôpital. Personne ne voulait la mort de Katz. Il lui retira la cigarette des doigts, tapota la cendre dans une soucoupe vide.

— Je n’ai pas de glaçons, observa la femme. Si vous en vouliez…

— Je n’en veux pas.

Il l’observait.

— Je voulais vous voir, Fabienne. Vous auriez pu refuser.

— Vous savez bien que non. (Elle eut un sourire amer.) Je vous ai attendu longtemps, et maudit plus d’une fois. J’ai failli vous appeler… (Elle émit un rire rauque.) Je vous ai appelé. Vous étiez sorti. Vous étiez toujours sorti, à croire que vous aviez passé le mot à vos collègues. J’ai rencontré Lantier plusieurs fois. Lui aussi voulait vous appeler…

— Je sais, murmura Katz, toujours avec sa singulière douceur.

— Oh oui, je vous ai maudit. J’ai maudit le jour où le S.A.M.U. vous a amené. J’ai maudit votre voix et vos paroles, votre satané bouquin.

Il le tira de sa poche.

— Les pages se font la jaquette. Vous le voulez?

— Non… Il n’y a pas d’explications, n’est-ce pas?

— Pas beaucoup, dit Katz. Vous ne buvez pas?

— Si… (Elle secoua la tête et but.) Rien de rationnel… (Elle regarda la cigarette fumer dans la soucoupe, le long cylindre gris, tordu à présent, les traces de goudron brunâtres sur la porcelaine blanche.) Si vous aviez répondu, est-ce que ça aurait changé quelque chose?

— Peut-être… (Il regarda les fenêtres. Il n’y en avait pas d’autres en face.) Peut-être que non. Je n’ai jamais décroché de téléphone pour vous appeler.

— Pourquoi?

— J’avais peur.

— De quoi?

— De votre rire. De votre amitié.

Elle le regarda en face, durement.

— Je n’aurais pas ri. Je ne vous aurais pas proposé mon amitié. Katz, je ne sais pas mentir. Je veux dire, volontairement. J’en suis incapable. Je n’ai jamais menti à un homme. Vous le saviez et vous en aviez peur. (Elle vida son verre et le lui tendit. Il le remplit à peine.) Je sais que vous aimez l’agneau… J’en ai décongelé une épaule et je l’ai mise au four. Pommes dauphine. Un Moulin à Vent.

Katz abandonna son verre et sa cigarette, lui prit le poignet.

— Parfait…

— C’est irréel, n’est-ce pas, ce… ce dîner. Je me suis mis dans la tête que nous rentrions du travail, tous les deux, que vous seriez sans doute harassé. J’ai même pensé que vous seriez peut-être en retard… (Elle vida son verre.) Je crois que je n’aurais pas pu, autrement… Je n’aurais pas pu faire tout ça.