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— Attendez. Vous veniez pourquoi, uniquement pour que vous et moi… ?

— Non, j’étais curieuse de votre nouvelle tactique.

L’autre jour, c’était le style Astérix, vous me traîniez par les cheveux. Je me demandais si vous pouviez agir différemment, c’est tout.

— Votre ami est venu fureter ici hier au soir. Vous aviez mes clés, toutes les clés des appartements. Moi, je ne sors jamais sans laisser des repères. Je suis un maniaque de prudence. Il les a dérangés. Il cherchait quoi ? Jusque ses traces de pas, il chausse du quarante, dans la pièce non encore refaite appartenant à l’ancien appartement mitoyen.

Pauvre Manuel trop maladroit. Le grand reportage, c’était pas pour tout de suite.

— Deux fureteurs, deux taupes sans grande envergure.

La pocharde et le faux loubard.

— Monsieur Arbas, fît-elle avec un sourire, où donc est passé votre si adorable chat ?

Il resta cloué, presque nostalgique d’avoir si peu d’impact.

— Un si joli chat, est-ce que je le reverrai chez moi ? Il est si câlin. Vous ne voulez pas que nous parlions de lui, du beau temps anormal pour la saison ou de n’importe quoi, monsieur Arbas ? Depuis un moment vous ne pouvez plus vous arrêter et je suis un peu saoule de vos propos.

Je connais M. Bossi, il m’a promis un poste d’assistante sociale mais c’est tout. Vous me dites qu’il va peut-être mourir de quelques balles dans la peau et vous ne devriez pas. Si cela arrive, tout le monde pensera que c’est vous.

Et alors on se souviendra de toutes ces choses déplaisantes, des Sanchez par exemple.

Il haussa les épaules :

— La police a conclu au suicide.

— Ils se sont asphyxiés au gaz dans une pièce sans arrivée de gaz… Oui, ils sont morts au-dessus dans ce que nous appelons le pigeonnier, n’est-ce pas ? Une fois morts, ils ont descendu l’escalier et sont allés dans leur chambre. Pour bien jouer leur scène ils se sont allongés l’un sur le lit l’autre près de la fenêtre. C’était parfait.

Deux cognacs avant d’aller chercher les gosses Larovitz, plusieurs coups de porto à même la bouteille et elle se dédoublait. Il y avait une vieille pocharde désespérée qui se cramponnait aux vêtements d’une jeune femme gonflée à bloc, qui avait toujours gueulé la vérité la plus déplaisante.

— Vous avez rompu votre contrat, fit remarquer Pierre Arbas. Votre petit copain ne sera pas content si vous êtes déjà saoule à midi.

— Foutez-moi la paix avec mon copain ! Laissez-le en dehors du coup. Vous avez liquidé les Sanchez qui avaient réuni quinze ou vingt millions pour acheter un bistrot dans un coin perdu d’Espagne.

Il se leva d’un bond puis se cassa en deux, appuya ses mains sur le bureau :

— Qu’avez-vous dit à l’instant ? Pouvez-vous répéter ?

— Les Sanchez qui avaient acheté un truc en Espagne ou allaient le faire ?

— Non, vous avez parlé d’argent, de combien ?

— Quinze à vingt millions. Chaque annonce cochée tournait autour de ce prix.

— Quelle annonce cochée ?

— Sur la revue immobilière espagnole. Vous ne comprenez pas grand-chose aujourd’hui, j’ai l’impression, ou alors vous faites semblant. Je sais que j’ai bu à peine trop et que je ne devrais pas vous raconter tout ça. Mais s’il y a quelqu’un à qui j’ai envie d’enfoncer le nez dans sa mouscaille, c’est bien vous, monsieur Trois-Pièces, monsieur le syndic distingué, monsieur le gérant dictateur de mes fesses du Bunker du centre-ville.

— Vous êtes triste, Alice, vraiment triste à mourir. Vous suez l’alcool bu depuis des années, vous puez l’alambic.

Je me demande encore comment un homme peut avoir envie de vous approcher, de vous prendre dans ses bras.

Et vous aviez imaginé que nous allions faire l’amour.

Vous n’êtes bonne qu’à une seule chose, ma pauvre fille.

Allez dans la galerie marchande le proposer et débarrassez l’immeuble de votre présence.

— Vous faites le vide, le grand nettoyage continue, hein ? Les Algériens clandestins, les Sanchez, Alice Soult et qui encore ?

— Partez, partez ou je vous fous dehors à grands coups de pied dans les fesses.

— Ne vous énervez pas. Quand on a vos responsabilités de grand chef d’état-major, dit-elle se relevant lentement, il faut savoir garder son sang-froid.

Elle réussit à retrouver le chemin de la sortie mais il la dépassa, la bousculant même pour lui ouvrir la porte.

— Bossi vous laissera choir, ce journaliste aussi et vous serez à nouveau seule, Alice Soult. Très seule. Vous ne pourrez même pas continuer à payer un loyer ici. Nous allons proposer un viager pour cet appartement à Cambrier. Nous lui demanderons de vous renvoyer car nous voulons rester entre nous.

— Et si je prenais le viager en proposant plus cher ?

— Avec quel argent, hein ? Vous n’avez même pas cent francs en poche.

— Qu’en savez-vous ? J’irai trouver le père Cambrier pour qu’il me donne la priorité. Vous ne pourrez pas me chasser et je serai l’intruse, la pièce rapportée qui vous empêchera de vous retrouver entre vous, qui risquera à tout instant de découvrir vos sales petits secrets. Vous ne vivrez plus en paix, vous aurez toujours cette menace suspendue sur vos têtes et pas question de me faire le coup des Sanchez. Un troisième suicide dans la maison serait très mal venu, monsieur Arbas, très très très mal, croyez-moi.

— Vous reviendrez supplier qu’on vous garde encore un peu, qu’on vous évite la rue. Je ne me trompe jamais, Alice. Vous reviendrez.

Il parlait avec une douceur inattendue ayant retrouvé son sang-froid et c’était encore plus inquiétant, prophétique. Elle se précipita vers l’escalier, dévala les marches, s’énerva à la serrure du verrou dont la clé avait peine à fonctionner, alla tout de suite au réfrigérateur prendre la bouteille de porto.

CHAPITRE XXX

— Bachir, Ahmed Bachir, sûr que je le connais et ce n’est pas d’aujourd’hui.

Dire qu’elle avait attendu deux heures, bu trois cognacs avant d’oser poser la question au neveu du patron, lequel neveu faisait le week-end tandis que Tonton jouait à la pétanque ou participait à une battue aux sangliers. Le patron l’avait découragée, mais le neveu était plus loquace. Il expliqua comment trouver la maison de Bachir.

C’était du côté de Hyères dans une campagne perdue, un cabanon qu’il avait agrandi pour lui, sa femme et ses nombreux enfants.

— C’est assez compliqué, mais comme je suis allé manger le méchoui chez lui je vais vous dire où c’est exactement.

Il alla même chercher une carte Michelin et traça le chemin.

— Emportez la carte, vous me la rendrez.

Le chauffeur de taxi qu’elle rencontra examina la carte et lui fit une sorte de devis avec une heure d’attente sur place. Elle accepta. L’argent avait fondu dans son sac et malgré les cinq cents francs donnés par Manuel et sa participation au lunch elle avait des doutes. Elle laissait son sac n’importe où, possible qu’il ait récupéré sa mise de fonds. Elle ne lui accordait aucune confiance. Pas normal à son âge de rester avec une vieille qui picolait dur, pas normal du tout. Elle avait toujours été lucide et n’allait pas faire de chagrin d’amour.

— On arrive, dit le chauffeur. Vous me payez la moitié et j’attends une heure.

— Vous n’allez pas filer, hein ?

Il éclata de rire, promit et la regarda s’éloigner en secouant la tête de pitié. Elle trébuchait sur le chemin de terre avec ses hauts talons éculés. Un phénomène. Jolie femme encore, mais qui buvait trop et ça se voyait sur son visage. Un jour, elle finirait mal. Qu’allait-elle faire chez un Arabe dans ce coin perdu ?