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J’examine les lectures de Mrs. Ferguson. Elle, c’est l’espionnage qui la passionne. Le côté X 69 ne répond plus.

— J’ai l’impression que votre ami aimerait goûter mon apple-pie ? m’interpelle-t-elle. Cela lui ferait-il plaisir d’en manger une portion ?

— Il en salive déjà !

— Vous aussi, vous allez en manger, si, si ! Vous me direz comment vous la trouvez.

D’autorité elle dispose deux assiettes sur sa table et tranche deux quartiers de tourte.

— Allez-y ! invite-t-elle.

— Elle a bon cœur, ta vioque, se réjouit Béru.

Puis, à la dame :

— Saint-Cloud véry moche, madame.

Et il cramponne, non point l’une des deux parts, mais les huit dixièmes du gâteau restant dans lequel il mord à pleines chailles bien qu’il soit brûlant.

— Chère madame, commencé-je, je voudrais…

— Juste une minute ! s’excuse la perruchette, je vais vous servir un verre de Xérès, cela va si admirablement avec l’apple-pie !

Elle sort en trottinant. Moi, vous me connaissez ? Si je réfléchis beaucoup avant d’agir, il m’arrive aussi d’agir sans réfléchir. C’est le cas présentement. En deux coups de pinceaux je me libère de mes godasses et me voilà parti sur les talons à mémère. La brave dame passe dans son salon où trône le portrait de feu Ferguson à l’époque où LES Indes mouraient de faim sous contrôle britannique. Elle va à une desserte vitrée pour y prendre une bouteille sombre et deux verres, pose le tout sur la table et s’approche du téléphone. D’un doigt tremblant, la dabuche compose un numéro.

— Allô ! fait-elle, passez-moi W-H, c’est de la part de F zéro, zéro. Oh ! c’est vous, W-H !

Elle chuchote comme une petite fille qui raconte les robes de sa maman à sa copine pendant la classe, en faisant siffler les syllabes à travers son dentier.

— L’agent français est revenu… Oui, il est ici, faites vite !

Elle raccroche. Lorsqu’elle est de retour dans sa cuistance je m’y trouve déjà, ma tarte à la main et les deux pieds, non pas dans le même sabot, mais dans leur étui respectif.

— Comment la trouvez-vous ? s’inquiète la vieille bougresse.

— Saumâtre ! lui réponds-je.

Elle fronce ses sourcils de lézard.

— Pardon ?

Je lui désigne ma montre.

— J’ai tout entendu grâce à mon Evanesceur de contrôle. « Vous venez d’appeler W-H, n’est-ce pas ? »

Son maquillage précontraint s’écaille sous le coup de l’émotion et un plâtras choit sur le carrelage avec un bruit mat.

— Mais…

— Inutile de nier, F zéro zéro, je suis au courant de tout. Votre conduite constitue une haute trahison pour le Royaume-Désuni et il est probable que vous passerez en Haute-Cour. Vu votre grand âge on ne vous fusillera peut-être pas, encore que…

Je mords dans mon quartier de tarte. Béru, insouciant, vient de becqueter le reste du gâteau avec cette impudence qui n’a d’égal que son appétit.

La mémé porte la main à sa poitrine et se laisse tomber sur une chaise.

— Que dites-vous ! éplore-t-elle.

— La triste vérité. Vous appartenez à une organisation d’espionnage ennemie de l’Angleterre !

— Ciel, mon mari ! égosille la dame.

— Où est-il ?

— Au ciel, justement. Que doit-il penser de moi, là-haut, lui qui était capitaine ?

— Il ne pense pas : il pleure, madame Ferguson. Et les larmes d’un mort sont difficiles à essuyer.

Elle respire mal, par petites goulées étranglées.

— Non, non, pourtant ils m’avaient montré leurs cartes de l’intelligence Service…

— Qui cela, « ils » ? Voulez-vous parler des deux hommes qui m’ont emmené, hier ?

— Oui.

Elle se redresse.

— C’est vous qui mentez ! D’abord vous êtes étranger !

— Vous avez un moyen très simple de savoir si je mens : appelez le Yard, demandez-leur qu’ils contactent l’I.S. et vous verrez votre fameux W-H partir en fumée.

— W-H m’a prévenu qu’il était indépendant de la police officielle !

Je souris à la brave gâtouillette.

— Comme si des services de cet importance pouvaient s’ignorer ! L’Intelligence-Service et Scotland Yard : les deux mamelles de l’Angleterre ! Êtes-vous retombée en enfance, madame Ferguson ? Ce serait dommage pour quelqu’un sachant confectionner d’aussi savoureuses apple-pies.

— Mais alors ? fait-elle en secouant ses mistifrisis.

— Alors il est grand temps de vous ressaisir, madame Ferguson.

— Les v’là ! annonce Béru, l’œil collé au judas de la porte.

— Tout le monde en place ! fais-je.

Ayant dit, je tourne le bouton de la radio de manière à faire fonctionner celle-ci à plein régime. Au poil : je tombe pile (bien qu’il ne s’agisse pas d’un transistor) sur du Wagner. Le Wagner, ses cuivres, ses instruments à percussion ! L’idéal dans de pareilles circonstances.

— Vous avez bien compris ? fais-je à la perruche.

Elle acquiesce.

— C’est votre seule chance de vous réhabiliter, soufflé-je, songez à la mémoire de votre mari !

Béru m’a rejoint dans la cuisine dont nous laissons la porte entrebâillée. J’assure dans ma main moite le rouleau à pâte de mémère. Le Gros s’est contenté de retrousser sa manche droite. La vieille ouvre.

— Oh ! ce bon docteur Schmoll ! s’écrie-t-elle avec une magnifique fausse ingénuité. Quel hasard !

Puis bas, comme je lui ai indiqué :

— Il est de nouveau en haut !

— Je passais voir où en étaient vos rhumatismes, madame Ferguson, annonce le grêlé en déguisant sa voix.

Il y a un fauteuil dans le couloir. Une grande cathèdre plus gothique (comme son nom l’indique) que la cathédrale de Chartres. Intentionnellement, j’ai déplacé le monumental siège pour qu’il obstrue le couloir. Une peau de chamois négligemment posée sur l’accoudoir donne l’impression que sa propriétaire était en train de l’encaustiquer lors du coup de sonnette. Le grêlé et son camarade passent devant la porte de la cuisine. Les voilà coincés. En cas de fausses manœuvres de notre part, ils ne pourront pas s’élancer vers l’étage.

— Laisse-moi le plus gros, chuchote Béru.

On se précipite.

Madoué ! La promptitude du grêlé ! Franchement, c’est du grand art. Je ne pensais pas que quelqu’un soit capable de dégainer plus vite que moi, mais ma proverbiale modestie me force à reconnaître qu’il m’est supérieur dans ce domaine.

On n’est pas plutôt dans le vestibule qu’il s’est déjà retourné, rapière en main. Seulement, un mec qui ne manque pas de réflexes, ladies and gentlemen, c’est bien Votre San-A. bien-aimé. J’avais le rouleau à pâte brandi, comprenez-vous. Si bien qu’il me reste un tout petit bout de geste à exécuter pour le lui propulser dans la margoulette. Le claquement de son pétard paraît ponctuer l’arrivée du rouleau de bois entre ses yeux. J’sais pas si vous avez déjà eu en main un rouleau à pâte anglais, mes amis ? Sinon, je puis vous expliquer que là-bas, on les fait en buis massif et qu’ils pèsent lourd. Faut dire qu’après la jarretière de la reine, c’est quasiment l’emblème du pays.

Ce penalty que je lui manque dans la lucarne, mes chers aïeux !