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— Gann est-il revenu à la fin des vacances ? Le révérend prit le temps de réfléchir.

— Je crois que oui.

— Et depuis il a changé encore plus ? Harry Bergen hocha la tête.

— Oui. Bien sûr. Il est devenu de plus en plus taciturne sans perdre de son amabilité.

— Et ce n’est que bien plus tard que vous avez constaté l’apparition de ce brouillard, à la suite d’une émission qui parasitait votre poste ?

— Oui … Exactement depuis trois mois.

Le commodore vida son verre et le révérend inclina la bouteille pour le remplir.

— Donc vers le 20 février ?

— Oui. À peu près.

Kovask se demandait pourquoi le révérend avait attendu aussi longtemps avant de signaler la chose. Peut-être qu’avec son goût de la précision, et aussi par probité morale, il voulait avoir une certitude formelle.

Rien ne prouve que le phénomène ne s’est pas produit entre le retour de Geoffrey Gann et le 20 février ?

Harry Bergen observa un silence prudent.

— Quand est-il rentré d’Anchorage ?

— Vers le 15 janvier.

Quelques minutes plus tard ils quittèrent le pasteur. Les flocons de neige étaient beaucoup plus gros et une couche glissante tapissait les rues.

— Il faudra reprendre l’enquête à Anchorage à l’endroit où ils se sont séparés.

— Surprenant, dit Kovask, qu’ils aillent passer un mois à Anchorage pour y dépenser une petite fortune. Je me suis laissé dire que les hôtels étaient plutôt chérots là-bas.

— Et comment ! répondit Shelby. Un dollar et demi le petit déjeuner. Huit dollars un repas ordinaire, et au moins vingt dollars une chambre minable. Un coup de soixante dollars par jour pour un couple, et sans faire de folies. Pour un couple qui veut faire des économies … Tiens allons poser la question à Gann. Nous le mettrons peut-être dans l’embarras.

Le commodore entra le premier dans la petite salle à manger et sursauta :

— Rubins ! Que vous arrive-t-il ?

Le premier maître était à genoux auprès de la cuisinière électrique. Il tâtait le sommet de son crâne avec sa main.

— Je crois que c’est avec un salami. Un truc gros comme mon bras et long de près d’un mètre. Il allait m’en couper quelques tranches mais il m’a assommé avec. Pire qu’un bas rempli de sable.

— Il a filé, dit Kovask qui avait fait le tour du petit appartement.

Shelby alla au-dehors mais la neige effaçait déjà leurs propres traces. Celles du fuyard n’existaient plus.

— Une seule consolation. Nous avions mise juste et n’étions pas en train d’importuner un innocent.

— Il ne peut aller très loin. L’île est petite, grogna le premier maître. Je me charge de le retrouver, moi.

Kovask haussa les épaules.

— Il connaît mieux Kena que nous tous, et peut-être a-t-il préparé une cachette pour une pareille éventualité. Il n’y a que s’il essaye de passer sur le continent que nous pourrons mettre la main sur lui. Il faut faire surveiller le port.

* * *

Muro était un pêcheur japonais installé dans l’île depuis une dizaine d’années. Il vivait toute l’année à bord de son bateau, même lorsque la glace bloquait le petit port, partageant l’espace disponible avec sa femme, ses deux enfants et son oncle qui n’avait que quelques années de plus que lui.

Le Japonais écouta l’instituteur avec attention, sans l’interrompre une seule fois. Il le recevait dans le minuscule carré qui lui servait de poste de pilotage. Gann lui expliqua qu’il était recherché par la police et qu’a venait de leur échapper. Muro était le seul homme qui puisse l’aider à quitter l’île. L’Américain lui avait rendu un grand service l’année précédente.

— Bien, dit Muro dans son américain nasillard. Descendez en bas.

Une échelle de fer conduisait à la partie habitable du bateau, deux cabines étroites dont l’une servait de cuisine et de salle à manger le jour, de chambre pour le couple la nuit. L’oncle et les deux garçons couchaient à côté. Les enfants saluèrent leur instituteur. Durant les campagnes de pêche Gann avait réussi à les placer dans une famille esquimau.

— La police viendra fouiller votre bateau, dit Gann à mi-voix. Pouvez-vous me cacher jusqu’à ce que vous leviez l’ancre ?

— Oui. Venez. Dans la cabine du fond, située vers l’avant, il escalada une couchette, mit un pied sur celle qui faisait face, en équilibre. Il ouvrit une trappe et l’instituteur fit la grimace.

— C’est la cale aux poissons. Ne craignez rien. Je vais vous placer dans le puits à chaînes. Il est très large mais vous ne pourrez que vous asseoir. J’espère que l’odeur rebutera vos poursuivants.

Il s’interrompit en entendant un bruit de pas au-dessus de leur tête.

— Mon oncle Inshu a parfaitement compris et vient de monter surveiller les quais. Venez.

La cale était vide mais l’odeur en était écœurante. De sa lampe électrique le Japonais éclaira le puits à chaînes. Deux gros tubes d’écubiers le traversaient mais on pouvait s’asseoir entre eux.

— Dès qu’ils auront tout fouillé je reviendrai.

À tout à l’heure. Ne touchez pas aux chaînes. Le bruit se répercuterait dans tout le bateau.

Il emporta la lampe et referma. Gann espéra que les écubiers suffiraient pour renouveler l’air. Au bout d’une demi-heure le froid l’avait pénétré jusqu’aux os et ses membres étaient ankylosés. Les lames du pont craquèrent sons le poids de plusieurs personnes et des bruits divers ébranlèrent le bateau. Gann pensa que les hommes lancés à sa poursuite ne fouilleraient pas plus soigneusement ce bateau que les dix ou douze autres amarrés aux quais. Il aurait fallu une plus longue enquête, pour qu’ils apprennent que l’année dernière il avait fait de difficiles démarches pour que la femme de Muro soit envoyée à l’hôpital civil d’Anchorage, par l’intermédiaire du Department of Native affairs. L’opération et le séjour de deux mois n’avaient presque rien coûté au pêcheur qui traversait une période de malchance.

L’échelle de fer empoignée par des mains puissantes gémit et l’assiette du bateau fut compromise. Les défenses, des pneus de jeep attachés le long de la coque, raclèrent le béton du quai.

Brusquement une voix très proche le fit sursauter. Quelqu’un avait ouvert l’écoutille de cale.

— Ça pue drôlement là-dedans ! fit quelqu’un. Une lampe mon vieux ! Pour sauter là-dedans …

Le puits aux chaînes était fermé par une simple porte mal ajustée. À plusieurs reprises des rayons lumineux s’enfoncèrent au travers des interstices comme des clous dorés.

— C’est vide. Juste des bacs et des caisses de bois.

— Descendez, Thompson.

L’autre grogna, manœuvra l’échelle coulissante.

— Je vais empester quand je vais remonter.

— Regardez derrière cette pile de caisses. Thompson en déplaça quelques-unes.

— Je me demande comment un type pourrait se tenir là derrière. Tout est parfaitement en ordre. Ce Japonais doit être rudement soigneux. Sans cette odeur …

— Remontez.

L’homme ne se le fit pas dire deux fois et quelques secondes plus tard un bruit feutré, suivi d’un choc sourd, annonça à Gann que l’écoutille avait été refermée. Il se rendit compte alors qu’il étouffait en partie, car durant tout le temps de l’inspection de la cale il avait retenu sa respiration. Il essuya son visage couvert de sueur, étira une jambe. La chaîne la plus proche claqua et il s’immobilisa. Si les autres étaient encore sur le bateau …

Le silence finit par le rassurer. Il frissonna à cause de son dos humide et glacé. Il n’avait emporté qu’un sac avec très peu d’affaires.