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Une fois sortis du St Stephens Hospital, je me sens ragaillardi par la brise qui bouscule des nuages en direction de la chère France, si proche et pourtant si lointaine.

— Boitille the pogrome ? demande le Gros qui a toujours été doué pour les langues (principalement pour la langue de bœuf).

— Une première mise au point à faire, mon pote…

— Tu pourrais m’affranchir sur tes avares-rots d’hier, hargnit Bérurier. Dans ton circus, tout ce que je vois c’est que je fais tintin pour mes vacances et que je risque de me chicorner avec les archers de scotch and lard. Jusqu’à présent, j’ai eu que des emmouscailleries de première…

Je pousse Béru dans un taxi auquel je lance l’adresse de la dame Ferguson et tandis que le bahut fonce à travers un Londres vidé par le dimanche, je fais à mon ami la relation des derniers événements. Il m’écoute et paraît s’endormir. Mais à son souffle, je sens qu’il reste lucide, mieux : en éveil. L’est en train de phosphorer sec, le Mammouth.

— Pourquoi elle aurait berluré la poulaille, ta vieille cigogne, selon toi ?

— Franchement, je ne vois pas, dis-je. Je crois m’y connaître en individus, et je peux te jurer que cette brave bonne femme était pure comme l’or.

— Elle t’a tout de même joué un vilain tour, mon pote, comme quoi, les gonzesses, qu’elles aient un panard dans la tombe ou bien qu’elles sortassent tout juste de leur coquille, c’est qu’un régiment de salopes.

Sur ces fortes paroles dont la misogynie, je pense, n’échappera à personne, le Gravos reprend le cours solennel de ses pensées.

— J’ai été bien aspiré d’aller au Hilton où que j’te savais descendu. J’ai d’abord demandé le numéro de ta piaule. Ensuite j’ai attendu que le concierge s’absentasse, et puis, au flanc, je sus été réclamer ta clé à son remplaçant. J’ai bien dormi malgré que ta chambre soye près des ascenseurs.

D’évoquer le sommeil le fait dormir. C’est un boa, Béru. Je lui flanque une bourrade à lui fêler les cerceaux !

— Hé, reste avec moi, Grosse Tarte à la Choucroute ! Aide-moi plutôt à y voir clair. Où a-t-il planqué son butin, Huret ? Tu pourrais enfanter une idée cohérente sur la question avec ton énorme tronche de bison méningé ?

Sa Majesté hoche la tête (ordinairement je dirais qu’il branle le chef, mais comme je suis son chef, ça prêterait à confusion… de ma part).

— Tu veux mon avis ? s’empresse le Gros.

— Je l’implore !

Pépère, quand on le presse et qu’il n’a aucune idée, il dit n’importe quoi. Or, c’est ce n’importe quoi qui se révèle pertinent, bien des fois. Le réflexe animal est plus sûr que la méditation humaine. Quand la terre va trembler, les bêtes se barrent pendant que les hommes se demandent si la sourde rumeur qu’on entend provient d’un orage ou d’un égout bouché.

— Les choses sont bien plus simples que t’imagines. Qui te dit que Huret a volé pour lui ? À travers ce qu’on sait de lui, tout porte à croire qu’il a obéi à quéqu’un, exaquete ?

— Je le pense aussi, Gros, conviens-je, satisfait par nos concomitances de pensée.

Stimulé, le Dodu poursuit.

— S’il a agi pour quelqu’un, le quelqu’un en question s’intéressait à des documents, pas à des valeurs ordinaires…

— Toujours conforme, Alexandre-Benoît. Continue, tu m’intéresses.

L’Obèse (moi vite) ne se fait pas prier.

— Pourquoi le fameux quelqu’un que j’te présume aurait-il pris le risque de laisser filocher cette patate en Angleterre avec les documents, hé, Burnenfête ? Une pauv’ nouillasse telle qu’Huret était appelée à se faire alpaguer à bréviaire déchéance.

Évidemment.

— Mets-toi à la place du gus qui embauche Huret pour le petit escamotage, il a qu’une hâte : se faire cloquer les documents au déboulé de la banque. En tout et tas de causes, ton minus a virgulé la came intéressante à son… employeur quelques minutes seulement après l’avoir secouée. Tout le reste, c’est du cinoche pour cacher la merde au chat.

— Hum… Tout de même, protesté-je sans grande conviction.

Ma réticence, bien que mollassonne, banderille l’humeur du Gravos.

— Quoi, tout de même ! Faut toujours que tu ergotes, nom d’Dieu. Les faits causent ! J’m’contente de les traduire en bon français. T’es là qui contristes parce que t’as pas trouvé une ombre de document sur Huret. Et tu renaudes quand je t’assure qu’il les a laissés à Pantruche, faut savoir ce que t’espères.

Le taxi freine dans la rue de l’aimable madame Ferguson et stoppe en douceur devant sa petite maison.

— It is ici ? demande l’imposant.

— Yes, Béni. Nous allons avoir le fin mot de l’histoire, du moins en ce qui concerne le mensonge de la vioque.

Je demande au driveur de nous attendre, car les stations sont rarissimes dans le secteur, et je sonne.

Elle a rebecté ses frisettes vu qu’on est dimanche. Y’a des vieillardes, j’sais pas où elles vont pêcher leur parfum, franchement. À croire qu’elles l’ont conservé depuis leur jeunesse dans des bonbonnes pour être certaines de n’en pas changer et qu’il s’est éventé au fil des décades pour devenir autre chose d’un peu triste, d’aussi fané qu’elles, d’émouvant.

Celui de l’hôtesse à Huret évoque des photos jaunies, des armoires cirées pleines de dentelles empilées, des hardes auxquelles on ne touchera plus jamais.

Elle trouve la force de sourire en m’apercevant sur son perron, bien qu’on m’ait appréhendé la veille en sa présence.

— Oh ! c’est vous, jeune homme ! cuicuite-t-elle, façon perruche folâtre, de celles qu’ont une huppe sur la tronche. Cela s’est donc arrangé avec ces messieurs de Scotland-Yard ?

Elle en est ravie, la vieille chérie. Elle en gazouille d’allégresse.

— En effet, cela s’est arrangé, et, à ce propos, j’aurais deux mots à vous dire, Mrs. Ferguson.

— Entrez ! Vous permettez que je sorte mon apple-pie du four, à l’odeur, je sens qu’elle est à point.

La voici qui plonge dans sa cuisine. Une cuisine qui n’est pas pareille à la nôtre, mais qui pourtant m’y fait songer très fort, au point qu’une discrète émotion me met du vague à l’âme. Mince, on était peinards dans notre pavillon, l’autre soir, m’man et moi. On jouait au scrabble pendant que l’horloge tic-tacait confortablement. Et puis un coup de sonnette a retenti et tout s’est déclenché.

— Elle a une bonne gueule c’te tarte ! apprécie le Gros en louchant sur l’odorante pâtisserie déballée du four. Pâte feuilletée, hé ?

La dame ne comprenant point, il essaie de lui expliquer :

— It is pâte feuilletée, if I not m’abuse ?

Vaille que vaille ils engagent le dialogue. Moi, pendant ce temps, je contemple la kitchen, toujours troublé par l’atmosphère qui y règne et qui m’évoque celle de Félicie. Pourtant l’odeur n’est pas la même, et les ustensiles diffèrent. La cuisinière d’ici est revêtue de faïence et ressemble à un haut-fourneau en miniature. Je sais : l’impression provient des livres. Félicie aussi possède sa petite bibliothèque dans sa cuisine. Il y en a sur le réfrigérateur et plein une étagère, où le sucrier et le pot à farine servent de presse-bouquins. M’man a ses auteurs à elle qu’elle lit et relit inlassablement. Cronin (La Citadelle tombe en ruine), Pierre Benoît. Myonne, Gyp, Autant en Emporte le Vent lui sert à faire la tare sur sa balance les jours de confiture car il pèse exactement le même poids que son chaudron.