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San Antonio

Ça tourne au vinaigre

À Marcel PRETRE

et à sa douce Erminia,

les plus charmants des amis.

S.—A.

Plus que jamais, j’informe mon immense public que les personnages mis en cause dans les pages suivantes sont fictifs.

Qu’on se le dise !

S. — A.

QUELQUES AVIS AUTORISÉS CONCERNANT LÀ PERSONNALITÉ DE SAN-ANTONIO

— Cet auteur ne manque pas de sel.

Cérébos.

— … Mais il n’a pas toujours l’âge d’oraison !

Bossuet.

— Un garçon qui possède du cachet !

Aspro.

— Quant à moi je lui rends Grace.

Rainier III.

— Je ne trouve qu’un mot pour exprimer mon enthousiasme !

Cambronne.

— C’est bon !

Banania.

— Il vous va droit au cœur !

Maréchal Ney.

COMBATS PRÉLIMINAIRES

1

Aux dires du speaker, les boxeurs s’appelaient respectivement Kid Dubois et Téo Jules. L’un était long et cagneux, avec un début de compteur à gaz dans le dos, style Charles Humez. L’autre avait une tête de plumeau, un buste sur lequel on avait envie de jouer du xylophone (because les côtes saillantes) et du poil aux jambes, signe évident de virilité. Bien que très différents d’aspects, ils offraient cependant un point commun : ils étaient coq.

Je me suis penché sur l’oreille en chou-fleur de Bérurier.

— Lequel est-ce, ton neveu ?

Il m’a montré le second.

— Téo Jules, a-t-il dit avec cette simplicité qui fait son charme, coin droit ! C’est un athlète, non ? Tu as mordu ces triceps ?

Je dois à la vérité de dire qu’il n’y avait pas grand-chose à mordre, malgré l’invite de mon collègue. Le Téo avait des bras suffisamment musclés sans doute pour coller des timbres dans un ministère, mais nettement trop chétifs pour lui valoir le titre de champion de l’Île-de-France amateur.

— Et ces deltoïdes ! a trépigné le Gros… Ah ! je te jure, c’est bien un Bérurier !

— C’est vrai, ai-je admis, c’est manifestement, péremptoirement même, un Bérurier, il a ce regard inexpressif et ces traits asymétriques qui constituent les plus sûres caractéristiques de votre race.

Du coup, le Béru a freiné dans le dithyrambe.

— Ça va, respecte un peu mes ancêtres !

— Moi, je les respecte, ai-je protesté, ce sont eux qui ne se sont pas respectés en commettant des évadés de bidet comme toi et ton neveu.

Il allait aussi sec grimper sur son grand bourrin de bataille, mais le coup de gong a résonné, mettant aux prises les deux « athlètes ».

Bérurier s’est tu, l’œil démesuré, la bouche goulue, ses grosses mains d’assommeur frémissantes comme celles d’un amoureux qui vient de casser son lacet en caltant à un rambourt.

Il avait eu deux places pour les quarts de finale du championnat, auquel participait le neveu, et il m’avait brisé les vestibules jusqu’à ce que j’acceptasse de l’y accompagner, sa bonne femme abominant les émotions violentes. J’avais essayé de lui démontrer qu’il est inconvenant pour un oncle d’aller voir massacrer son neveu, mais il avait émis un grand rire caverneux, ce qui vaut du reste mieux que d’émettre un chèque sans provision.

— Massacrer ! Pauvre petit, si tu le voyais au turbin, le gamin ! Un vrai marteau-pilon !

Le gong m’allait donc permettre de voir…

La salle était tendue comme une corde de violon et la fumée commençait à composer un nuage bleuté autour des lampes à arc. Le ring était d’un blanc cru. Le maillot rouge, élégamment souligné de parements violets de Kid Dubois, celui d’un vert comestible de Téo Jules, prenaient des valeurs inouïes…

Je me disais que la boxe est, dans le fond (et même à l’entrée) un spectacle chatoyant.

Le Compteur-à-gaz a commencé par mettre un uppercut à la mâchoire de Bérurier junior. Le protège-ratiches du neveu est allé valdinguer sur le crâne de Max Favalelli. Téo s’est accroché un peu à la rampe. Un zouave à la hauteur aurait poussé son avantage mais Kid Duchnock était le premier surpris d’avoir balancé cette mandale et il a permis à son adversaire de récupérer derrière sa paire de gants.

— Ton neveu, ai-je murmuré à Bérurier, il devrait plutôt s’orienter sur la broderie ; il ferait peut-être une carrière…

Le Gros n’entendait pas, pour la bonne raison qu’il trépignait :

— Vas-y, Téo ! Tue-le… Ta droite ! Au foie ! Au foie !

Mais le gars Téo ne devait pas aimer le foie, car il s’obstinait à tenir sa garde serrée.

— C’est pourtant pas l’ouverture qui manque, fis-je observer à Bérurier, son adversaire est si peu couvert qu’il est à la merci d’un courant d’air…

Ça été la fin du premier round. Le speaker en a profité pour remercier M. Sédalo en affirmant que « ça » c’était du meuble. Des gens sifflaient dans la salle, ce qui contraria Bérurier.

— Attends un peu qu’il s’échauffe ! me promit-il, alors là tu vas voir démarrer sa droite !

Téo Jules avait un court-circuit dans les biscotos, car sa fameuse droite ne partit pas à la seconde reprise, bien qu’il y fît meilleure figure. Seulement à la troisième dernière, Kid Dubois fit une glissade et vint s’empaler sur le gant de son vis-à-vis, lequel, en cet instant, tendait justement la main comme pour vérifier s’il pleuvait. Le Compteur-à-gaz tomba, se releva, bras ballants, ce dont le neveu profita pour lui allonger le crochet droit de l’amitié. Bérurier trépignait et je l’ai retenu à l’instant où il commençait à consommer le bord de son chapeau de feutre qu’une épaisse couche de graisse rendait presque comestible.

— Ce gamin, m’aboya-t-il dans les oreilles, c’est le successeur de Carpentier.

— Oui, ai-je admis, comme Carpentier, il pourra très bien gérer un bar.

La joie du gros homme était trop intense pour que mes sarcasmes puissent l’éteindre. Il rayonnait d’un orgueil paternel. Prenant à témoin son voisin de gauche, un gros type qui se cramponnait après un cigare, il lui révéla qu’il était l’oncle du jeune prodige, sur quoi le téteur de nicotine lui assura que ça n’avait rien de péjoratif, étant entendu une fois pour toutes que toutes les familles ont leurs tarés.

Ça a failli tourner à la grande bigorne et j’ai calmé mon pote en lui proposant d’aller écluser une petite bouteille de Champelure au bar. Bérurier est toujours partant dans ces cas-là… L’entracte étant proclamé, nous avons gagné le bar où se pressait une foule qu’on pouvait qualifier de disparate, sans crainte d’employer un vieux cliché.

La boxe groupe une extraordinaire multiplicité d’individus. On y trouve en abondance du métèque et de la vedette de cinéma, de la poule de luxe et du roseau pensant, du gars d’Aubervilliers et du B.O.F… Pourtant, la majorité de l’assistance se compose principalement de messieurs qui ont du graffiti dans le casier. Tout en sirotant mon glass de rosé, je reconnaissais des truands plus ou moins fameux et ces braves gens, dont j’avais jadis fourré certains en cabane, m’adressaient des petits saluts pleins de dévotion…