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— Vous ne m’avez pas laissé finir, Hélène…

C’est à ce moment-là que nous avons vu une lumière s’éclairer au premier étage de la maison.

— C’est chez Ève, a-t-elle chuchoté… Pourvu qu’elle ne nous ait pas entendus…

Réalisant que nous étions plantés au beau milieu d’une zone de clarté, elle m’a entraîné sur la gauche, en direction d’une pinède. Une fois dans l’ombre des arbres, nous nous sommes assis sur le sol sableux jonché de vieilles pommes de pins. Un long moment nous avons surveillé la lumière du premier. Elle a fini par s’éteindre et alors nous avons été délivrés d’une vague angoisse.

— Vous disiez ? a enchaîné Hélène…

— Oui… La fameuse nuit, votre voiture est bel et bien sortie malgré vos précautions… Seulement, elle… elle ne m’a pas renversé, Hélène… Il s’est produit autre chose…

— Autre chose ?

Dieu, qu’il était difficile de lui raconter la vérité ! Ce regard clair posé sur moi m’ôtait toute possibilité d’expression.

— Que vous est-il arrivé, Victor ?

— Je me promenais. La voiture a stoppé près de moi… Il y avait, je vous l’ai dit, une femme à l’intérieur, une femme dont je n’ai pas pu voir le visage… Elle m’a prié de monter avec elle, vous… vous comprenez ?

Je me suis tu. Elle a baissé la tête. Sa voix était bizarre lorsqu’elle m’a demandé :

— Et… vous êtes monté ?

J’ai hésité.

— Oui.

J’ai eu peur qu’elle insiste, qu’elle me pousse aux détails, mais au lieu de ça elle a mis sa tête dans ses mains et j’ai senti qu’elle pleurait.

Je lui ai relevé la tête en appuyant du plat de la main sur son front.

— Hélène…

— C’est pour cela que vous êtes venu ici, n’est-ce pas ? Vous espériez retrouver cette fille ?

— Oui, Hélène, mais je voulais la retrouver uniquement pour voir à quoi elle ressemblait dans la vie courante. Je pensais que c’était une folle. Je le pense toujours, du reste…

— Et si j’avais été cette femme, qu’auriez-vous fait ?

— Je ne sais pas… Je suppose que je vous aurais insultée, que j’aurais fait du scandale !

— Alors, tout à l’heure, vous avez cru…

Elle n’était pas indignée, mais désespérée plutôt.

— Mettez-vous à ma place, Hélène… Quand je vous ai vue quitter la maison en vous cachant, vous diriger vers le garage…

— Oui, bien sûr…

— Et déjà tantôt, puisque nous en sommes aux confidences, j’ai eu cette pensée lorsque nous nous sommes trouvés tous deux dans la voiture…

— C’est pour cela que vous vous êtes levé ? Vous me surveilliez ?

— Grand Dieu, non ! Tout comme vous, je n’arrivais pas à m’endormir… J’ai été sollicité par cette belle nuit.

J’ai levé les yeux. À travers les branches aériennes des pins, on voyait un ciel qui avait ensorcelé Van Gogh.

Hélène a regardé aussi. Alors j’ai passé ma main sur son épaule et je l’ai attirée contre moi sans penser que ma poitrine était nue. Au contact de sa joue contre ma peau, elle a eu un sursaut et s’est jetée en arrière.

— Hélène… Je voudrais vous dire…

— Non, taisez-vous…

— Hélène, je crois bien que je vous aime… Tout à l’heure, quand j’ai pensé que vous étiez la folle en question, j’ai failli tomber…

Elle s’était adossée au tronc rêche d’un arbre. Je ne voyais plus son visage. Je me suis agenouillé devant elle et sans qu’elle esquisse un geste de défense j’ai posé mes mains sur ses épaules. Je l’ai sentie trembler.

— Hélène, je vais vous embrasser…

Je me suis penché en avant. Ma bouche a trouvé la sienne dans le noir ; une bouche d’ombre… Je l’ai serrée contre mon torse nu. Alors, sans plus lutter, elle a noué ses bras dans mon dos et quelques instants plus tard nous nous débattions dans le sable comme deux bêtes saoules de désir.

CHAPITRE VI

J’étais étendu, les bras en croix, contemplant de nouveau la nuit étoilée. Hélène avait posé sa tête sur mon ventre. Ses mains serraient mon torse, farouchement.

— Voilà qui va renforcer ton doute au sujet de ma vie nocturne, a-t-elle soupiré.

— Non, Hélène…

Pouvais-je lui dire qu’au contraire, en s’abandonnant, elle m’avait administré la preuve contraire ? Notre étreinte n’avait rien eu de commun avec ce bas accouplement de l’autre nuit. Hélène s’était donnée comme une fille chaste sait se donner : calmement, de tout son corps certes, mais surtout de toute son âme.

Je lui ai caressé les cheveux, et j’ai répété :

— Non, Hélène, je sais que ça n’était pas toi…

Je ne saurais vous dire combien de temps nous sommes restés ainsi rivés l’un à l’autre, jouissant de cette plénitude morale plus que de l’amour lui-même.

— Hélène…

— Oui ?

— Tu m’aimes ?

Lorsqu’un homme pose en pareille circonstance cette question à une femme, vous pouvez être assuré que, neuf fois sur dix, elle lui répond un truc dans le genre de « Aurais-je fait “ça” sinon ? »

Hélène s’est contentée de dire oui. Mais elle l’a bien dit.

Au fond de la pinède, il y avait la voie ferrée. Un train est passé, rompant l’enchantement dans lequel nous flottions.

— Il faudrait peut-être rentrer ? ai-je demandé.

— Ce serait raisonnable, en effet…

Lorsque nous avons été debout, je l’ai embrassée. Ses vêtements étaient chiffonnés et pleins de sable… J’ai senti son corps tiède et vibrant contre le mien et je crois avoir été sur le point de perdre la tête une seconde fois, mais elle s’est écartée de moi.

— Viens…

Elle m’a pris la main pour m’entraîner. Nous avons marché vers la maison. Une petite brise marine s’était levée qui agitait des ombres sur le flanc de la colline.

Avant d’entrer, je l’ai obligée de s’arrêter.

— Hélène, je voudrais te dire quelque chose…

— Moi aussi, Victor…

— Eh bien, dis !

— Non, toi d’abord…

— Hélène, je n’ai jamais été aussi totalement heureux que ce soir. Bon, voilà, à toi, maintenant…

— Je voulais te dire la même chose, Victor.

Nous sommes entrés. Machinalement, le hall étant obscur, elle a actionné le commutateur. Nous nous sommes arrêtés, pétrifiés. Ève se tenait immobile dans son fauteuil, près de l’escalier. Elle nous a considérés et j’ai senti que pas un seul détail de notre équipée ne lui échappait. Elle a vu les brindilles de pin accrochées aux poils de ma poitrine, les vêtements froissés de sa sœur, le sable qui coulait de nos cheveux… Elle a vu nos figures dévastées par l’amour…

Hélène l’a fixée sans faiblir. C’est Ève qui, la première, a détourné le regard.

Elle a hésité, puis, manœuvrant ses roues, elle s’est jetée dans son monte-charge et a tiré le cordon qui l’actionnait. Nous l’avons regardée s’élever lentement. Ses yeux froids allaient d’Hélène à moi, alternativement. Et puis nous n’avons plus aperçu que ses pauvres jambes mortes, et elle a tout à fait disparu.

Hélène a porté une main à son front.

— C’est affreux, a-t-elle balbutié…

Je ne me sentais pas très fier, je vous l’avoue. Déjà, sans le fameux baiser de l’après-midi, cette sorte de flagrant délit eût été terriblement gênant ; mais après ce qui s’était passé entre Ève et moi, il créait ce qu’on appelle une situation sans issue.