Je raccroche, le cœur enrubanné.
— En route ! décidé-je.
Je serre la loube pantelante de Pinuche, celle du vigoureux Narcisse, et je m’empare de la petite valoche de la môme.
Je vous ai précisé qu’elle porte des bas noirs ?
Moi, je ne peux pas résister aux bas noirs.
Lorsqu’une gamine dont le tour de flotteurs dépasse cent centimètres se hasarde dans mon espace vital avec des bas noirs, y a pas, faut que je lui dépose à la chambre la motion de confiance dans l’heure qui suit.
C’est à prendre ou à lécher.
CHAPITRE IX
J’ai une petite surprise pour vous
Ce voyage jusqu’à Angers, mes frères : une bénédiction ! Elle a de la conversation, la môme Édith. Elle m’explique pour commencer que son père est un vieux con (ce que j’avais cru remarquer) et qu’il y a belle lurette qu’elle le chambre avec le coup de l’Institution. Voilà trois mois qu’elle a dit bye-bye aux bonnes frangines qui lui accordaient le gîte et la tortore pour se louer une petite carrée meublée, rue de l’Amiral-Coulapique. Il lui a suffi d’envoyer à l’amère supérieure du nouvent de connes, pardon, du couvent de nonnes, une lettre à en-tête de la gendarmerie et signée brigadier Narcisse Piépoilu, pour se faire télécommunier chez Plumeau. Désormais, elle travaille pour un notaire et vit à sa guise, comme disait Henri III à son cousin. Elle a son franc-parler, cette fille. Affranchie de bas en haut. Elle m’explique qu’excepté son patron, elle ne branle rien chez le tabellion. Elle a un petit burlingue pour elle toute seule, où le vieux rat vient se faire pelucher l’injecteur, chaque matin, histoire de se libérer le survolteur. Le reste du temps, la gosse ligote des San-Antonio ou fait des mots croisés. Elle me raconte tout ça comme une bonne blague fraîche et joyeuse, Édith. C’est une libertaire farouche dans son genre. Dix minutes de corvée avec Me Tumlastique et elle est peinarde. Il lui en demande pas plus, l’homme à la minutes et au nœud papillon. Une marotte qui lui est restée de la sixième !
Avec son méchant rhumatisme au poignet il est obligé de faire appel à la manœuvre étrangère. Dans un sens, Édith qui est une forcenée du tennis, ça lui fait travailler son lob ! Tout le monde y trouve son compte. Narcisse, lui, il coince la bulle sur ses deux manettes pendant ce temps. Il la croit bien préservée, fifille, à l’ombre des encornettes. Bourrée de messes basses jusqu’aux sourcils, en train de broder des napperons et de réciter des je croasse en Dieu. Il s’imagine, le chéri, que pendant qu’il prépare sa retraite, elle fait la sienne à l’Institution de l’Immatriculé Contraception, sa grande. Elle lui ramène des tableaux d’honneur en veux-tu là voilà, qu’elle achète dix francs la douzaine à la librairie du Curé d’As, ou du Carré d’Ars. C’est le notaire qui les lui remplit, en belle ronde-comme-on-n’en-fait-plus, agrémentée de petits poils occultes. Narcisse les fait encadrer. Paraît qu’il en a plein sa chambre. C’est sa fierté, sa gloire, son doping. On lui analyserait la lancequine les soirs qu’elle en ramène un, il serait déclaré nul et non avenu, Narcisse. On lui dénierait recta l’existence.
Tout en bavassant, je lui caresse le compas. Elle me rend l’appareil. Y a rien qui fertilise les relations comme une gentille partie de montre-un-peu-comme-y-fait-chaud-chez-toi. Ça n’empêche ni de conduire ni de converser et ça vous entretient dans un état euphorique.
De confidences en caresses on arrive à Angers et elle me drive droit chez elle. La rue de l’Amiral-Coulapique est cette voie étroite qui va du boulevard Sépamoicélautre[16] à la place du Trouillomètre[17].
Quelle n’est pas ma surprise teintée de stupeur, et même de stupéfaction, d’apercevoir à l’angle de la place et de la rue de l’Amiral-Coulapique un vaste bâtiment peint en jaune coco, sur le fronton duquel d’énormes caractères noirs cernés de blanc et soulignés de rouge proclament :
C’est dantesque, le hasard, vous ne me prétendrez pas le contraire, bande de petites effrontées ! Voyons : je vole au secours de Pinaud, et la fille du brigadier qui le tortionnait habite Angers. Je raccompagne la gosseline chez elle pour lui faire admirer mes pendeloques japonaises et v’là qu’elle crèche à quarante-trois mètres vingt six de la boîte qui m’intéresse.
Je vous ai avoué, un peu plus haut, que j’étais surpris ? Erreur : je suis abasourdi. Car, depuis que je connais les agissements des déménageurs, je ne doutais pas un instant qu’ils circulassent sous une raison sociale bidon. La chose me paraissait à ce point certaine que j’ai même négligé de vérifier sur l’annuaire s’il y avait à Angers une maison de transport Coursyvite.
Donc, cette taule existe. Alors je ne vois plus qu’une hypothèse valable : un camion de la firme a été volé par des malfrats.
— Garez-vous sur la place, parce que ma rue est trop étroite, recommande Édith.
Je colle ma tire sous des platanes déguisés en marronniers et je la suis pensivement.
La chambrette de ma conquête est du style Mimi Pensum. Il ne manque pas une photo d’idoles aux murs. Sur le divan-lit (ô divin lit), elle a étalé une couverture de voyage dont le motif représente des tacots début de siècle. La nappe de la table est en papier journal pelliculé et le déshabillé accroché à la porte ouverte du cabinet de toilette ferait prendre une moustiquaire pour une robe de bure.
— C’est mignon, chez toi, mon petit cœur ! dis-je à l’héritière de Narcisse en lui fourbissant la calandre.
Voilà que je la tutoie du simple fait que nous nous trouvons dans sa chambre.
— T’as pas peur que ton dabe découvre le pot aux roses un de ces jours ?
Elle a un geste insouciant.
— Les femmes n’ont jamais peur des conséquences de leurs bêtises, c’est ce qui leur permet de les apprécier. Alors que les hommes se gâchent la vie parce qu’ils sont effrayés par les leurs, répond-elle.
J’admire la maturité de cette mignonne. Elle aime la minijupe, mais elle ne se trimbale pas une mini-gamberge, moi je vous le dis. On assiste à une fantastique évolution de l’individu, mes pères. De nos jours, une nana de 18 carats (ce sont des filles en or, à c’t’ étage-là), en a plus dans le chou que les professeurs de Faculté de nos dabes. Elles ont déjà fait le tour du circuit, histoire de reconnaître le parcours. Ce qu’on peut leur enseigner en philo n’est que de la rabâche de gâtouillard. Par rapport à ces jeunes éveillées, les grands penseurs passés et présents ont le cerveau en bronze, comme celui de Rodin.
Les vieux chpountz se rendent pas compte du danger que ça leur constitue[18]. Devant cette fabuleuse précocité, ils ronchonnent que ça leur passera avec l’âge cette manie d’être intelligents, à ces prodiges, qu’ils s’enconneront comme leur papa en prenant de la boutanche.
Ils veulent pas consentir à l’évolution de l’espèce. Ils refusent d’admettre que ça vient de sauter un cran et que de même que tombent les records sportifs, de même ça s’améliore fantastiquement dans le secteur de la moulinette. Les vieux, pour être intelligents, ça leur a coûté de la volonté et de la sueur, alors ils sont écœurés de découvrir que maintenant l’homme naît futé ; que les lardons d’aujourd’hui récoltent les fruits de leurs efforts. Ça leur parait anomalique ! Ce qui prouve bien, quoi qu’ils fassent ou qui qu’ils fessent, que les grands intelligents d’hier sont tout de même devenus les vieux cons d’aujourd’hui. Je perçois le phénomène et je me marre. Un pied dans chaque univers, il a, San-A. Une vue imprenable sur les cornichons qui pensent en play-back, et une autre, bien radieuse, sur les gredins qui ont de l’intelligence jusqu’au fond de leur vessie, car l’intelligence, la vraie, ça ne s’élabore plus : ça se pisse.
17
Appareil servant à mesurer les émissions d’adrénaline dans le corps humain consécutives à une forte émotion. Il existe deux sortes de trouillomètres : le simple, et le trouillomètre Azéraux, du nom du fameux physicien angevin, Hector Azéraux.
18
Note pour le correcteur : vous mettez pas la conscience professionnelle en berne à cause de ces tournures de phrase. C’est juste pour faire ch… les puristes grammateuriens, les envocabulés de frais, et saint Taxe, leur bien nheureux patron.