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Il me fait marrer ! Négrier, va !

— Un instant, fais-je. Vous permettez ?

Toujours déconcertant, le San-A. Au moment le plus crucial, il tire son chéquier et remplit une formule à la volée. Jamais chèque de douze millions d’A.F. ne fut rédigé en moins de temps. J’arrache le feuillet, le plie en deux, et d’un geste péremptoire, je le coule dans la poche supérieure de mon « employeur ».

— Voilà votre osier, Basteville. À présent on va pouvoir s’expliquer sans arrière-pensée : il n’y a plus de fric poisseux entre nous.

Ayant déclaré, je lui file une paire de tartes qu’un maître-pâtissier envierait.

— Ça, ce sont les intérêts, pour vous remercier de m’avoir chambré comme un enfant de chœur.

— Commissaire ! il s’écrie.

Je lui en remets une tournée, manière de le faire taire et de bien poser ma supériorité stratégique.

— À table ! aboyé-je, le poulet est servi ! S’il faut vous défoncer le portrait à coups de talons, je suis prêt à le faire, Basteville. En faisant appel à moi, vous n’avez pas engagé un larbin policier, mais lancé un boomerang qui, sa trajectoire accomplie, vous revient dans les naseaux ! Parlez !

— Naturellement qu’il va parler ! dit une voix.

Faut que je vous précise, vu votre couennerie congénitale : tout à sa surprise de recevoir son pote au milieu de la noye, Huret l’Ancien n’a pas relourdé en plein, ce qui permet à des gens de faire irruption. Ils sont cinq. Au début, la pénombre jouant, je crois qu’il s’agit de cinq hommes. Mais je suis vite détrompé, il y a là, en réalité, un homme et quatre femmes. Mes quatre diablesses de l’autre nuit ! Parfaitement ! Elles portent des tailleurs pantalons noirs qui escamotent un peu leurs formes délicates. Elles ont toutes les cheveux tirés et noués derrière la tête par un gros ruban noir. On dirait qu’elles vont exécuter un numéro de music-hall. Le type qui les escorte accentue encore cette impression. Imaginez un sexagénaire d’au moins deux mètres de haut, gros, athlétique ! Il porte un collier de barbe rousse, probablement teinte et, tenez-vous bien : un monocle ! À notre époque, je vous demande un peu ! J’ai hésité à vous préciser le fait. Je me suis dit, fumelards comme j’en connais parmi mes lecteurs, ils vont dire que je rétrograde (y en a qui Petrograd). Le monocle, c’est de l’accessoire pour littérature d’avant 14. On n’ose plus ni le porter ni le mentionner dans un livre. Seulement, moi vous me connaissez ? Je suis héroïque dans mon genre. La vérité avant tout ! Pensez ce que vous voudrez, je ferai tout mon devoir de narrateur consciencieux et chiasse pour ceux qui rouscaillent !

Les cinq arrivants ne sont pas venus les mains vides. Les gens normaux viennent en visite avec des chocolats, eux, c’est des dragées qu’ils amènent. Livrées dans des cornets noirs à crosse gaufrée.

— Tiens ! Mes amazones de l’Amazone ! exclamé-je.

Puis, au monoculé (sans vaseline) :

— Monsieur Questulagro, je suppose ?.

Il émet un grognement.

— Heureux de vous rencontrer !

— Comment pourrais-je vous remercier pour votre magnifique hospitalité de l’autre nuit ?

— Zilence ! Che zuis bressé ! fait le milliardaire brésilien.

— Comment, silence ? rigolé-je, après que vous ayez déployé une telle ingéniosité pour me faire parler. Si j’en crois votre présence ici, vous avez su m’arracher du subconscient les pensées les plus secrètes, celles que je ne me formulais même pas en tête à tête !

« Votre erreur, cher Herr Hotick, c’est de n’avoir pas appliqué le même traitement à Georges Huret pendant qu’il en était encore temps. Vous avez trop temporisé. Il est mort avec son secret !

— Vous z’avez mon nom ? s’étonne le milliardaire.

— Le Yard me l’a câblé à bord de l’avion. Vous êtes un ancien nazi allemand naturalisé brésilien. Vous avez même réussi à faire changer votre état civil dans la province du Minas Gerais. Comme vous pouvez le constater, Scotland Yard, s’il n’est plus ce qu’il était, conserve encore de beaux restes.

Le Germano-brésilien sourit. De la pointe de son revolver, lequel (on ne se refuse rien quand on est milliardaire) est pourvu d’un silencieux, il désigne Basteville.

— Lui, c’est donc ce Basteville dont vous parliez beaucoup pendant votre mise en condition[27].

— Tiens, j’ai beaucoup parlé de lui ? C’est donc qu’il me préoccupait fortement. Qu’ai-je dit, à son propos ?

— Des choses très intéressantes.

— Par exemple ? Racontez, je vous en prie, car l’expérience est passionnante. Vous devriez en faire part à la Faculté des Sciences Occultes !

Il hésite, puis, marchant sur le piteux P.D.G. que cette intrusion inquiétante a remis dans les transes sibériennes (il claque des dents), Herr Hotick déclare.

— Vous avez dit : « Selon moi, c’est Basteville qui a organisé le vol. Il était numismate, comme Huret. Ils ont dû bavarder dans la chambre des coffres, se sont découvert la même marotte et se sont plus ou moins liés d’amitié. En exerçant une forte pression sur Huret, grâce à un argument que j’ignore…

— Le voici, coupé-je en montrant le Vieux, prostré, qui suit d’un œil cloaqueux le déroulement des opérations. Basteville avait retrouvé pendant des vacances au Portugal, le père de Huret qu’on avait mal abattu à la Libération et que son fils croyait mort…

— Oh, Ja wohl, je comprends[28].

— Ensuite, qu’ai-je dit encore ?

— La suite je la connaissais, déclare le yachtman (at the right place).

— Mais pas moi, assuré-je, car tout cela stagnait en moi, mais n’avait pas de consistance. Dites donc, ce père Freud, tout de même, c’était quelqu’un, bien qu’il fût Juif, non ? Allez, allez, poursuivez. Ce n’est pas du temps perdu, nous sommes en train de mettre l’affaire à plat, et cela m’évitera de faire pour mes lecteurs une récapitulation toujours fastidieuse lorsqu’elle n’est pas « en situation ».

— Vous avez dit que Otto Buspériférick avait une liste complète des soi-disant criminels de guerre européens encore vivants et disséminés à travers le monde. Il a passé son temps dans la diplomatie à mettre au point ce dossier. Ensuite il a organisé un chantage à l’échelle mondiale.

— Vous devez en savoir quelque chose, n’est-ce pas, senhor Questulagro ?

Il soutient mon regard.

— En effet, j’en sais quelque chose !

— Je gage que si à Télavoche les gars du Shin Bet recevaient de la documentation sur votre passé, vous ne vivriez plus très longtemps. Et je gage également que même votre ex-identité n’est pas la bonne. Her Hotick n’a été qu’une période de votre transmutation en magnat brésilien…

Il hausse les épaules.

— Il serait très dangereux pour vous d’en apprendre davantage, commissaire.

— En effet, j’ai appris avec quelle hâte Otto s’est suicidé lorsqu’il n’a plus été en possession de ses documents !

Mon gigantesque interlocuteur coupe, brutalement, désireux d’abandonner un sujet déplaisant :

— Êtes-vous toujours intéressé par la suite de vos déclarations subconscientes ?

— Passionné ! Qu’ai-je émis encore comme hypothèse ?

— Que celui-ci (il montre Basteville) devait figurer sur la liste de Buspériférick.

« C’est vrai, n’est-ce pas, lance-t-il au P.D.G. que vous appartenez à la vaste confrérie des « criminels » que recherchent les Services secrets israéliens ?

— Oui, c’est vrai ! Vrai ! Vrai ! Vrai !

Ce n’est pas Basteville qui a répondu, mais Huret. Le vieillard a les yeux brillants de haine.

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27

On oublie son accent allemand, hein ? Écrit, il est encore plus c… que parlé.

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28

Là, je mets Ya wohl pour bien vous montrer qu’il est allemand.