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J’ai haussé les épaules.

— Écoutez, Ève, nous allons parler…

— Bien sûr, « ça » nous le pouvons… Amélie qui m’apportait mon plateau m’a obligé d’interrompre le dialogue. Elle savait que nous n’avions pas couché dans la même chambre et cette découverte la ravissait.

Elle m’a souri.

— Vous avez passé une bonne nuit, Monsieur Menda ?

— Excellente, Amélie… Je vous ai à peine entendue ronfler !

Choquée, elle est repartie à son aspirateur.

— Menda, a récité Ève… Je m’appelle Madame Menda… Madame Victor Menda… C’est un joli nom… Vous êtes d’origine italienne ?

— Je n’en sais rien et je m’en moque. Ève, il faut que vous sachiez que… que cet état de chose est temporaire… Comprenez que j’ai besoin de…

Pourquoi m’étais-je embarqué dans ces fumeuses explications ! Il n’y avait rien à expliquer.

— De vous acclimater ?

Elle offrait son vilain visage de petite fille capricieuse qui voulait régner sur la maison.

— Peut-être, en effet !

— Mais prenez votre temps, mon chéri, n’avons-nous pas toute la vie devant nous ?

Toute la vie ! J’ai fermé les yeux…

— Et puis, a-t-elle poursuivi, vous m’avez donné votre nom, c’est déjà un très beau cadeau, Vic, d’autant plus, je vous le répète, qu’il me plaît beaucoup !

— N’adoptez pas cette attitude, Ève. Je vous aime et je vous jure bien que vous serez ma femme un jour. Je vous demande en attendant d’être juste !

Je me suis approché d’elle et je l’ai embrassée. Mais elle a gardé les lèvres serrées et j’ai cru un moment qu’elle allait me cracher mon baiser au visage.

* * *

À la mort d’Hélène nous avions fait stopper les travaux de « la Boîte aux Rêves » en attendant que fussent réglées les histoires de succession. Mais ils avaient repris quelques jours avant notre mariage et maintenant il ne restait plus qu’à laisser sécher les peintures avant de recevoir le stock…

J’avais beaucoup de démarches à faire. Celles-ci vinrent me soustraire à la torpeur de la maison. Je me calmai les nerfs en me jetant à corps perdu dans les soucis commerciaux.

Je ne me rassasiais pas de notre Galerie. C’était notre œuvre à Ève et à moi ; oui nous avions réussi tout de même quelque chose ensemble.

J’arpentais le local vide en humant l’odeur obsédante de la peinture et du bois frais. Il me rassurait me parlait de l’avenir…

Je lui consacrerais ma foi et ma santé. J’en ferais une affaire prospère et utile… Je m’abîmerais dans le travail parce que c’est l’unique évasion réelle des hommes.

Lorsque je rentrais le soir j’étais heureux de retrouver ma femme. J’aimais son intelligence, sa vivacité…

Le souvenir funeste d’Hélène planait encore, mais très haut, comme les corbeaux au printemps. Ç’avait été mon ange noir…

Qui n’a pas le sien ?

CHAPITRE XVI

Et voici le moment venu pour moi de vous parler de la dernière nuit.

* * *

Ce soir-là, j’étais rentré du magasin incommodé par les remugles d’essence qui y flottait. Je prolongeais trop mes séjours à « La Boîte aux Rêves ». Mon écœurement était tel que je ne me mis pas à table pour dîner… Très tôt, je souhaitai le bonsoir à Ève et j’allai me coucher. Je trouvai une position commode dans mon lit et parvins rapidement à m’endormir. Seulement, dans le courant de la nuit, mon malaise changea de forme. Je me mis à souffrir de tiraillements d’estomac qui m’éveillèrent. Je savais que je ne pourrais jamais me rendormir si je ne m’alimentais pas un peu, la faim étant chez moi l’antidote du sommeil. Je me levais donc et, faisant le moins de bruit possible, je descendis à l’office pour visiter le frigidaire.

Cela m’était arrivé déjà à plusieurs reprises et je trouvais agréable ces repas solitaires, pris avec les doigts.

Je mis une solide tranche de rosbif entre deux biscottes et me versai un grand verre de vin rouge… Je portai le tout dans le patio pour déguster confortablement ma collation…

Il faisait doux. En grignotant mon sandwich, j’appréciais le charme de cette belle nuit de fin d’été. La chaleur déclinait et l’on respirait mieux.

Quand j’eus fini de manger, je restai un bon moment dans le noir, le front alourdi de sommeil. J’étais bien… Combien de temps ai-je flotté ainsi sur ma chaise longue, comme sur l’un de ces nuages roses dont je parlais autrefois à Ève ? Je ne puis le préciser… L’horloge du hall égrenait des coups que je ne comptais même pas…

Soudain, un craquement m’a fait frémir… J’ai cru tout de suite qu’il s’agissait d’un de ces bruits indéfinissables dont les grandes maisons résonnent. Je me suis penché en avant. Mon ouïe survoltée percevait des frémissements confus.

Le bruit a recommencé. Cette fois, j’étais certain qu’il provenait de l’escalier.

Des marches craquaient…

Je me suis levé, j’ai ôté mes Spartiates et, nu-pieds, me suis avancé dans l’ombre épaisse du hall.

Je ne m’étais pas trompé, il s’agissait bien des marches. Je me suis emparé d’un chandelier de cuivre posé sur une console, je l’ai assuré dans ma main droite et, de la gauche, j’ai cherché le commutateur.

Un flot de lumière a jailli. J’ai plissé les paupières et mon chandelier m’est tombé de la main.

Au milieu de l’escalier, il y avait Ève… Une Ève inconnue, dont le regard brillait… Une Ève très à son aise sur ses jambes. Une Ève vêtue d’une robe blanche boutonnée par-devant et coiffée d’un foulard en pointe.

J’ai saisi la rampe de bois et j’ai posé mon menton sur ma main. Le trou qui venait de se creuser dans ma poitrine était plus grand que celui qui avait causé la mort d’Hélène…

Quand j’ai eu la force de relever la tête, elle n’était plus là. La porte de sa chambre a claqué. Je me suis précipité dans l’escalier… Elle avait tiré le verrou, mais cette porte n’avait pas de chance avec moi. D’un nouveau coup d’épaule je l’ai disloquée.

Ève s’était réfugiée dans son fauteuil, comme si celui-ci avait eu le pouvoir de la protéger, comme si, entre ses bras elle était hors d’atteinte…

J’ai comprimé à deux mains les battements fous de mon cœur.

— Alors, c’était donc toi, la putain !

Mes dents s’entrechoquaient comme si j’avais été enfermé dans une chambre froide.

Je ne pouvais que bégayer :

— C’est donc toi… C’est donc toi !

Et pourtant, je pensais mille choses à la fois. Je pensais que cette petite garce blonde avait dupé tout le monde pendant des années. Elle avait fait perdre la raison à sa sœur… Elle avait saccagé ma vie… Oui, je venais d’épouser une roulure, une névrosée !

Je la regardais éperdument, et je la revoyais dans l’auto, au bord de la mer… Comment n’avais-je pas reconnu ses seins, sa bouche, son odeur de garce ? Et dire que depuis plusieurs jours qu’elle était ma femme, je ne l’avais pas touchée… Alors que je l’avais prise comme un soudard sur la banquette de sa voiture…

Elle se faisait toute petite dans sa chaise.

— C’est donc toi ! C’est donc toi !

J’ai fait un pas en avant. Avec sa prestesse coutumière, elle a fait tourner le fauteuil pour m’empêcher de la coincer contre le mur. Elle se trouvait maintenant, dos à la porte béante. Un nouveau geste et elle a été dans le couloir.