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— Pendant l’Occupation, dit-il, il travaillait pour la Gestapo et il a la mort de milliers de Juifs sur la conscience ! Il dirigeait un service de dénonciation qui ne marchait pas mal du tout, n’est-ce pas, Xavier ? Je peux en parler, j’étais sous ses ordres. On te payait combien la tête de youtre, chez les frisés ? C’est comme cela qu’a commencé ta fortune ! Ah, salaud, comment as-tu pu jouer avec les sentiments d’un père et d’un fils pour accomplir je ne sais quelle basse besogne ?

L’homme au monocle claque de la langue avec impatience.

— Terminons-en ! dit-il, le linge sale des autres ne m’intéresse pas. D’après vos dires… hypnotiques, commissaire, Basteville a organisé le pillage des coffres. Il a déclaré que celui de Buspériférick[29] contenait de quoi réhabiliter monsieur Huret père. L’opération fut soigneusement montée. On devait détrousser plusieurs coffres pour ne pas attirer l’attention sur celui du diplomate. En fait, l’opération était simple : Huret plaçait le contenu du coffre d’Otto Buspériférick dans le coffre de Basteville. Après quoi il prenait dans ce dernier les biens que Basteville lui abandonnait.

— Parmi lesquels une pièce rare pour qu’ensuite on puisse prouver que vous, Basteville, aviez bien été une des victimes du voleur, pas vrai ? demandé-je à cette vieille guenille. Parce que, je vais vous dire ce qu’était votre plan. Vous ne pouviez pas vous permettre de laisser ce pauvre bougre en vie après son exploit. Il se serait affalé devant le premier flic venu, à la première gifle reçue. Vous l’avez décidé à vivre quelque temps en Angleterre, une fois son coup fait, pour ne pas risquer d’orienter les recherches sur le Portugal où se terrait son père. En réalité vos préoccupations étaient d’un autre ordre. Vous avez payé un tueur à gages chargé de le liquider en Angleterre. Je suppose qu’il devait descendre là-bas à une adresse précise où votre exécuteur des basses-œuvres allait le « contacter ». Seulement Huret, son coup accompli, s’est méfié de vous. Non seulement il n’a pas mis la fameuse enveloppe jaune dans votre coffre, mais une fois à Londres, il est allé se terrer dans un coin de banlieue. Pourquoi ? Eh bien je suppose qu’il a eu la curiosité d’inventorier le contenu de l’enveloppe, tant était vif son besoin de blanchir son père. Il n’a pas compris au juste à quoi elle se rapportait, d’autant que les textes doivent être rédigés en allemand, mais les noms subsistent dans leur orthographe originelle, fatalement. Il n’y a pas trouvé de Huret, mais par contre, un Xavier Basteville. Alors, toujours guidé par son amour filial, le petit bougre a modifié le plan ourdi préalablement. Il a continué de jouer le jeu à sa façon. La ferveur qui l’animait lui donnait du génie. À Londres il a dû vous téléphoner d’un bureau de poste pour vous exprimer ses doutes et vous mettre en demeure de lui donner satisfaction. Sinon il menaçait de faire du vilain, exact ? Alors vous, mort de frousse, vous avez joué votre va-tout et, continuant de chiquer les victimes, vous vous êtes assuré le concours du meilleur flic français[30] pour tenter de retrouver les documents. Je vous ai donné ma parole que je ne les lirais pas, et puis, ne m’aviez-vous pas payé ?… De plus, à travers votre communication téléphonique avec Huret, vous avez réalisé qu’il ignorait ce que signifiait le contenu de l’enveloppe.

« Je ne sais pas ce que vous lui avez promis pour gagner du temps. Parce que, cet étrange garçon ne se satisfaisait pas de retrouver son père vivant. Non, il voulait surtout lui apporter son honneur sur un plateau. Son honneur !

Je vais à l’évier où le filet de flotte continue de couler avec un murmure rafraîchissant. La tête sous le robico, je bois à longs traits la flotte portugaise. Les autres ressemblent à une fresque du musée Grévin. Titre « La Conspiration ». Ces ravissantes filles en tailleurs-pantalons noir, ce gros monoculé, Basteville, qui a l’air d’un veuf, le pitoyable père Huret… Oui, un groupe insolite, très troublant.

— Votre honneur, dis-je au Vieux. Il n’a vécu que pour ça. Sa vie n’a été qu’une longue prière. Probable qu’il avait un petit rouage de pété, votre garçon, monsieur Huret, mais quel amour filial ! Mon Dieu, mon Dieu : quel prodigieux amour !

— Seulement il est mort ! fait le milliardaire, et nous ignorons ce qu’il a fichu de cette enveloppe ! Vous en avez une idée, vous ? demande-t-il à Basteville.

— Non, répond sèchement le P.D.G., sinon je ne serais pas là.

— Xavier, geint doucement le vieux Huret dont la barbe est emperlée de larmes. Xavier, c’est ta faute si mon fils est mort avec l’infamante étiquette de voleur. Tu as abusé de son amour pour moi et de sa crédulité.

Basteville hausse les épaules dédaigneusement.

— Tu as bonne mine de me faire la morale, vieux fou ! Pour ce que tu t’es occupé de ce petit chéri !

Cette algarade n’est pas du goût du magnat aux walkyries qui écarte Huret d’une bourrade et demande en montrant à Basteville la clé que ses garces m’ont dérobée (après s’être dérobées elles-mêmes).

— Ça vous dit quelque chose, ça ?

Un éclair dans l’œil du sale requin juificide.

— Non, affirme-t-il, rien du tout, où l’avez-vous trouvée ?

— Georges Huret l’avait sur lui !

— Je ne vois pas…

Pourtant, malgré l’assurance de sa voix, je suis certain qu’il ment. Ce morceau de métal lui rappelle quelque chose. Va falloir que je l’entreprenne entre quat’ zyeux par la suite, sérieusement, que je le psychanalyse à mon tour.

Hélas !

San-Antonio propose, mais Dieu dispose, comme on dit dans les Institutions Religieuses où j’occupe tous les rayons de la bibliothèque.

Il se produit de l’inattendu.

Comme toujours dans la vie, et aussi dans mes très exceptionnels ouvrages.

Le drame, mes amis !

Noir ! Non : rouge ! Sanglant ! Soudain ! Affreux ! Horrible !

Le vieux Huret, pris de folie, vient de se jeter sur Basteville, un couteau de cuisine à la main. Du méchant coutelas à bidoche, comme on s’en sert pour découper les côtes de bœuf.

Il frappe ! Il frappe !

— Tiens ! hurle-t-il ! Misérable ! Tiens, assassin !

Et il écume ! Ses lunettes tombent, il les piétine sans s’en rendre compte. Miro, il continue de larder son ancien chef et ami. Le sang de Basteville l’inonde. Il en a plein ses fringues, et jusque dans sa barbe grise ! Les filles, malgré qu’elles soyent des aventurières, elles restent femmes, ce qui est humain, comme disent les grands auteurs qui ne pondent qu’un chef-d’œuvre tous les vingt ans pour laisser à leurs lecteurs le temps d’aller au bout de leur bouquin avant de sortir le suivant.

Elles s’affolent, elles s’écartent, bousculent Questulagro qui en laisse choir la petite clé.

Je la repêche dans une mare de sang. En douce.

Puis, profitant de la confusion causée par le carnage et les hurlements démoniaques de Huret-l’ancien, en douce toujours, je m’évacue vers des lendemains qui chantent.

EPILOGUE

Il est un peu hautain, le fondé de pouvoir. Frais comme une presbyte mariée (et non pas « comme une b… de marié, ainsi que l’écrit injustement le Révérend père Roquet dans son traité sur la stimulation des glandes inférieures dans la société moderne) en ce lundi matin bien pimpant, bien ensoleillé. Sa chemise est propre, sa cravate neuve et ses souliers neufs craquent lorsqu’il réfléchit trop fortement. La banque sent l’encaustique. Y’a de l’entrain dans l’air. Les caissiers empilent leurs talbins. Les dames des guichets remontent leurs nichons meurtris par les exploits plumardiers du véquende. Bref, on se sent content d’exister sans trop comprendre pourquoi !

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29

Si on ne met pas Otto devant, c’est moins marrant, vous êtes d’accord ?

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30

Puisque c’est vrai, pourquoi ne pas le dire ?