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Et s’il n’y avait pas eu celui d’en face jamais elle n’aurait osé venir dans le Bunker. C’était un peu comme un foyer dans un théâtre. On y oubliait la comédie ou la tragédie pour renouer avec la réalité.

Au bout d’un moment elle comprit que la solution n’était pas de s’enfermer dans cet appartement à attendre Dieu savait quoi. Elle devait agir, provoquer les rencontres. Mais on n’allait pas chez les gens à neuf heures et quelque du matin.

À tout hasard elle faillit aller sonner chez la voisine de palier mais craignit que les gosses ne soient réveillés par la sonnerie et ne crient. Elle décida de grimper chez les Arbas. Se souvint que la femme travaillait à plein temps et qu’il prendrait sa visite comme une invite. Pas question d’embrouiller encore plus sa vie avec ce genre de type. Depuis que son mari ne faisait plus partie de sa vie elle était enfin débarrassée des trois-pièces fil-à-fil.

Elle referma sa porte, s’appuya contre, désemparée.

Il y avait encore combien de fric dans son sac ? Quatre mille quatre. Elle pouvait ramener ça à Bossi, promettre que dès que possible elle rembourserait régulièrement.

Puis en route vers sa piaule minable. Elle garderait juste de quoi se payer une chouette bouteille de fine Champagne, irait la picoler tranquille chez elle. Ivre morte, overdose alcoolique mais pas cette solitude encore pire du Bunker où, à cause du fric, elle n’osait même plus boire un verre.

Elle sortit en coup de vent, fonça vers la mairie et, dix minutes après ce coup de cafard, se trouvait face au gros mou en train de vider son sac. Juste un billet de cent francs glissé dans ses bottillons pour la fine Champagne. Le gros regardait le fric glisser en strates sur sa plaque de verre.

— Manque sept cents francs… Je vous jure que je trouverai à vous rembourser mais c’est pas un travail pour moi. Il faut que vous me compreniez… Je ne suis pas douée… Et puis ça me donne le noir. Ils vivent comme des aliénés dans cette baraque. Ils ont entassé des vivres, du moins les Sanchez, les autres j’ignore, ils surveillent étroitement, ils sortent au compte-gouttes.

— Au compte-gouttes, expliquez, dit le gros mou impassible. (Juste sa bouche béante avec comme de la bave luisante vers la luette.)

— Oui, j’ai constaté. Par exemple ma voisine ne mène jamais ses gosses à l’école et le mercredi elle sort seule puisque les gosses n’ont pas classe et restent dans l’appartement.

— En moins de vingt-quatre heures vous avez trouvé ça… Vous n’avez pas perdu votre temps, dites.

— Ce n’était pas le plus difficile… Mais le plus terrible c’est d’attendre dans l’appartement, d’écouter… De rester disponible en cas de visite ou de fait singulier. Je suis comme un sous-marin dans une mare aux canards, vous comprenez… Je me transforme en voyeur, en écouteur et pour quoi faire ?

— Vous n’allez pas vous dégonfler, dit le gros, pas si vite. Vous le voulez ce poste, oui ?

— Vous ne me le donnerez pas. Je n’ai rien moi, même pas une promesse écrite, même pas un bail pour l’appartement et je ne me souvenais même pas du nom du vieux dans sa résidence-club.

— Qui vous l’a demandé, le nom de Cambrier ?

— Deux… Ils étaient deux hier soir et j’ai déconné… Je crois que je me suis compromise, monsieur Bossi. Vous ne pouvez pas me faire confiance. Prenez le fric et je vous jure que dès que possible je vous paierai ce que j’ai dû dépenser mais je ne pouvais pas faire autrement…

— Qui étaient ces deux hommes ?

— Le marchand de légumes, le cadre au chômage…

Arbas.

— Ils sont venus vous voir ?

— Entrés comme chez eux, oui, avec une clé.

— Comment se fait-il ? Vous devez exiger qu’ils vous rendent cette clé.

— Exiger ? Fit-elle catastrophée. Mais vous n’avez pas compris que je démissionne, que le fric est là, que je ne veux plus aller dans le Bunker… Non, écoutez, il y a certainement des gens…

— Vous vous ferez rendre cette clé sinon les flics sauront qu’ils pouvaient entrer chez les Sanchez, vous comprenez ?

— Monsieur Bossi, sanglota-t-elle… Je suis malade, je veux essayer de me faire hospitaliser. Vous ne savez pas mais je picole dur et pour des riens. Vous n’avez pas trouvé celle qui convenait, monsieur Bossi.

Il regroupait les billets avec précision et les lui tendait :

— Vous préférez racoler au centre commercial ?

Retournez là-bas sinon vous aurez des ennuis encore plus sérieux.

CHAPITRE VIII

Elle essayait de retrouver son chemin, ne voyait rien autour d’elle, faillit traverser comme un bus arrivait à fond, se sentit tirée en arrière.

— Vous voulez vous suicider vous aussi, comme les Sanchez ?

Manuel Mothe la tenait fermement par le bras et l’entraînait sur le trottoir.

— Allons sur le port mais nous passerons au feu. Les Sanchez avaient-ils également vu Bossi, monsieur le chef du service social municipal ?

— Vous me suiviez, fit-elle presque émerveillée par sa sottise.

— Je vous ai vue sortir en coup de vent, livide, échevelée et j’ai pensé que je tenais un scoop. Mais le gros Bossi m’intéresse pas mal. Vous travaillez pour lui, pas vrai ? Tout s’éclaire désormais. Le boulot et l’appartement.

— Je suis allée rapporter le fric, dit-elle. Je ne veux plus travailler pour lui.

— Allons boire quelque chose.

Sur la terrasse au soleil aigrelet, elle fut soudain irritée par le regard attentif du garçon.

— Arrêtez de me fixer… Je veux un cognac.

— Deux si vous voulez, trois, dix, cent et vous finirez ivre morte dans un caniveau. Je ne suis pas là pour vous servir de garde-fou. Je veux aller dans le Bunker. Avec moi ce serait peut-être plus supportable, non ? Je veillerai et vous pourrez picoler. De temps en temps je vous filerai un tuyau pour le gros Bossi. Ça ira comme ça, non ?

— Vous êtes un dégueulasse !

— Je sais. Si j’ai voulu vous sauver du bus c’est uniquement pour ça. Un cognac et un Coca s’il vous plaît.

Le serveur repartit et elle essaya de voir où il prenait son cognac mais ne put à cause de la buée aux vitres.

— Vous me faites entrer discrètement, c’est tout ce que je demande. Je vous filerai cinq cents balles comme promis. Ça fait quand même pas mal de cognacs, ça ? On peut faire le coup à deux, non ?

— J’ai démissionné et…

Il prit le sac, l’ouvrit, lui flanqua sous le nez les liasses éparses :

— Et ça ? Déjà ce matin j’avais vu le pactole. Vous avez accepté de continuer, alors autant le faire du mieux possible.

— Je ne peux pas vous faire entrer, ils me surveillent.

Bossi sait tout sur moi.

— Ne soyez pas idiote. Il sait le plus évident mais il ne peut pas vous faire surveiller… À moins, oui le patron du bistrot, Bossi peut lui attirer des merdes avec les heures de fermeture, la clientèle de mineurs qui s’envoie des pastagas… Possible… On prendra des précautions. Vous me filez vos clés et vous allez téléphoner au bistrot. Il devra tourner le dos pour répondre.

— Mais moi ? Il y a Roques.

— Roques est souvent dans son magasin… Vous, vous utiliserez le concierge électronique.

— Je n’ai pas le droit.

Il se leva d’un bond alors que le garçon apportait le cognac et le Coca.

— Vous ne pourrez rien faire seule et vous le savez. Le peu que vous avez appris c’est grâce à moi.