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— Dors, ma chérie. Nous reparlerons de tout cela demain…

Nous avons attendu un peu avant de quitter la chambre. Ce n’est que lorsque les hoquets de la jeune fille se sont transformés en soupirs que nous sommes sortis. J’étais en sueur malgré ma tenue légère.

— Merci, a murmuré Hélène. Ça a dû être terrible, n’est-ce pas ?

J’ai haussé les épaules.

— Ça a seulement failli l’être, Hélène.

DEUXIÈME PARTIE

LEURS NUITS…

CHAPITRE VII

Plusieurs jours se sont écoulés sans incident. À la nuit frénétique que nous avions vécue a succédé une période ultra-calme. Hélène et moi nous nous sommes comportés exactement comme des fiancés — du moins comme ceux de la bonne société. Nous avons recommencé à nous vouvoyer et il n’a plus été question d’échanger le moindre baiser. Ève semblait avoir fort bien pris son parti de l’aventure et nous parlait sans cesse de notre prochain mariage. Elle nous y encourageait vivement et j’étais même obligé de freiner ses projets.

— Voyons, Ève, lui disais-je ; vous savez très bien qu’on ne peut parler de ça pour le moment…

Je rougissais en prononçant ces mots, car, pour dire vrai, tout à ma félicité, je ne faisais pas grand-chose pour trouver une situation.

Hélène ne disait rien. De nous trois, c’était la plus nerveuse. Un soir, nous étions dans le patio, comme toujours après le dîner, et la vieille Amélie servait le café. Cette acerbe personne ne me portait pas dans son cœur car je chamboulais les habitudes de la maison. Elle flairait l’aventurier en moi. Dans une certaine mesure, elle n’avait peut-être pas tort.

Comme elle se retirait, Ève m’a attaqué :

— Dites donc, Vic !

Elle s’était mise à m’appeler Vic et moi Éva.

— Dites, Vic, au lieu de vous ronger le sang, avec votre histoire de situation introuvable, pourquoi ne prendriez-vous pas un magasin ?…

J’ai fait la grimace.

— Vous en avez de bonnes !

— Je sais bien que vous n’avez pas d’argent, mais quelle importance ? Nous l’achèterions avec notre fric, Hélène et moi… Et vous, vous l’exploiteriez, ce serait épatant, non ?

Hélène, Intéressée, a eu un mouvement joyeux.

— Ève a raison, Victor, voilà la solution idéale…

— Vous m’avez assez fait la charité comme ça…

— Où voyez-vous de la charité ? C’est une affaire commerciale. Si Hélène et moi nous placions de l’argent dans un commerce, il nous faudrait un gérant. Pour calmer vos scrupules, la boutique serait à notre nom, et nous partagerions les bénéfices… On doit bien pouvoir goupiller un truc de ce genre, Hélène ?

— Sûrement.

— Tu téléphoneras au notaire, demain…

Je les ai stoppées.

— Hé, là…

— Quoi encore ! s’est impatientée Ève.

— Vous oubliez une toute petite chose…

— Laquelle ?

— Je ne connais rien au commerce, moi. Tout ce que je sais faire, c’est noircir du papier avec du blabla discutable… Je ne me sens à vrai dire pas l’âme d’un boutiquier.

— Il y a boutique et boutique, a objecté Hélène. Il n’est pas question de vous faire tenir un débit de vin ou une épicerie fine.

— Quoi alors ?

— Moi je sais…

Ève avait les joues en feu, tellement elle était excitée par le projet.

— Oui ?

— Ce qu’il vous faut, Vic, c’est un très grand magasin de classe. Il y aurait un rayon de disques — surtout de disques made in U.S.A. — ici, avec toutes les boîtes, ça se vend dur !

L’idée n’était pas mauvaise.

— Et puis il y aurait une petite salle réservée à la peinture. Bien lancé, ça marcherait, à condition naturellement de sélectionner des peintres de talent… Vous feriez également le livre d’art… Bref, vous pourriez créer une sorte de chapelle artistique que fréquenteraient les snobs et Dieu sait s’il y en a entre Marseille et Menton !

Du coup, je prenais feu pour ce projet.

— Vous pensez à ce que coûterait une plaisanterie de ce genre ?

Elle s’est tournée vers Hélène.

— Chérie, nous sommes riches, n’est-ce pas ?

Hélène était grave. Elle méditait la question et a mis un moment à répondre.

— Assez pour envisager cela, oui, Ève !

Et on s’y est mis immédiatement. La demeure a été jonchée de plans, d’esquisses, de dessins. Amélie allait ouvrir la grille plusieurs fois par jour, au notaire, aux marchands de fonds, aux architectes…

Je suis rentré en correspondance avec les grosses maisons de disques. Là, mon petit nom m’a servi. On trouvait normal qu’un type ayant eu des émissions à la radio se lance dans cette branche, comme on trouve normal qu’un ancien sportif achète un café lorsqu’il se retire de la compétition.

Hélène et moi avons, dans les semaines qui ont suivi, visité un nombre incalculable de pas de portes… Nous ne les trouvions jamais assez grands. Et puis un jour, à force de chercher, nous avons bien entendu découvert l’oiseau rare : un ancien garage en plein centre de Cannes. Les travaux à faire étaient plus importants que ce que nous avions prévu, mais nous pouvions obtenir des résultats supérieurs à ceux initialement envisagés.

Le magasin de vente devait occuper tout le rez-de-chaussée… Tandis que le premier étage était réservé à la Galerie…

L’achat du local a été rapidement conclu. Tandis que les travaux commençaient je me suis occupé de la publicité. Je me suis rendu à la rédaction des journaux niçois et dans les postes régionaux… SI j’y étais allé pour solliciter un job, ainsi que je l’avais prévu en arrivant sur la Côte, on m’aurait sans aucun doute envoyé paître… Mais du moment que je me présentais en grossium, on trouvait mon initiative intéressante. J’ai promis des prix de faveur à ces messieurs, moyennant quoi, ils ont annoncé l’ouverture de « La Boîte aux Rêves » (c’était la raison sociale choisie par Ève). Ils ont rappelé mon activité antérieure, ont célébré mon talent… Certains ont même cru devoir publier ma photographie à la rubrique artistique.

J’ai vu des gens influents qui m’ont présenté à Picasso, d’autres m’ont emmené au Cap Ferrat chez Cocteau et j’ai obtenu des deux maîtres la promesse que mon vernissage serait placé sous leur patronage. Bref, je vivais une merveilleuse aventure, d’autant plus merveilleuse que j’avais le sentiment de revenir de loin. Sans les demoiselles Lecain, il y aurait eu pas mal de chances pour que je fusse devenu clochard. Aussi l’amour que je portais à Hélène se doublait-il d’une reconnaissance sans limite. Quant à Ève, je lui savais gré d’avoir surmonté son… coup de foudre. Sa tendre résignation me touchait au plus haut point et maintenant je nourrissais vraiment à son endroit cette solide affection que je lui avais promise la nuit de la « mise au point ».

Au fur et à mesure que je prenais conscience de ma chance, j’y prenais également goût. Je découvrais que la fortune est une chose irremplaçable ici-bas, car elle ouvre les portes les plus hermétiques et vous donne une puissance agréable à manœuvrer… J’avais été bien inspiré en venant sonner à la grille de cette demeure. Le destin, ce jour-là, guidait mes pas. Certes, je me disais que tout cela ne m’appartenait pas, mais cependant, j’en disposais, et dans le fond, le résultat était identique.