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Il était là, Bachir, et regardait cette visiteuse les yeux ronds. Comme ses gosses, comme sa femme, sa belle-mère, le chien même. Elle serrait fortement son sac sous le bras et parlait sans très bien se faire comprendre.

— Ah ! La maison cornue ? Bien sûr que j’ai loué un appartement, mais je me suis mordu les doigts. Je croyais que les gens allaient filer, laisser les autres appartements.

Je pouvais loger cent personnes d’un coup, mais le vieux m’avait roulé. Je ne savais pas qu’il avait vendu en viager et que les autres s’accrochaient dur. Sinon… Il a fallu que j’annule le bail, bien sûr.

— Et vos compatriotes ?

— Ils se sont démerdés.

— Vous savez comment ?

— Je m’occupe pas de ces affaires. Les clandestins, c’est toujours risqué et dans le fond j’ai été bien content qu’ils foutent le camp avant la fin du bail.

Elle accepta un verre de café, mais le but debout en évitant le regard pénétrant de la belle-mère assise dans une belle robe rose près du poêle à mazout.

— Vous voulez dire que vous n’avez pas eu à les mettre à la rue vous-même ?

— Exactement. Les copropriétaires s’en sont chargés.

Je ne sais pas comment mais ils y sont arrivés et dans le fond c’était très bien comme ça.

Une petite fille lui offrit des pâtisseries au miel, des beignets en forme de bretzels très rouges, très gluants, très bons, mais elle ne pouvait rien avaler. Elle avait hâte de prendre un autre cognac, se demandait si le taxi tiendrait parole.

— Mais comment ont-ils fait ?

— Ça, je n’en sais rien. Quand je suis revenu, à la fin de l’année dernière, ils avaient disparu. Il n’y avait plus rien, ni une paillasse ni une casserole, plus rien. Le nettoyage par le vide et j’ai appris que ce vieux filou de Cambrier acceptait de vendre en viager et qu’ils allaient partager. Ils avaient pas envie que ça recommence et je les comprends. Un autre aurait pu avoir la même idée que moi.

— Ils ont tout partagé, muré les portes, fait des accès personnels.

— Tant mieux pour eux, tant mieux. Vous êtes en affaires avec eux ou quoi ?

— J’habite là-bas et je voulais savoir.

— Vous habitez là-bas ! s’exclama-t-il.

Il prononça quelques mots en algérien qu’elle ne comprit pas, puis la regarda bizarrement.

— C’est votre affaire, dit-il, mais moi je n’habiterais jamais dans cette maison-là. Pour rien au monde et à votre place je déménagerais sans tarder.

— Pour l’instant je suis bien obligée d’y rester ! maugréa-t-elle entre ses dents.

CHAPITRE XXXI

Manuel attendait dans le bistrot et elle lui en voulut presque d’être de retour, de se raccrocher, de l’empêcher de cicatriser. Elle commanda un cognac sans même le regarder, debout au comptoir.

— Viens t’asseoir au moins.

Il l’entraîna par le bras, la main sous son aisselle, et elle ne pouvait résister à cette bête chaude qui se nichait là.

Elle prit son verre et se laissa guider vers le fond du bar.

— J’attends depuis deux heures. D’où viens-tu ?

— Je me suis baladée, dit-elle.

— De bistrot en bistrot ?

— Je suis allée voir Bachir… Il se trouve que le neveu du patron est moins hermétique que son oncle.

— Tu es sûre que c’était Bachir ?

— Je n’ai pas vu sa carte d’identité, mais il correspond au signalement.

— Curieux… J’avais l’impression que Bachir n’existait pas ou n’existait plus.

Elle sirotait son cognac. Elle en avait bu un autre avec le chauffeur de taxi qui l’avait attendue. Elle n’y avait pas cru, avait presque les larmes aux yeux en sortant de chez Bachir lorsqu’elle avait vu les feux de stationnement.

— Je vais rentrer en même temps que toi, discrètement si possible. Désormais je pense qu’en sonnant chez toi on alerte Pierre Arbas. Il a dû se relier à ton concierge électronique. Tu sais que ça vaut un prix fou ce truc-là et que ces gens qui gagnent à peine le S.M.I.C., soi-disant, ont pu se le payer ?

— Ça veut dire quoi ? Qu’ils ont plus de fric qu’ils ne l’annoncent ?

— Je ne crois pas. Mais ils dépensent beaucoup pour leur sécurité et pour rester les seuls propriétaires du Bunker. Leurs réactions hier, devant ton lunch copieux, le prouvent. Ils doivent se priver sur tout et le trois-pièces d’Arbas date de plusieurs années. C’est lui qui encaisse le plus, mais il doit aussi en dépenser pas mal.

— Tu veux revenir chez moi ? Demanda-t-elle. Je croyais que tu en avais terminé. Je pensais que tu avais trouvé le fric des Sanchez et filé avec.

Il se mit à rire et prit un air rêveur.

— Arbas a été surpris quand j’ai parlé de ce fric.

— Tu as vu Arbas ? S’exclama-t-il.

— J’avais rendez-vous, non, et tu n’es pas le seul mâle intéressant du coin. Oh ! J’ai eu la journée bien remplie.

Je suis allée chercher les mômes Larovitz qui m’ont parlé de la nuit où les Sanchez sont morts, puis j’ai vu Arbas et ensuite Bachir. Je me démène, moi, pendant que tu vas te faire chouchouter par Papa Maman.

— Laisse mes parents tranquilles, ils ne te demandent rien. Les gosses ont parlé des Sanchez ? Ils ont vu, entendu quelque chose, cette nuit-là ?

La réponse d’Alice parut le décevoir. Il haussa les épaules.

— Ça ne signifie rien que les parents les aient laissés seuls cette nuit-là.

— Au contraire, c’est très troublant. D’abord, les gosses ont bien dit que les Sanchez se préparaient à partir en Espagne. D’autre part, si les parents étaient en soirée chez Arbas comment n’ont-ils pas flairé l’odeur du gaz en rentrant chez eux tard dans la nuit ?

— Les gosses n’ont pas précisé l’heure tout de même ? Tu sais, des mômes s’endormant à huit heures se réveillant vers onze heures s’imaginent qu’il est beaucoup plus tard dans la nuit. Et Bachir ?

— Il avait décidé d’annuler son bail de location. Les gens d’en face devaient lui faire des tas d’ennuis. Quand il a décidé de renoncer à cette location il n’y avait plus un seul clandestin dans l’appartement.

— Plus un seul ?

— C’est ce qu’il m’a dit. Il ne restait même plus une paillasse, plus un objet usuel. Le vide total. De toute façon, c’est pas le genre à se poser des questions. Un temps il envisageait que la maison tout entière tomberait entre ses mains, que la présence de ses compatriotes ferait fuir les occupants anciens, mais le vieux Cambrier l’avait roulé en lui cachant qu’il avait vendu les autres appartements en viager. Alors il a vite fait machine arrière pour retirer ses billes. Il n’a pas dû perdre du fric dans l’opération, bien au contraire.

— Et que sont devenus ces pauvres types escroqués par Bachir, expulsés certainement manu militari par les gens d’en face ?

— Bachir l’ignore et s’en fout totalement. Le propre des clandestins, c’est de s’évanouir dans l’incognito, non ? Ils n’avaient certainement pas envie d’attirer l’attention sur eux. N’oublie pas que l’ancien régime n’était pas tendre avec eux et les expulsait sans leur laisser une chance.

— On doit quand même pouvoir les retrouver. Bachir doit avoir des noms ? Tu ne les lui as pas demandés ?

— Bien malin qui pourrait lui arracher ce qu’il ne veut pas dire. Peut-être qu’il ne connaissait pas leurs noms, qu’il faisait un prix de groupe. Pour dix ou douze, par exemple, libre à eux de trouver les amateurs d’être quinze ou vingt, il s’en foutait Bachir. Il avait fait son bénéfice et le reste…