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Vous travaillez pour les flics ? Vous êtes une des nouvelles femmes flics ?

— Est-ce que j’en ai seulement la gueule ? Fit-elle en rejetant un nuage de fumée. Vous aviez peut-être trop d’imagination pour rester journaliste… Manque de rigueur, hein ?

— Vous pouvez me dire ce qu’est ce boulot ?

— Pourquoi ?

— Il n’est pas avouable ? Dans le coin ce serait logique mais vous n’avez pas non plus la gueule à ça.

— Qu’en savez-vous ?

— Oh ! Pas grand-chose. Je n’ai pas une grande expérience de la prostitution mais dans le quartier pas question… Vous ne voulez pas me dire ce que vous faites ?

— D’accord… Je vais avoir un boulot d’assistante sociale…

— C’est vrai ? Vous n’avez pas non plus le personnage…

J’en connais. Les très jeunes sont vraiment chouettes…

Les plus vieilles que vous, à part quelques exceptions…

Je préfère ne pas vous choquer. Vous travaillez pour qui ?

— C’est un véritable interrogatoire, dit-elle, vous prenez un cognac ?

— Un cognac maintenant ?

— Oui ou non ? Exigea-t-elle sèchement. D’accord, un cognac s’il vous plaît.

Il faillit lui faire louper la petite cérémonie de la mise en verre. Le patron faisait ça religieusement et paraissait soutirer de l’or en fusion de sa bouteille pansue. Il l’apportait comme le saint sacrement, d’ailleurs.

— Un autre café, commanda l’ex-journaliste… Au fait je me présente, Manuel Mothe…

Elle reniflait déjà son cognac et fermait à demi les yeux.

Parjure, soit, mais que ce petit con ne vienne pas gâcher ce moment unique dans la journée où le parfum de l’alcool lui montait encore au cerveau. Ensuite c’était fini. Elle devait l’avaler vite pour obtenir un ersatz de jouissance.

— Je peux savoir qui vous êtes ?

— Alice ça suffit, non ? Le nom… J’en ai eu un autre, je n’ai pas encore l’habitude du mien.

— Divorcée ?

— Vous êtes vraiment flic, hein ? Quoi encore ? Non, je ne porte rien sous mes vêtements. Je suis arrivée ainsi hier soir et je ne suis pas repassée à mon ancien domicile.

Une chambre merdique et froide paumée vers Saint-Jean là-bas. Il doit y avoir aussi une vieille R 5 qui rouille sur le trottoir depuis deux mois faute d’une batterie neuve.

Oui, mon beau monsieur, j’en étais là. Pas de fric pour une batterie, même de supermarché.

— Je vais connaître ça aussi, ne vous inquiétez pas, si vous pensez que je suis un fils à papa.

Soudain, elle gloussa en regardant le Bunker.

— Vous racontez n’importe quoi, dit-elle, voilà Monique Larovitz qui part en courses.

CHAPITRE VII

Il tourna la tête, pas autrement ému, et suivit la silhouette menue.

— Sans ses enfants je vous fais remarquer.

— Ils sont à l’école, non ?

— Un mercredi ?

Elle leva les yeux vers l’appartement des Larovitz, mais une seule fenêtre était ouverte. Les enfants dormaient dans la chambre qui faisait l’angle.

— Elle sort parce qu’ils restent.

— Ils sont retenus en otages, peut-être !

— Non. Je ne pense pas. Moi, j’ai l’impression qu’ils s’arrangent pour qu’il y ait le moins de monde possible à l’extérieur. Faites le compte pour aujourd’hui. Roques, légumes et fruits, est à son boulot mais sa femme dans son troisième. Troisième également Caducci, le couple au complet. Elle ne travaillera que vers midi. Chez les Arbas, la femme est dehors mais lui est là-dedans. On peut considérer que Roques est aussi dans la maison, n’est-ce pas ?

Bossi ne lui avait donné aucune directive précise dans le fond, même pas un rendez-vous. Une poignée de fric.

Elle aurait pu filer avec. Pourquoi cette confiance ? Peut-être qu’elle était discrètement surveillée.

— Je vous en prie, Alice, aidez-moi à aller plus loin. Je serai d’une discrétion vraiment exemplaire, je vous le promets. Et vous pourrez compter sur moi pour participer au ménage. Je fais bien la cuisine, une vaisselle ne m’effraie jamais.

Elle but une autre gorgée. Déjà, le parfum du cognac disparaissait et elle avait besoin de le sentir dans sa bouche puis dans tout son corps. Elle eut un sourire un peu niais qu’il dut prendre pour de la gentillesse.

— Vous ne pouvez pas refuser. Un mois. Combien payez-vous de loyer ? Je donnerai la moitié. Pas plus d’un mois, je vous le jure.

Elle ouvrit son sac et vit les billets en vrac. C’était rassurant. Elle aurait aimé qu’il les voie aussi, qu’il comprenne qu’elle n’avait pas besoin de fric pour le moment. Et puis elle voulait être seule.

— Il faut que je rentre, dit-elle.

— Mais vous n’avez pas répondu… Je serai là toute la journée si vous changez d’avis.

— N’espérez pas, dit-elle.

— Quand commencez-vous le boulot ?

— Bientôt.

Elle régla au comptoir et retourna à sa place pour y prendre ses cigarettes. Il levait vers elle sa tête un peu trop longue. Des tas de garçons avaient ce visage désormais.

Dans le style de certains chanteurs.

— Ne faites pas cette tête, dit-elle.

Roques lui sourit quand elle entra dans le magasin et choisit des oranges, une salade et des pommes.

— Vous savez pour hier au soir…

— Je n’ai pas de rancune, dit-elle. Je pensais offrir un pot aujourd’hui mais je pense que samedi ce sera mieux non ?

— Peut-être…, fit-il évasif.

— Mais j’y tiens… Ce sera sympathique, non ?

— Vous connaissez ce garçon auquel vous parliez ? Il est journaliste… Il va essayer de vous faire parler des Sanchez. Ils ne peuvent pas leur ficher la paix. Ils sont morts, enterrés et ils n’aimeraient pas qu’on les traite ainsi.

Elle hocha la tête et emporta ses provisions, eut du mal à ouvrir la porte à cause de ses mains encombrées et monta chez elle. Elle rangea fébrilement la bouteille de cognac toujours visible, croqua dans une pomme, alla jeter un coup d’oeil à la fenêtre. Elle pouvait voir Manuel Mothe dans le bar. Il avait simplement changé de place, pris la sienne pour surveiller le Bunker. Elle haussa les épaules, songea à la cour qui se trouvait derrière l’immeuble. Il fallait ouvrir la fenêtre de la chambre des Sanchez pour plonger à l’intérieur. Elle n’avait rien de particulier, servait de garage à des vélos, une moto, différentes choses. En face elle découvrait la fenêtre des Larovitz…

Une sonnerie retentit et ce n’était pas celle de la porte ni celle d’un téléphone puisque les Sanchez n’en possédaient pas. Elle venait pourtant de la porte, d’un petit placard tapissé comme le reste du vestibule. C’était le concierge électronique. Elle appuya sur un bouton, entendit quelqu’un siffloter.

— Oui, qui est-ce ?

— Manuel Mothe ; vous m’ouvrez ?

— Je suis occupée maintenant… Que voulez-vous ?

— Juste une petite visite.

« Quel emmerdeur » pensa-t-elle. Il allait tout gâcher avec les voisins et Bossi serait furieux. Ça ne lui avait pas suffi de se faire virer de son journal ?

— Écoutez-moi, dit-elle, je n’ai pas besoin d’être compromise… Je ne suis pas tout à fait divorcée et mon mari cherche toutes les occasions de me faire prendre en flagrant délit. Alors vous me foutez la paix, pas vrai, vous serez très chouette…

— Je ne vous crois pas. Vous ne seriez pas journaliste vous aussi ? D’un grand journal ou d’un hebdo ?

Elle coupa la communication et retourna dans la cuisine, ouvrit le meuble suspendu pour prendre la bouteille de cognac et s’en octroya une gorgée. Horrible après celui du bistrot mais elle savait qu’elle en reprendrait. Par gorgées mesurées elle pouvait réduire sa consommation de moitié. Le pire c’étaient les bistrots.