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— Je comprends, murmura Katz.

— Je vous ai maudit aussi à cause de tous ces dîners, de toutes ces nuits. De toute cette absence. Je ne crois pas du tout que vous puissiez comprendre, parce qu’il aurait fallu aussi le ressentir.

— Qui vous dit que je ne l’ai pas ressenti?

— Non, Katz, pas avec cette intensité. Autrement… (Elle eut de nouveau son rire amer.) Autrement, vous auriez appelé, malgré votre peur. Est-ce tellement difficile pour un homme, d’appeler une femme?

— Tout dépend de l’homme, remarqua Katz. (Il écrasa sa cigarette.) Je suis venu, vous voyez. J’ai appelé…

— Lorsque vous saviez que vous ne risquiez plus rien…

Katz rit doucement. Il ne lui avait pas lâché le poignet, lui retourna la main. Elle avait les doigts glacés, et ils se recroquevillèrent autour des siens, les agrippèrent avec une force qu’il ne soupçonnait pas.

— Que vouliez-vous me dire, Katz?

— Ça n’a plus beaucoup d’importance. Dans le paquet, il y a une cassette, un carnet. De l’argent. Tout le détail. Vous écouterez la cassette, plus tard, vous lirez le carnet et vous en ferez ce que vous voudrez. Il faudrait trop de temps, et je suppose que nous n’en avons pas beaucoup.

— Ils attendent que vous sortiez.

— Lantier vous expliquera…

— Vous l’appelez Lantier, vous aussi, Katz?

— Oui.

— Il ne m’expliquera rien. (Elle lui demanda une cigarette.) Sûrement pas pourquoi. Il m’a montré une photo de vous, sur votre bateau. Rhiannon… Il m’a parlé de vous une seule fois, et encore à contrecœur. (Elle se pencha sur la flamme du briquet, sans lui lâcher les doigts, remercia d’un coup de front.) J’aime votre voix, Katz. J’ai aimé la façon que vous aviez de sourire et de vous battre pour vivre. Et puis vous avez disparu. Je suppose que le mal était déjà fait… (Elle remua violemment la tête.) Parlez-moi, Katz, bon Dieu. Parlez-moi de vous.

Alors, il se mit à parler.

Lorsqu’il eut terminé, elle alla chercher l’agneau dans le four et ils dînèrent en tête à tête après qu’il eut allumé les bougies. Comme s’ils revenaient tous deux du travail et le visage de Katz paraissait épuisé, livide. Elle lui sourit plusieurs fois, sans doute pour entretenir l’illusion. Il lui prit les doigts sur la nappe. Elle sentit qu’il allait partir. Elle le sentit physiquement, alors qu’elle n’avait pas eu l’impression que le temps passait, à l’écouter, alors qu’il lui restait tellement de choses à lui dire, qu’elle voulait qu’il sache sur elle. Lui et personne d’autre.

— Katz, restez encore.

— Aussi longtemps que vous le voudrez.

Elle eut un sourire, mi-amusé, mi-indulgent.

— Katz, c’est moi qui ai téléphoné à Lantier pour lui dire que vous m’aviez appelée. C’est moi qui lui ai dit… Pour ce soir. Il voulait vous arrêter dans le hall. J’ai eu beaucoup de mal à le convaincre que c’était inutile et dangereux. Auriez-vous ouvert le feu, en bas?

— Peut-être, fit Katz.

— Peut-être? Vous trichez.

— Je serais monté, de toute manière…

— C’est ce que je lui ai expliqué. En échange, il m’a demandé de vous persuader de… de vous rendre. Je ne suis pas sûre d’y être arrivée. Je crois que je savais depuis le début que je n’y arriverais pas. J’écouterai la cassette et je lirai ce que vous avez écrit, je vous le promets.

Il se leva, de façon très empruntée.

Elle fit de même et lui dit:

— Vous avez essayé de jouer double jeu avec ces malfaiteurs, et je sais que vous n’avez jamais été un policier corrompu. Je crois que je sais aussi ce que vous cherchiez, peut-être seulement à vous punir d’exister. Vous n’êtes jamais parvenu à croire qu’on puisse vous aimer pour de bon. C’est vous qui vous êtes trahi, Katz. Vous vous êtes trahi vous-même et personne d’autre ne pouvait le faire à votre place. Restez encore. Quelques minutes. Je vous en supplie…

Il resta jusqu’à ce que le jour se lève et qu’elle finisse par s’assoupir, à demi étendue sur le divan. Il enleva alors le bras qui lui entourait les épaules, se retint de frôler son visage du bout des doigts, et arrangea le bas de la robe sur ses chevilles minces. Il ramassa seulement le revolver vide et le glissa dans la ceinture, devant, là où il ne le portait jamais. Bien en évidence. Il quitta la pièce à reculons. Les fleurs se trouvaient toujours dans la cellophane, sur la chaise, avec le paquet.

Il déverrouilla la porte sans bruit.

Il était dehors, sur le large palier, et le tapis absorbait ses pas. Il ne tenta pas de glisser le long des murs à défilement. Il ne se cachait pas. Quelqu’un fit de la lumière dans la vaste cage d’escalier. Katz commença à descendre, pas à pas, jeta un coup d’œil en bas, vers le damier oblique qui recouvrait le sol.

Bien avant le bruit, la vibration de la large rampe de bois sombre le prévint de leurs pas. Il continua à descendre, plus lentement, le blouson large ouvert. Et brusquement, il remonta d’un demi-étage et les vit.

Alors, il s’immobilisa, les bras le long du corps et la tête un peu inclinée sur l’épaule gauche, les traits pensifs.

Il les attendait…

Il lui sembla entendre un cri de femme, plus haut.

Il les attendait et ils n’en finissaient pas de venir.

C’était bien un cri de femme.

Il porta les doigts à la crosse du Bulldog vide.

Une voix forte s’éleva, et il reconnut celle de Lantier, dont le visage apparut, la face tournée vers le haut.

— Katz, mes types n’ont pas d’arme. Moi non plus…

— Je sais, murmura Katz pour personne.

Il laissa tomber les épaules: un damier oblique et, au bas de la dernière courbe de la rampe, une cariatide en bronze qui soutenait une lampe compliquée au globe opalescent en style nouille. Katz passa les doigts sur son visage, s’attarda à la bouche, aux commissures des lèvres, bien qu’il ne l’ait que frôlée, ses doigts avaient retenu son odeur. Le souvenir de ses traits.

— Laisse tomber, Katz! cria Lantier.

Ils ne se cachaient plus.

Katz secoua les épaules, le revolver le long de la cuisse.

Bien sûr: il n’avait plus qu’à laisser tomber…

CHAPITRE XXII

Ils ne se hâtaient pas, et pourquoi l’auraient-ils fait, puisqu’ils étaient nombreux, certainement une dizaine en tout, et qu’ils savaient qu’il n’avait pas d’issue. Ils n’avaient pas d’armes et ne parlaient pas. Un groupe descendait le large escalier, un autre le montait, Lantier en tête, et le tapis étouffait leurs pas. Bien entendu, ils avaient pris la précaution élémentaire de neutraliser l’ascenseur.

Le piège se refermait sur lui.

Il pouvait avoir encore quelques secondes de répit.

— C’est vous qui vous êtes trahi, Katz… Vous vous êtes trahi vous-même et personne ne pouvait le faire à votre place.

Les policiers le virent poser lentement le Bulldog au milieu du tapis, en fléchissant à peine les genoux, puis retirer son blouson et le jeter derrière lui. Personne ne pensa qu’il faisait autre chose que se rendre, montrer qu’il n’avait plus de ferraille sur lui. Personne ne comprit son élan, ni le mouvement qu’il fit pour bondir sur la large rampe de bois sombre que Lantier tenait à pleine main pour s’aider à monter, à finir ce boulot dégueulasse.

Katz y resta un miraculeux instant immobile, le temps de se redresser complètement et de regarder en bas, de reprendre son équilibre avec une hallucinante précision de funambule. Il bougea les orteils, se souleva…