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Il y a des marchands de saloperies en plein air, malgré l’heure tardive, des alcoolos hébétés, des clodos qui amorcent des fornications publiques. J’en avise un, pas bégueule, qui se taille un rassis, acagnardé au capot d’une DeSoto antédiluvienne.

— Moi, je ne vais pas plus loin, nous avertit le taxi driver. Quand vous traversez cette garcerie de rue, vous atteignez l’autre bout avec des creux dans la carrosserie et de la merde plein les vitres !

Je le cigle et on descend de sa charrette fantôme pour plonger dans la populace.

Ici, les regards sont énormes, jaunes et hostiles. Ils vous « soupèsent », vous assèchent la gorge. Ames sensibles s’abstenir.

Notre bahut enquille une street perpendiculaire et disparaît ; bon, on se met à déambuler pour tenter de repérer le claque de Nancy Woaf. On se partage la besogne et chacun explore un côté de la rue. Au bout d’une ou deux centaines de mètres, Jérémie me lance un coup de sifflet de sa façon, lequel reproduit à s’y méprendre le criaillement du toucan bleu quand il est en rut.

Je le rejoins non sans avoir morflé moult coups de coudes dans les endosses.

Le Négus me désigne alors un renfoncement au fond duquel une enseigne de néon indique Blue Mountain. Le « u » de Blue est nase, ce qui change « blue » en « ble ».

Dans l’impasse, ça grouille moche. Ah ! les monstres asticots que voilà ! Comme sur une charogne, mon drôle ! Des épaves qu’ont envie de se faire dégorger le petit chauve et qui marchandent âprement. Des putes de dernière catégorie protestent et contre-proposent.

Nous apercevant, saboulés élégants, ces friponnes nous entreprennent en priorité. Elles soumettent des programmes alléchants à nos sexes à lécher. Chacune a une spécialité à nous proposer. Y en a une, une Allemande dévoyée, qui fait la pratique du ruban[5], une autre qui te garantit une félicité complète dans la cavité orbitale accueillant provisoirement son œil de verre, une troisième te jure l’extase intégrale en te shootant à l’herbe indienne. Des gentilles commerçantes, dans le fond.

C’est somme toute bien pratique de vendre sa chatte ou son oignon. Tu trimbales ton fonds de commerce avec toi et tu peux exercer ton négoce n’importe où. Ton service entretien se résume à une savonnette Cadum et un gant de toilette.

Nous nous frayons un passage jusqu’au seuil du Blue Mountain que garde un Négro baraqué comme Tarzan.

Il nous fait fête, nous promet monts (de Vénus) et merveilles. Qu’on entre seulement !

Nous.

Faut se reporter à Dédé d’Anvers d’Allégret pour trouver une ambiance de ce style, voire à Pépé le Moko ! Magine-toi une vaste salle avec un long comptoir et de hauts tabourets d’un côté, de l’autre, des canapés foireux, très boxif, recouverts de satin frappé.

Sur les tabourets se trouvent les putes disponibles, dans des attitudes suggestives. Ce que t’arrives à prendre comme postures bandantes avec un tabouret de bar et un porte-jarretelles est impossible à répertorier ! Elles sont d’autant plus hard, ces poses, que les intéressées ne portent pas de culotte, ou alors celle-ci est-elle fendue par le milieu.

Sur les canapés, sont installés messieurs les futurs clients, chalands nonchalants. Ils prennent leur temps pour examiner le cheptel, ces maquignons de l’amour tarifé. T’en vois qui se massent délicatement la protubérance en supputant les performances de leur partenaire en puissance. C’est difficile, un choix. Grisant aussi ! On se pose des questions, on envisage. La petite crevarde aux yeux pervers, la mulâtresse blonde, la grande Nordique aux épaules de lutteuse, la fille coiffée à la garçonne qui joue du fume-cigarette, l’obèse drapée dans des tulles roses, le travelo brésilien en tenue du soir dont la robe n’est qu’un immense décolleté avec un peu de falbala autour ; toutes ces « dames » attisent l’imagination et les glandes des bonshommes. Des solitaires, pour la plupart. Mâles en mal de tringlette, tourmentés par leur membre.

C’est lui, le malheureux brise-jet qu’ils amènent à la consultation. Leur bébête vorace, leur mignon joufflu, leur bébé rose, leur mât de misère. C’est lui, le sournois, qui les harcèle. Il a « besoin », chérubin à peau extensible, le petit guerrier au casque fendu. Il a sa digue, mistigri, lui faut d’urgence sa petite visite organisée des catacombes. Il veut piquer une tête (de nœud) dans la soupière à Julie ! L’heure de ses frasques a sonné. On ne le tient plus. C’est pas avec un rassis que tu lui calmeras les nerfs ; non plus que sous un jet d’eau froide !

Alors, son monsieur, au tutut, lui paye la virée au Blue Mountain, la petite passe à cent dollars. Il le guide dans son choix, l’enfant terrible. « Pourquoi que tu choisirais pas la grosse qui a l’air si gentille ? Tu as vu sa bouche ? Elle doit t’engouffrer suavement, te laquer le cabochon que c’en est vertigineux. Je te parie qu’avec un léger supplément elle te laisse dégorger dans sa clape. Comment ? Tu préfères pas ? Tu veux t’extrapoler à la papa ? L’enfourchement familial ? Le grillon du foyer ? Alors prends la petite cochonne, elle est plus maniable ; c’est de la monture de course, ça ! Du cheval arabe. Qu’est-ce que tu dis ? T’as peur qu’elle ait le frifri trop étroit ? Détrompe-toi, Dudule, ça ne veut rien dire. T’as des mignonnes qu’ont le dargif gros comme deux pommes et qui s’enquillent des grappins de porte-avions dans la moniche. »

On prend place sur l’un des canapés vacants, Messire Blanche-Neige et moi, et on observe.

Quand un julot a jeté son dévolu, il va à sa séductrice. La môme fait pivoter son tabouret face au bar et les deux futurs amants commencent par écluser un gorgeon. Du bourbon, généralement. Ça donne du cœur à l’ouvrage. La fille insiste pour qu’ils en prennent un deuxième. Quand le gus est bonne poire, il dit banco, sinon, il rouscaille qu’il est pressé, alors le couple se rend au fond de la pièce et gravit un escalier de bois à double révolution. Il va vivre une grande page d’amour. Cent dollars, et tu as l’infini à dispose.

Tu te dessapes, puis tu revêts ton polichinelle à roulettes d’un chouette imper étoilé comme le drapeau ricain, manière de protéger le marmouset des mauvaises surprises. Le sida vole bas par les temps qui courent. Tu dois te priver de plaisirs liminaires par mesure de sécurité. Ne pas tutoyer le parc à moules de médème, des fois que tu aurais une écorchure dans la bouche ! Elle, par contre, peut déferler du lingual sur ton Popaul qui fait le beau, mais à travers sa combinaison d’astronaute only, j’insiste ! Pas d’imprudence, petit loup ! C’est si con de mourir d’un coup de bite !

— Programme ? questionne Jérémie.

C’est son mot, ça, dans les périodes indécises : « Programme ? »

— Je vais me mettre en quête de la fille qui m’intéresse, grand.

Je me lève et m’approche de la « garçonne ». Moi, les années 20 me fascinent ; les bagnoles, les toilettes, la pube de cette période m’emmènent promener les méninges.

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5

La recette du ruban paraîtra incessamment dans un manuel que je prépare sur la pointe en marge de la pointe.

San-A.