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— Je n’hésite pas !

— Que faites-vous alors !

— Je cherche seulement à comprendre. Vous êtes jeune, vous êtes très beau…

— Merci…

— Vous le savez bien, vous avez déjà eu l’occasion de vous rencontrer dans une glace !

Il y avait une sourde rancœur dans la voix.

— Très beau, Victor…

— Vous êtes très belle, Éva…

— Comme un bibelot cassé…

— Je vous ai déjà demandé d’oublier votre infirmité…

— Excusez-moi.

Elle a tapoté les roues de son fauteuil.

— Seulement comme pense-bête on ne fait pas mieux, vous savez !

J’ai souri.

— Alors, d’accord, on se mariera ?

— Quand ?

— Dans quelque temps, il serait plus convenable d’attendre que votre deuil ait cessé.

— Vous croyez sérieusement qu’un deuil peut cesser ?

Il y a eu brusquement des larmes sur ses joues. J’ai tiré mon mouchoir et les ai épongées délicatement. Je ne pouvais pas tout lui dire ! Je préférais lui voir pleurer sa sœur que de lui apprendre à haïr une morte.

CHAPITRE XV

La cérémonie a eu lieu deux mois plus tard dans ce qu’il est convenu d’appeler « la plus stricte intimité ».

Nous sommes allés seuls à l’église et à la mairie où nos témoins ont été réquisitionnés sur place.

Vous dire que dans l’intervalle je n’ai pas été tenté de ficher le camp serait vous mentir. Combien de fois ne me suis-je pas rabâché les mêmes mots : « Tu es jeune, Victor, tu es beau… Tu ne vas pas t’enchaîner à une infirme ! ».

« C’est de la folie ! Tu n’as pas le droit de faire ça ! Le mariage, c’est autre chose qu’une bonne action. C’est fait pour sanctifier un amour, pour lui donner un prolongement… Comment peux-tu accepter la stérilité d’une pareille union ! »

Plusieurs fois, la nuit, j’ai bouclé mes valises et ouvert la porte de ma chambre… Pourtant, à la dernière minute, quelque chose me retenait… Et ce n’était jamais la même chose… Tantôt je restais parce que les grillons aiguisaient leurs élytres dans le thym de la colline ; tantôt parce que le vent faisait crier les ferrures du portique… Ou bien, simplement, à cause de ce profond soupir qu’exhalait la maison endormie…

À la fin, j’ai compris qu’il était vain de s’insurger.

* * *

En regagnant la propriété, au volant de la voiture, je surveillais « ma femme » du coin de l’œil. Elle se tenait bien droite à mes côtés, soucieuse de ne pas perdre l’équilibre dans les virages. Un sourire heureux l’embellissait encore.

J’en voulais à la Fatalité de l’avoir rendue impotente. Sans cette infirmité, elle eût été la plus belle fille de la Côte d’Azur. Je l’imaginais en maillot de bain, courant sur la plage…

Maintenant que nous étions mariés, j’éprouvais un gros soulagement. Le plus dur, lorsqu’on prend une décision de cette importance, c’est la période précédant l’exécution… Ensuite, on est devant le fait accompli et tout devient extrêmement simple. Bon, j’étais marié à une belle infirme… J’acceptais…

Cette fille, je l’avais soustraite à la mort au péril de ma vie. Je ne pouvais pas faire autrement que de la garder pour moi !

On est lié aux gens qu’on sauve. Donner la vie ou la conserver sont des actes incalculables qui soudent les individus.

La grille était restée ouverte. Je l’ai franchie en souplesse et j’ai remonté l’allée principale jusqu’au perron. Puis je suis descendu et j’ai contourné la voiture pour prendre Ève dans mes bras. C’est elle-même qui a ouvert la portière ; je n’ai eu qu’à me pencher pour la saisir. Elle s’est plaquée contre moi. Tandis que je gravissais les marches elle m’a embrassé. Ses lèvres étaient fraîches et son souffle parfumé. Depuis nos fiançailles, c’était le premier baiser que nous échangions. Ce contact charnel m’a fait songer… au reste.

J’ai eu peur de la nuit qui se préparait.

* * *

Elle est venue pourtant, cruelle et angoissante. Amélie, qui subissait nos caprices sons réagir, vaincue semblait-il par ces extravagances, est montée se coucher et nous sommes restés en tête à tête dans la grande maison silencieuse.

Ève m’a souri. Elle était très émue, mais moins que moi cependant, je puis vous l’assurer. Je ne souhaite à aucun homme de se trouver dans une pareille situation.

— Eh bien, faisons comme cette digne personne, ai-je murmuré ; nous avons droit au repos, nous aussi, n’est-ce pas, ma chérie…

Elle n’a rien répondu. Elle est allée se placer dans son ascenseur. Comme il n’y avait pas de place pour deux, moi j’ai gravi l’escalier et je suis arrivé au premier avant elle.

Devant la porte de sa chambre (réparée depuis belle lurette), je me suis arrêté. Jamais mon envie de fuir n’avait été aussi impérieuse.

J’ai songé :

« Plus que cette minute, Victor, et ce sera fini… »

Elle a poussé la porte avec le repose-pieds du fauteuil ; elle est entrée, a actionné la lumière…

— Victor !

C’était moi le paralytique. Mes jambes de plomb me refusaient tout service…

Sa voix fraîche a retenti de nouveau.

— Victor !

Je suis entré.

Elle avait rangé son fauteuil contre le lit, ainsi qu’elle le faisait chaque soir pour procéder à son coucher. Deux taches de vermillon enflammaient ses pommettes.

— Vous n’osez pas entrer dans la chambre nuptiale, a-t-elle ricané.

— Je vous en prie, Ève !

— Oh ! vous pouvez me tutoyer, je suis votre femme…

— Ève !

— Je vous fais peur, n’est-ce pas ? Vous redoutez de consommer notre union, pour employer le langage officiel.

— Ève, ne trouvez-vous pas stupide que deux êtres, parce qu’ils ont répondu oui à la question d’un magistrat municipal, soient jetés brusquement dans le même lit ?

— C’est ainsi depuis bien longtemps, Victor… Mais là n’est pas la question ; ayez la franchise d’avouer votre répulsion, elle se lit dans vos yeux… Vous seriez incapable de posséder l’infirme que je suis, n’est-ce pas ?

Je restais debout contre le chambranle de la porte, terrifié par cette scène. Elle disait vrai : toute étreinte avec elle m’aurait été impossible. Pourtant je l’avais épousée. Ce faisant, n’avais-je pas perpétré un forfait plutôt qu’un noble sacrifice ? N’eût-il pas mieux valu la laisser seule à ses rêves et à son désespoir ?

Elle a dégrafé son corsage. En un tournemain le vêtement de soie s’est trouvé par terre. Elle a alors saisi les brides de sa combinaison et de son soutien-gorge et a tiré brutalement dessus. Un craquement s’est produit ; les brides ont lâché et deux petits seins virginaux me sont apparus.

Ils étaient fermes et tendus ; leurs pointes ocres se dilataient comme des bourgeons.

J’ai détourné les yeux.

— Non, Ève… Ne faites pas ça… Je… Je vous en supplie…

Je suis sorti de la pièce d’un pas saccadé et j’ai gagné l’escalier, poursuivi par le rire acide d’Ève.

Un peu plus tard, je l’ai entendue sangloter.

* * *

Comme chaque fois que je suis énervé, je me suis endormi au matin. Ève était depuis un bon moment déjà dans le living lorsque je suis descendu.

Elle paraissait calme et détendue.

— Bien dormi, mon chéri ?