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Le heurt du combiné durement posé. Le bruit de la fenêtre ouverte en furie. Les échos d’un avertisseur sur fond sonore de circulation. Puis, fracassante, la voix béruréenne :

— C’est fini, ce bigntz, oui ou merde ? Tu cherches quoi t’est-ce ? À vider la batterie avant qu’on se taille ? À affoler les perdreaux ? À me faire déconsidérer des voisins ? À dégoupiller le battant de ma salope de pipelette ? T’as le feu au train ? Hein ? Comment ? Ah ! c’est toi qui klaxonnais, Berthy ! Faut pas t’impatienter, ma guenille. J’ai San-A. à l’appareil ! Quoi, tu l’emmerdes ? C’est mon supérieur, non ? D’accord, les vacances… Mais elles dureront pas jusqu’à vital sternum. Qu’est-ce qui se farcira Cézigue-pâteaux, aftère, hein, biquette ? Bouge pas, ma pigeonne, je l’espédie en deux coupes de gruyère à apôtre et j’sus à vous. Mettez la radio d’Alfred en attendant, pour écouter le Tour de France !

Je songe que les manifestations du Gros constituent toujours une attraction et que ses voisins ont bien de la chance de bénéficier à l’œil de spectacles aussi variés.

— Bon, qu’est-ce qu’on disait ? demande un Béru à bout de souffle.

— Tu disais que tu allais m’expédier en deux coups de cuiller à Gros.

Il bredouille.

— Quelle idée ! D’où que t’appelles ?

— De Londres. T’as de la chance que je ne t’aie pas demandé en P.C.V.

— Qu’est-ce tu maquilles là-bas ?

— Des choses dont tu ne veux pas entendre parler. Où allez-vous, en vacances ?

— En Espagne.

— Quel est votre première escale ?

— Bordeaux. Demain on s’arrête chez le frère à Alfred qu’est marchand de picrate, là-bas.

— Au poil, me réjouis-je. De cette manière tu pourras prendre Air-Inter pour rejoindre tes compagnons.

La Viandasse pousse un soupir qui me sort par l’autre oreille.

— Écoute, San-A. J’eusse voulu t’être agréable, mais franchement, c’est pas possible. C’t’aprème on fait un crochet par l’Anjou… D’aut’ part, depuis son chromatisme crânien[1] Alfred peut pas driver sur de longs parcours, ça y occasionne des étourdissements.

— Il conduira avec de l’aspirine. T’as de quoi écrire sous la main ?

— Non, mais je t’assure, c’est pas la peine que tu…

— Va chercher du papelard et un crayon, Gros Lard !

À nouveau le choc rude du combiné. Et toujours l’organe fulminant de Pépère errant dans son appartement déconnecté.

— C’est pas croyable, nom de Dieu de nom de Dieu ; être toujours poivré par le turbin. Et ce manche qui me relance depuis London pour me casser les roustons ! Mes vacances, bordel ! Ma caravane !

Il revient, gonflé de sa rogne.

— T’as trouvé ? demandé-je.

— Non, mais c’est inutile. T’imagines pas que je vais laisser Berthe et Alfred passer la noye seuls dans la caravane !

— D’abord ils ne seront pas seuls, puisque Marie-Marie est du voyage. Ensuite, peux-tu me dire ce que ça change à la situation ? Va chercher de quoi écrire, Béru ! Et grouille car le compteur tourne, avec tes pitreries tu m’as déjà collé deux communications dans les endosses.

Il repose l’écouteur. Les soliloques du pauvre doivent lui amener un rictus sur les lèvres car il cause tordu, Alexandre-Benoît !

— J’en ai classe de ce métier à la con. C’est trop ! Ma vie, mes nerfs, mes vacances, tout y passera. Mon foyer aussi ! Ça me conduira au divorce, je prédis. À l’hôpital pepsi-qu’a-trique ! À la maison des vieux ! J‘serai le plus jeune vieux de France, c’est couru ! Le plus jeune mort, aussi ! Ah, misère de mes c…, si j’s’rais seulement parti deux minutes plus tôt ! Mais non : y’a fallu que médème me fasse remonter chercher sa poire de caoutchouc ! Toujours la coquetterie qui la ronge, cette grosse vache !

— C’est d’moi que tu causes ? lance la voix rageuse de Berthe.

— Mais quoi… Mais non ! En v’là une idée, ma poule ! balbutie le malheureux.

— De quelle grosse vache y pourrait s’agir, si c’est pas de moi ! On en a quine de poireauter, qu’on bouche la moitié de la rue avec la caravane. Si tu descends pas tout de suite, on s’en va sans toi, Alexandre-Benoît. Et d’abord, je vais raccrocher ce téléphone ! Y’en a qui se croyent tout permis, qu’en prennent trop s’à leurs aises. Après, on se demande pourquoi qu’a des révolutions !

— Non ! s’écrie le Dodu ! Raccroche pas, ma guenille ! Plus qu’un mot !

Une bagarre dont mon tympan droit fait les frais se déroule alors. Je dérouille des cris, des chocs, des tintements, des « han » à bout portant dans les baffles. J’en ai les trompes d’Eustache qui frisent. Ça me chatouille jusqu’au cervelet.

— Tu me fais mal, espèce de goret !

— T’avais qu’à lâcher ce bignou, saleté !

— Qu’est-ce que t’as dit ?

— J’ai dit saleté, hé, morue !

— Bougre de vieux singe !

— Cause pas de singe, après ce qui s’est passé en Afrique[2] !

Le brouhaha continue, plus dense, plus violent. J’entends claquer des beignes, à présent !

— Brute !

Des bruits de verrerie rendue à leur état siliceux initial.

— Quoi ! La lampe en eau-praline ! mugit Berthe ! Et qui me v’nait de ma mère !

Au comble de l’exaspération, Bérurier déclare qu’il défèque sur la mémoire de sa belle-mère. Il la traite de femelle de porc. La soupçonne d’avoir vécu de prostitution. Selon lui, elle forniquait avec des chiens, voire des ânes. Elle se nourrissait d’excréments.

Y’a du concassage, à présent, dans la cabane ! C’est le séisme anatolien. Les meubles s’effondrent ! Les vaisselles cataractent.

Puis un silence relatif succède, coupé de sanglots.

— Allons, allons, ma poule, dit Béru. On est là qu’on s’emballe, qu’on n’hausse le ton…

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1

En général, un auteur, après une allusion de ce genre, prie son lecteur de se reporter à un ouvrage paru. Moi, c’est un ouvrage à paraître que je vous recommande. Un énorme bouquin intitulé « Béru-Béru » dont une grande partie de l’action se déroule en Afrique. Veinards, va ! Ce que je voudrais être à votre place !

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2

Oh oui : lisez Béru-Béru, je suis sûr que vous vous marrerez bien. Figurez-vous qu’à un moment donné, Berthe… Mais non, je vais pas vous filer deux bouquins pour le prix d’un, mon éditeur me renverrait. Notez que ça doit être chouette d’être licencié, mais quand même…